Le langage professionnel et ses codes implicites

QU’EST-CE QUE LE STYLE PROFESSIONNEL ?

Des milliers de personnes écrivent chaque jour, non pour philosopher ou décrire leurs sensations ou leurs états d’âme, mais pour transmettre une multitude d’informations, à l’aide de lettres, e-mails, notes, comptes rendus, rapports… Du personnel d’entreprises publiques ou privées jusqu’aux particuliers en passant par les artisans et les commerçants tous peuvent se demander un jour : « Mais qu’est-ce que le style professionnel ? »
Comment pourrions-nous définir l’écriture de cette foule de rédac-teurs ? Pourrions-nous déceler dans cette écriture à vocation essen-tiellement pratique des tendances, des habitudes, des limites ? Comment situer ce style, reflet de réalités quotidiennes, parmi les diverses écritures possibles, littéraires ou journalistiques ? Une réflexion sur le style professionnel nous paraît tout d’abord essentielle si notre objectif est, avant tout, d’améliorer la qualité de notre com-munication écrite. Par ailleurs, en chacun de nous existe une tendance à idéaliser l’écrit, tendance liée souvent à des souvenirs scolaires peu agréables. Il arrive aussi aux rédacteurs de confondre les notions de « bien écrire » de manière littéraire ou journalistique et de « bien écrire » de manière professionnelle. Pour beaucoup, cette distinction n’est presque jamais faite. Or, elle est essentielle, car les exigences ne sont pas les mêmes.
En effet, les écrits littéraires ou journalistiques s’adressent à des lec-teurs aux goûts diversifiés, de niveaux de vocabulaire parfois très différents selon le lectorat choisi. Ceux qui manient cette langue la maîtrisent souvent bien et savent en exploiter toutes les ressources, imprégnant fortement le texte de leur personnalité. La langue pro-fessionnelle, au contraire, doit avoir pour dominante un style neutre, relativement plat en apparence, car sa vocation essentielle est la trans-mission d’un message clair et précis. Il est donc possible de proposer à tous d’accéder à une bonne écriture professionnelle, sa qualité rési-dant essentiellement dans sa correction. Un style trop original ou trop recherché n’a pas cours dans ce domaine.
Aussi, pour vous permettre de saisir rapidement les caractéristiques du style professionnel par le biais de la comparaison, nous vous pré-sentons ci-après un certain nombre de textes, d’origine littéraire ou journalistique côtoyant des écrits professionnels courants. Observez la simplicité stylistique de tous ces documents professionnels. Cependant, grâce à eux, le message professionnel est transmis : l’ob-jectif d’efficacité recherché est atteint.

Les clés de base d’écriture littéraire et journalistique

D’une sélection de textes, issus de la littérature ou du journalisme, se dégage l’impression que la langue y manifeste une grande liberté d’action au gré des besoins d’expression pour penser, interpeller, sur-prendre, émouvoir, choquer, rire ou pleurer. Ce qui ne va pas être le cas de la langue professionnelle dont la mesure et la tenue sont main-tenues par des codes implicites que nous allons expliciter progressi-vement au cours de cet ouvrage.
Qu’est-ce que le style professionnel ?
Observation de textes puisés dans la littérature
Une phrase très longue côtoyant une phrase courte :
un rythme de construction irrégulier
« L’attelage du sommeil, semblable à celui du soleil va d’un pas si égal, dans une atmosphère où ne peut plus l’arrêter aucune résistance, qu’il faut quelque petit caillou aérolithique étranger à nous (dardé de l’azur par quel Inconnu ?) pour atteindre le sommeil régulier (qui sans cela n’aurait aucune raison de s’arrêter et durerait d’un irrégulier mouvement pareil jusque dans les siècles des siècles) et le faire, d’une brusque courbe, revenir vers le réel, brûler les étapes, traverser les régions voisines de la vie, où bientôt le dormeur entendra, de celle-ci, les rumeurs presque vagues encore, mais déjà perceptibles, bien que déformées, et atterrir brusquement au réveil. Alors de ces sommeils profonds on s’éveille dans une aurore, ne sachant qui on est, n’étant personne, neuf, prêt
à tout, le cerveau se trouvant vidé de ce passé qui était la vie jusque-là. »
MARCEL PROUST, Sodome et Gomorrhe
Des phrases de peu de mots voire d’un seul mot, sans verbe, côtoyant des phrases courtes « Alors elle faisait le plan de la ville, pour arrêter le mouvement de tourbillon. Mais ça n’était pas facile. Elle partait du centre de sa tête, et elle essayait de compter premier tourbillon, deuxième tourbillon, troisième tourbillon. Courant. Barre d’écueils. Un cap. Série d’îlots. Barre. Impacts de la houle. Quatrième, cinquième tourbillon. Immense esplanade, plaque d’huile, bonasse. Calme, calme. Vent du large. Vol de goëlands. Bas-fond. Plage courte, où vont s’échouer les méduses. Couloir aérien. Déchirure de nuages. »
J. M. G. LE CLÉZIO, La Guerre
Une phrase de 18 lignes, difficile à comprendre, en raison de sa longueur « D’autre part, il faut bien avouer que si je m’éveille, voyant avec une extrême lucidité ce qui en dernier lieu vient de se passer : un insecte couleur mousse, d’une cinquantaine de centimètres, qui s’est substitué à un vieillard, vient de se diriger vers une sorte d’appareil automatique ; il a glissé un sou dans la fente, au lieu de deux, ce qui m’a paru constituer une fraude particulièrement répréhensible, au point que, comme par mégarde, je l’ai frappé d’un coup de canne et l’ai senti me tomber sur la tête, j’ai eu le temps d’apercevoir les boules de ses yeux briller sur le bord de mon chapeau, puis j’ai étouffé et c’est à grand-peine qu’on m’a retiré de la gorge deux de ses grandes pattes velues tandis que j’éprouvais un dégoût inexprimable – il est clair que superficiellement, ceci est surtout en relation avec le fait qu’au plafond de la loggia où je me suis tenu ces derniers jours se trouve un nid, autour duquel tourne un oiseau que ma présence effarouche un peu, chaque fois que des champs il a rapporté en criant quelque chose comme une grosse sauterelle verte, mais il est indiscutable qu’à la transposition, qu’à l’intense fixation qu’au passage autrement inexplicable d’une image de ce genre du plan de la remarque sans intérêt au plan émotif concourent au premier chef l’évocation de certains épisodes des détraqués et le retour à ces conjectures dont je parlais. »
ANDRÉ BRETON, Nadja
Une utilisation des ressources de la langue par mélange de dialogues et de descriptions pour transmettre émotions, sensations, ressentis, douleurs…
« Vous prenez un café ? Marianne sursaute, acquiesce. Révol se relève, et lui tournant le dos saisit la cafetière qu’elle n’avait pas vue, verse le café dans des gobelets de plastique blanc, ça fume, ses gestes sont amples
et silencieux, sucre ? Il temporise, aménage sa parole, elle le sait, accompagne ce tempo, en éprouve la tension paradoxale puisque le temps s’égoutte comme le café dans la cafetière quand pourtant tout ramène à l’urgence
de la situation, à son caractère radical, tangent, et maintenant Marianne a fermé les yeux, elle boit, concentrée sur la brûlure liquide dans sa gorge, tant elle appréhende le premier mot de la première phrase (…) »
MAYLIS DE KERANGAL, Réparer les vivants (Éditions Verticales, 2014)
La phrase sans verbe existe en littérature ou dans l’écriture journalis-tique. Il s’agit de traduire, grâce à elle, une émotion, de décrire par touches un paysage, de donner de l’intensité à un mot. Cette forme de phrase dépend d’un contexte possédant, bien entendu, une phrase avec au moins un verbe conjugué :
Qu’est-ce que le style professionnel ?
Joie, désir de connaître, amour de la vie. Il lisait avec ardeur.
↓↓
Phrase sans verbe conjugué Phrase avec verbe conjugué
Soleil de feu. Mer de glace. Plage ocre. Il courait sur la dune.
↓↓↓
Phrases sans verbe conjugué Phrase avec verbe conjugué
Ce type de phrase permet, par sa liberté de forme, de créer un effet de surprise ou un déséquilibre de rythme, utiles à la transmission de sentiments, d’émotions… Même des auteurs réputés pour leurs phrases longues utilisent des phrases courtes selon leurs besoins ponc-tuels d’expression : « Moi, c’était autre chose que j’avais à écrire, de plus long, et pour plus d’une personne. Long à écrire. Le jour tout au plus pourrais-je essayer de dormir. »
MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu
Ainsi, les écrivains cherchent avant tout à s’exprimer, captant dans un second temps des lecteurs séduits par la puissance de leurs textes en accord avec leurs goûts et leur sensibilité personnelle. Ces auteurs vont par conséquent utiliser la langue dans toutes ses ressources pour faire jaillir le meilleur d’eux-mêmes. Par créativité, ils vont se servir de la langue pour faire émerger un style qui sera « leur marque de fabrique ».
Dans le contexte professionnel, a contrario, cette liberté n’est pas de mise. Les phrases, le vocabulaire et le ton vont être constamment contrôlés et uniformisés.

Observation d’un article

Les journalistes jouent également avec la langue comme le font les auteurs du domaine littéraire, mais avec moins de liberté d’écriture. En effet, leurs écrits sont ciblés sur un lectorat, scientifiquement identifié, auquel il leur faut s’adapter constamment. Ce lectorat va exercer une influence sur le ton choisi (enthousiaste, objectif, agressif, virulent, humoristique…) et le niveau de vocabulaire sera ajusté à son niveau culturel. Les procédés sont toutefois les mêmes qu’en littérature, mais avec un objectif parfaitement défini et des titres accrocheurs.
L’écrit : allié ou ennemi ?
« Sur le chemin d’un créateur d’entreprise un moment difficile pour certains se trouve dans la simple phrase magique, jetée à la volée par un client,
un fournisseur, un investisseur : « Confirmez-le-moi par mail » et bien sûr la réponse sera : « Pas de problème ! » Le stress rien qu’à l’idée d’écrire quelques lignes. Comment débuter un e-mail et quelle formule de politesse utiliser ? Est-ce trop familier ou trop direct ? Et la faute d’orthographe, cette fameuse faute qui guette tous ses écrits telle une vieille ennemie. Surtout, il lui faudra apprendre à se contrôler face à la touche « envoyer ». Cette touche qui, si l’on en croit nos oreilles, est celle que tout le monde regrette d’avoir appuyée trop vite. Le créateur doit donc acquérir sans plus attendre les talents d’écriture de la perle rare qu’il pourra engager quand le développement de société le lui permettra ! »
DYNAMIQUE ENTREPRENEURIALE, L’écrit est un passeport, 18 mars 2018, www.dynamique-mag.com
Même s’ils reprennent les mêmes procédés qu’en littérature, les jour-nalistes vont :
• choisir un angle pour mieux capter le lecteur ;
• insérer un titre incitatif et éventuellement un sous-titre ;
• mettre l’essentiel du fond de l’article dès les premières lignes ;
• privilégier la phrase courte pour renforcer la lisibilité (8 à 16 mots = créneau de lisibilité maximum de lecteurs moyens) ;
• utiliser des registres de langue variés, parfaitement en accord avec leur lectorat ;
• oser parfois l’humour ou la dérision selon le contexte ;
• être constamment guidés par la volonté d’être bien compris.
Le langage professionnel et ses codes implicites
Il s’agit dans le contexte professionnel de transmettre des messages rationnels, accessibles à tous, même quand, parfois, la colère est sous-jacente dans des situations de réclamation par exemple. Celle-ci se manifestera alors avec nuance, toujours avec retenue. Le type de phrase utilisé en contexte professionnel est donc d’une apparence un peu plate, car l’expressivité joue avec l’originalité des phrases, les ruptures, les surprises, le souffle donné par la ponctuation. Or, le langage professionnel ne touche pas à ce registre pour rester toujours explicite, sans laisser la porte ouverte aux interprétations. C’est ce type d’écriture mesurée, contrôlée, qui domine tous les écrits profes-sionnels : e-mails, e-lettres, lettres, messages Internet sur sites, comptes rendus, notes, rapports…
Toutefois, contrairement au style journalistique, il n’est jamais tenu compte du niveau culturel des destinataires lors de la rédaction d’un écrit professionnel, sauf dans quelques cas de rapports ou de projets. En effet, généralement, les documents sont destinés à un ou plusieurs destinataires, très souvent non identifiés. Il s’agit de toujours écrire des textes accessibles à tous, donc très uniformisés.
Faire passer le sens des messages dans les meilleures conditions est l’objectif central de ce type d’écrit et le propos de ce livre, divisé en fiches pour une utilisation ponctuelle, étroitement liée à un besoin surgi au gré de l’écriture.

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