Le Langage et l’Action : Dynamique des liens unissant verbes d’action et contrôle moteur

Le Langage et l’Action : Dynamique des liens unissant verbes d’action et contrôle moteur

L’origine gestuelle du langage

Il est remarquable et presque banal de constater que les échanges verbaux chez l’homme s’accompagnent de gestes. Ces gestes manuels semblent ainsi étroitement corrélés au langage humain, formant une composante visuelle qui fournit un complément ou un supplément d’information aux locuteurs (Corballis, 1999 ; Goldin-Meadow et al., 1993 ; Goldin-Meadow, 1999 ; McNeill, 1992). En l’absence de stimulus sonore, l’on se surprend en effet à jauger l’intensité du discours d’un individu en évaluant l’amplitude et la fréquence de ses gestes. La présence de tels gestes coverbaux dans toutes les langues et cultures (Feyereisen & de Lannoy, 1991 ; Iverson & Goldin-Meadow, 1998), mais aussi avant le développement du langage chez les enfants (Acredolo, 1988 ; Bates, 1976), laisse penser qu’il s’agisse là de l’expression d’un lien enraciné entre motricités manuelle et orofaciale. Quelle est donc la place de la motricité manuelle dans l’évolution du langage et dans l’apparition du langage verbal ?

Les arguments

Un premier argument en faveur de l’existence de liens étroits entre langage et motricité manuelle est apporté par la démonstration, chez les primates humains et non humains, de représentations corticales des mouvements manuels et oraux adjacentes, ou se recouvrant partiellement, dans les régions frontales et pariétales, à savoir le cortex moteur primaire (M1), le cortex prémoteur ventral (PM), le sillon intrapariétal et les aires pariétales inférieures (Cavada, 2001 ; Matelli & Luppino, 2001 ; Rizzolatti et al., 1988). En outre, les troubles apraxiques (i.e. troubles de la réalisation de gestes dirigés vers des objets ou de gestes symboliques) surviennent principalement suite à des lésions hémisphériques gauches, la co-occurrence avec les troubles aphasiques (i.e. linguistiques) étant fréquente (Bell, 1994 ; De Renzi et al., 1980 ; Goldenberg, 2001 ; Haaland et al., 2000). Alors, le fait de tirer la langue lors de la réalisation d’un travail manuel requérant une grande précision manuelle, co-activation des motricités manuelle et orofaciale retrouvée chez le chimpanzé (Waters & Fouts, 2002), est-il uniquement le fruit d’une organisation anatomique particulière, ou faut-il y voir les traces d’une fonction commune, vestige d’une communication tant manuelle que vocale ? Les études comportementales s’étant attachées, depuis les années 70, à révéler les liens unissant les gestes et le développement précoce du langage fournissent un élément de réponse. Elles ont ainsi Introduction Générale 19 démontré que chaque évènement marquant du développement linguistique qui se produit entre 6 et 30 mois est précédé ou accompagné de gestes spécifiques (Bates & Snyder, 1987 ; Iverson et al., 1994 ; Iverson & Thelen, 1999 ; Locke et al., 1995 ; Masataka, 2001 ; voir Bates & Dick, 2002 pour une revue). D’abord, le babillage, caractérisé par la production de segments répétés de type consonne-voyelle (e.g. bababa) et se produisant entre 6 et 8 mois chez les nourrissons, s’accompagne de mouvements rythmiques de battement des mains (Locke et al., 1995 ; Petitto & Marentette, 1991 ; Petitto et al., 2001, 2004). Entre 8 et 10 mois, le développement d’une nouvelle capacité linguistique, la compréhension de mots, est corrélé à la production de gestes déictiques (i.e. gestes de pointage d’une entité dans l’espace environnant, McNeill, 1992 ; Bates, 1979 ; Bates & Snyder, 1987). Des études ont par ailleurs décrit un retard d’apparition de ces deux fonctions chez des enfants accusant un retard mental (syndrome de Williams et syndrome de Down ; Singer et al., 1997) ou un retard d’acquisition du langage parlé (Thal & Bates, 1988 ; Thal & Tobias, 1994), et chez des enfants cérébro-lésés (Dall’Oglio et al., 1994). Plus tard, entre l’âge de 12 et 18 mois, les enfants commencent à nommer les objets de leur environnement, et produisent parallèlement des actions simples associées à ces objets (e.g. porter une tasse à la bouche ; Iverson & GoldinMeadow, 2005). Iverson et Goldin-Meadow (2005) ont notamment révélé que les gestes étaient produits en moyenne trois mois avant les premiers mots, suggérant que le développement du répertoire lexical de l’enfant dépende du répertoire gestuel préexistant. Les résultats d’études menées chez des enfants souffrant de retard mental (Singer et al., 1997), d’autisme (Happé & Frith, 1996) ou porteurs de lésions (Dall’Oglio et al., 1994 ; Marchman et al., 1991) ont là encore rapporté que la production des mots ne se développe qu’une fois que les gestes correspondants ont été produits. Ensuite, dès l’âge de 18 à 20 mois, les premières combinaisons de deux mots sont formées, précédées ou accompagnées d’associations de gestes et de mots isolés (e.g. pointage lors de la dénomination ; Goldin-Meadow & Butcher, 2003 ; Iverson & Goldin-Meadow, 2005 ; Shore et al., 1984). L’âge auquel les enfants produisent ces associations de gestes, à caractère informatif supplémentaire plus que complémentaire, et de mots prédit d’ailleurs l’âge auquel ils produiront leurs premières combinaisons de mots (Goldin-Meadow & Butcher, 2003 ; Iverson & GoldinMeadow, 2005). Une « explosion » de la grammaire survient enfin vers l’âge de 24-30 mois, corrélée à la capacité des enfants à se remémorer ou à imiter des séquences arbitraires d’actions manuelles (Bauer et al., 1998, 2000). En résumé, avant le développement des capacités linguistiques, les gestes se présentent d’abord comme le moyen pour l’enfant de communiquer l’information qu’il ne peut exprimer verbalement (Iverson & Goldin-Meadow, 2005). Ils viennent ensuite accompagner les premiers mots, fournissant une information redondante à celle donnée oralement (e.g. pointage vers un objet tout en le Introduction Générale 20 nommant), mais aussi supplémentaire (e.g. pointage vers un objet tout en produisant le mot « donne » ; Goldin-Meadow, 1999). Iverson et Goldin-Meadow (2005) ont alors suggéré que les gestes facilitent l’apprentissage du langage : le développement gestuel ne précèderait pas seulement, mais prédirait aussi le développement linguistique. Mais comment les gestes peuvent-ils faciliter l’apprentissage ? Comment expliquer le fait, par exemple, qu’un instituteur, qui produit des gestes lorsqu’il apprend une tâche à ses élèves, a de grandes chances de les voir produire eux-mêmes ces gestes et apprendre plus facilement à résoudre cette tâche (Singer & Goldin-Meadow, 2005) ? Goldin-Meadow et Wagner (2005) ont formulé l’hypothèse selon laquelle les gestes et la parole seraient ancrés dans un système de communication unique, dans lequel la production de gestes accompagnant la parole allègerait la charge cognitive, les ressources pouvant alors être allouées à d’autres tâches. Confortant cette hypothèse, des études ont démontré que le pointage améliore les performances des enfants lors de tâches verbales de comptage (Alibali & DiRusso, 1999 ; Graham, 1999), mais aussi que les performances de rappel de mots sont meilleures chez des enfants (mais aussi chez des adultes) ayant expliqué un problème mathématique en produisant des gestes par rapport à ceux qui n’en produisaient pas (GoldinMeadow et al., 2001). L’ensemble de ces données recueillies auprès des enfants suggère donc que gestes et langage partagent des liens étroits, témoins probables de l’existence d’un système précurseur commun aux motricités manuelle et orofaciale. Dans ce sens, les gestes ne formeraient pas simplement une composante accessoire du langage, mais au contraire, « ils serviraient de repère sur la route du langage, tant aux points de vue ontogénique que phylogénique » (Goldin-Meadow, 1999). Mais si la production gestuelle est corrélée au développement linguistique au cours de l’enfance, les gestes jouent-ils également un rôle à l’âge adulte, lorsque les performances verbales sont établies ? Les études comportementales menées chez les adultes sains et cérébro-lésés ont permis d’apporter une réponse affirmative à cette question (Driskell & Radtke, 2003 ; Goldin-Meadow, 1998 ; Goldin-Meadow et al., 1992 ; Iverson & Goldin-Meadow, 1998 ; Perry et al., 1992). Aussi est-il surprenant de constater que deux personnes non-voyantes présentent de tels comportements moteurs au cours d’une conversation, alors même qu’elles sont parfaitement conscientes que l’autre ne peut accéder à ces stimuli visuels (Iverson & Goldin-Meadow, 1998). Ces observations suggèrent que l’expérience visuelle des gestes d’autrui ne soit pas nécessaire à la production des gestes coverbaux, mais qu’au contraire, ces gestes soient ancrés dans les processus linguistiques (McNeill, 1992). Les études ayant comparé le langage oral et la langue des signes pratiquée par les  personnes malentendantes rapportent également des liens étroits entre gestes et langage. Ainsi, des déficits de traitement de la langue des signes ont été observés suite à des lésions des régions connues pour être impliquées dans le traitement du langage oral (i.e. régions frontales inférieures et temporales supérieures gauches ; Hickok et al., 1996, 1998 ; Poizner et al., 1987). Des activations corticales communes, latéralisées à gauche, ont également été mises en évidence lors de la perception de la parole chez les locuteurs sains et des gestes composant la langue des signes chez les sourds (Corina et al., 1992 ; McGuire et al., 1997 ; McSweeney et al., 2002 ; Neville et al., 1998 ; Soderfeldt et al., 1997). Etoffant ces données, des études ont révélé que les enfants nés sourds de parents entendants, non exposés à la langue conventionnelle des signes, inventent un système de communication gestuelle qui possède les propriétés fondamentales du langage oral, mais qui diffère des gestes spontanés utilisés par leurs mères pour communiquer avec eux (GoldinMeadow & Feldman, 1977 ; Goldin-Meadow & Mylander, 1983, 1998). L’émergence spontanée d’un langage basé sur les signes chez les personnes sourdes suggère donc que la communication gestuelle soit aussi « naturelle » chez l’homme que le langage oral (Corballis, 2005). Corroborant cette hypothèse, les nourrissons nés sourds ou entendants exposés très tôt au langage des signes passent par les mêmes étapes d’acquisition que les enfants qui apprennent à parler, « babillant » silencieusement avec leurs mains (Petitto & Marentette, 1991 ; Petitto et al., 2001, 2004). Selon Goldin-Meadow et ses collègues (1996, 1999), les gestes manuels acquerraient donc des propriétés grammaticales spécifiques au langage uniquement lorsque la communication orale serait abolie (i.e. langue des signes conventionnelle chez les sourds, et système gestuel non conventionnel chez les enfants sourds nés non exposés à un modèle de langage). A l’inverse, les gestes associés à la parole n’auraient que peu de valeur communicative propre, mais permettraient d’exprimer les pensées et idées non facilement verbalisables des locuteurs. Cette interprétation s’inscrit dans le débat suscité depuis quelques années quant à la fonction communicative ou non des gestes coverbaux lors de la compréhension du langage. Pour certains en effet, les gestes et le langage seraient intimement corrélés, de sorte que les premiers influenceraient la perception du second, même aux stades les plus précoces du traitement (Kelly et al., 1999 ; Kendon, 1994 ; McNeill, 1992). Pour d’autres en revanche, les deux fonctions reposeraient sur des systèmes indépendants, arguant que la relation gestes-langage soit triviale, les gestes n’apportant qu’un supplément d’information une fois les stimuli verbaux traités (Feyereisen et al., 1988 ; Krauss, 1998 ; Krauss et al., 1991, 2000). Un certain nombre d’études est toutefois venu supporter la première interprétation, en rapportant une influence de la perception de gestes coverbaux sur la compréhension verbale (Alibali et al., 1997 ; Driskell & Radtke, 2003 ; Goldin-Meadow et al., 1992 ; Kelly & Church, 1997 ; Kelly et al., 2004 ; Introduction Générale 22 McNeill et al., 1994). Il semble donc que le destinataire d’un message se base à la fois sur la production verbale et les gestes de son interlocuteur pour le comprendre (McNeill, 1992). Si la question des liens entre gestes et compréhension du langage reste encore controversée, l’influence de ces comportements moteurs sur la production verbale fait en revanche l’objet d’un consensus. Des études ont en effet démontré que la production de gestes affectait la production linguistique, à la fois chez les sujets sains et chez les patients aphasiques (Beattie & Coughlan, 1999 ; Beattie & Shovelton, 2000 ; Driskell & Radtke, 2003 ; Hadar et al., 1998 ; Kelly et al., 2004 ; Morsella & Krauss, 2005 ; Rauscher et al., 1996). Rauscher et collègues (1996) ont par exemple examiné les performances de participants sains devant décrire des images se référant à des actions, alors qu’ils étaient autorisés ou non à produire des gestes manuels durant leur explication. Ils ont démontré une diminution de la fluence verbale lorsqu’aucun geste n’était réalisé, suggérant que l’absence de gestes rende l’accès lexical plus difficile. Cet effet était d’ailleurs similaire à celui observé lorsque la tâche de récupération lexicale était rendue plus complexe en demandant aux sujets de produire des mots rares ou inhabituels. Confortant l’idée d’une corrélation forte entre gestes et récupération lexicale, une récente étude a mis en évidence une augmentation de l’activité électromyographique (EMG) des muscles de l’avant-bras lors de l’identification de mots concrets à partir de leurs définitions (Morsella & Krauss, 2005). Sur le plan neuropsychologique, Hadar et al. (1998) ont rapporté que les patients aphasiques souffrant principalement de déficits de production verbale tendaient à produire plus de gestes que les sujets sains lors d’une tâche de description d’images. Autrement dit, le déficit lexical s’accompagnait d’une augmentation compensatoire de la production de gestes, suggérant là encore que les gestes assistent la récupération lexicale. Hanlon et al. (1990) ont quant à eux décrit une amélioration des performances de patients aphasiques dans une tâche de dénomination d’images, lorsque ces patients étaient entraînés à produire des gestes de pointage vers ces objets avant de les nommer. L’ensemble de ces résultats suggère donc que la production de gestes coverbaux facilite la récupération lexicale en mémoire, hypothèse confortée par le fait que nous tendons généralement à exécuter de nombreux gestes en cas de difficultés à produire rapidement un mot (e.g. phénomène du mot « sur le bout de la langue » ; Butterworth & Beattie, 1978 ; Christenfeld et al., 1991 ; Dittmann & Llewelyn, 1969 ; Freedman & Hoffman, 1967 ; Hadar & Butterworth, 1997). Les études menées chez les enfants et les adultes révèlent donc que les gestes spontanés produits lors de tout échange verbal constituent des entités à part entière de la conversation et non simplement des accessoires, « fossiles comportementaux ayant été supplantés par le langage oral » (McNeill, 1992). Ces gestes coverbaux, dont la fonction communicative est encore  controversée, jouent en effet un rôle capital dans le développement du langage chez l’enfant, mais aussi dans le traitement des stimuli linguistiques à l’âge adulte. Comme l’a suggéré McNeill (1992), « ignorer les gestes serait comme ignorer une partie de la conversation ». L’homme serait donc prédisposé à communiquer avec des gestes manuels, renforçant l’hypothèse qu’une communication manuelle ait précédé l’apparition du langage oral. Dans la suite, nous présenterons les fondements de cette hypothèse, et particulièrement le scénario d’évolution proposé par Corballis (1999, 2002, 2003).

Evolution du langage à partir des gestes manuels

Bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité auprès des linguistes et des anthropologues, probablement en raison du fait que nous ne possédons pas de preuve directe que nos ancêtres communiquaient avec des gestes, l’idée que le langage humain au sens moderne du terme ait évolué à partir des gestes manuels n’est pas récente et a été proposée maintes fois (Armstrong, 1999 ; Armstrong et al., 1995 ; Corballis, 1992, 1999, 2002, 2003, 2005 ; Hewes, 1973 ; Kimura, 1993). Ainsi, Bonnot de Condillac, philosophe français (1715-1780), suggérait déjà au 18ème siècle, qu’un « langage naturel » ait été progressivement transformé en une « langue d’action ». Un cri perçant provoqué par la présence d’un prédateur (langage naturel) serait associé à la présence de ce prédateur et reproduit hors de son contexte pour évoquer chez un congénère l’image mentale du prédateur (langue d’action). Hewes (1973) a repris cette hypothèse et suggéré que la transition du langage gestuel au langage parlé, provoquée par le rythme accéléré de croissance culturelle, se soit produite tardivement au cours du paléolithique moyen, soit il y a une bonne centaine de milliers d’années (ceci impliquerait donc que Néanderthal et les premiers Homo sapiens sapiens aient utilisé essentiellement des systèmes de communication gestuels). Mais comment expliquer que le langage parlé ait évolué à partir de la motricité manuelle et non des vocalisations ? Pour Corballis (1999, 2002, 2003), le meilleur contrôle cortical des mouvements manuels que des vocalisations chez les primates non humains aurait constitué une pré-adaptation des hominidés à communiquer avec leurs mains. Aussi, bien que les singes puissent adapter leurs cris en fonction de la situation (Cheney & Sefarth, 1988 ; Hauser et al., 1993), il y a fort à penser que ces comportements ne soient pas sous contrôle volontaire, mais reflètent simplement les variations de leur état émotionnel (Tomasello & Call, 1997). Corballis cite ainsi Goodall (1986) pour qui « la production de sons en l’absence d’état émotionnel approprié semble être une tâche impossible à réaliser chez les singes ». Ceci expliquerait notamment les échecs répétés des Introduction Générale 24 tentatives des chercheurs à apprendre à parler aux singes (Hayes, 1952 ; Terrace et al., 1979), en opposition aux meilleures performances obtenues lorsqu’on leur apprenait à communiquer avec des signes manuels ou encore des symboles visuels (Gardner & Gardner, 1969 ; Miles, 1990 ; Patterson, 1978 ; Savage-Rumbaugh et al., 1998 ; Terrace et al., 1979). Savage-Rumbaugh et ses collègues (1993 ; Savage-Rumbaugh & Lewin, 1994) ont toutefois rapporté le cas du fameux singe Kanzi, capable d’utiliser un clavier composé de signes verbaux arbitraires ou « lexigrammes », et même de comprendre quelques mots de la langue anglaise, alors que les chercheurs avaient vainement tenté d’enseigner ces tâches à sa mère. Si les auteurs suggèrent que Kanzi ait développé une sorte de syntaxe, ils soulignent néanmoins que celle-ci, très rudimentaire, n’ait rien en commun avec la syntaxe gouvernant les règles de production de notre langage. Les primates non humains ne peuvent donc contrôler volontairement leurs vocalisations ; en revanche, ils utilisent un répertoire large de gestes manuels dans la vie sauvage mais aussi en captivité (Tanner & Byrne, 1996 ; Tomasello et al., 1997), ces gestes impliquant pour la plupart des échanges interindividuels. En ce sens, ils peuvent donc être considérés comme proches du langage humain, en regard de leurs vocalisations qui ne sont pas spécifiquement dirigées vers autrui. Ces vocalisations diffèrent par ailleurs du langage en ce qu’elles véhiculent uniquement des émotions et états motivationnels liés à l’ici et maintenant (sous contrôle des aires cingulaires), s’apparentant plus à nos propres vocalisations, telles que rires, pleurs ou cris, qu’aux mots que nous utilisons pour communiquer. Au vu de ces données, Corballis (2002) a alors suggéré que l’ancêtre commun des hommes et des chimpanzés possédait un répertoire fixe de cris, probablement similaire à celui des singes d’aujourd’hui, mais que ces cris n’auraient pas constitué une base solide à l’émergence de la communication intentionnelle. Au contraire, le système gestuel, plus flexible, aurait pu, au cours de l’évolution, remplir cette fonction chez nos ancêtres. Plus précisément, Corballis insiste sur le fait que ce système gestuel ne constituait pas une adaptation en soi à la vie des primates non humains, les mains étant principalement utilisées pour la locomotion, le maintien de la posture et la vie dans les arbres. Mais il aurait joué un rôle capital chez les premiers hominidés dont les mains auraient été libérées de la locomotion grâce à la bipédie. Ainsi, au moment de la séparation entre les lignées des hominidés et des primates non humains, datant approximativement de 4 à 6 millions d’années, la bipédie serait apparue chez l’homme, accroissant l’opportunité de s’exprimer avec des gestes manuels. Les gestes manuels auraient alors constitué un moyen pratique de montrer un objet ou évènement, le mouvement de pointage étant, encore aujourd’hui, le premier geste produit par les nourrissons. La bipédie aurait également pu élargir le répertoire préexistant des gestes, ayant conduit Donald (1991) à suggérer que la communication des premiers hominidés était basée sur le mime. Cet appariement entre production et perception des gestes, tout autant que la préadaptation Introduction Générale 25 au contrôle volontaire des membres supérieurs, constitueraient alors des éléments favorisant le développement d’un système de communication intentionnelle manuel plutôt que vocal chez nos ancêtres.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. L’origine gestuelle du langage
I.1. Les arguments .
I.2. Evolution du langage à partir des gestes manuels
I.3. Conclusion
II. Le « système miroir »
II.1. Les neurones miroir chez le singe
II.1.1 Les neurones canoniques
II.1.2. Les neurones miroir
II.1.3. Rôle fonctionnel des neurones miroir
II.2. Le système miroir et le langage
II.3. Le système miroir chez l’homme
II.3.1. Etudes en TMS
II.3.2. Etudes électrophysiologiques
II.3.3. Etudes comportementales
II.3.4. Etudes d’imagerie cérébrale
II.3.5. Système miroir humain et latéralisation hémisphérique
II.4. Conclusion
III. Liens entre langage et motricité
III.1. Productions linguistique et motrice
III.2. Perception linguistique et système moteur
III.3. Perception du sens des mots et motricité manuelle fine
III.4. Conclusion
IV. Le traitement des mots d’action
IV.1. Modèle du système miroir et traitement des mots d’action
IV.2. Modèle de l’apprentissage « hebbien »
IV.2.1. L’information phonologique
IV.2.2. L’information sémantique
IV.2.3. Les prédictions
IV.3. Le sens des mots d’action et le cortex moteur
IV.3.1 Etudes comportementales
IV.3.2. Etudes électrophysiologiques
IV.3.3. Etudes d’imagerie cérébrale
IV.3.4. Etudes en TMS
IV.4. Conclusion
V. Le traitement des noms et des verbes
V.1. L’acquisition des noms et des verbes
V.2. Les études neuropsychologiques : déficits spécifiques aux noms et aux verbes
V.2.1. Origine sémantique des déficits
V.2.2. Origine grammaticale des déficits
V.3. Etudes chez les sujets sains
V.3.1. Etudes électrophysiologiques
V.3.2. Etudes d’imagerie cérébrale
V.3.3. Etudes en TMS
V.4. Conclusion
VI. Synthèse et Problématique générale
VI.1. Synthèse
VI.2. Problématique
VII. Effets de l’âge d’acquisition des mots sur la reconnaissance des noms concrets et des verbes d’action chez les sujets sains
VII.1. Introduction
VII.2. Présentation de l’étude et hypothèses
VII.3. Expérience 1 de décision lexicale visuelle
VII.3.1. Matériels et Méthodes
VII.3.1.1. Participants
VII.3.1.2. Stimulu
VII.3.1.3. Procédure
VII.3.1.4. Analyses statistiques
VII.3.2. Résultats
VII.3.2.1. Pour l’ensemble des 6 mots
VII.3.2.2. Pour le groupe de 2*6 mots appris précocement et tardivement
VII.3.3. Discussion de l’Expérience 1
VII.4. Expérience 2 de décision lexicale visuelle
VII.4.1. Matériel et méthodes
VII.4.1.1. Participants
VII.4.1.2. Stimuli
VII.4.1.3. Procédure
VII.4.1.4. Analyses statistiques
VII.4.2. Résultats
VII.4.3. Discussion de l’Expérience
VII.5. Conclusion
VIII. Interaction potentielle entre traitement des verbes d’action et performance motrice
VIII.1. Introduction
VIII.1.1. Les mots d’action et les aires corticales motrices
VIII.1.2. Le mouvement de préhension
VIII.2. Présentation de l’étude et hypothèses
VIII.3. Matériel et méthodes
VIII.3.1. Participants
VIII.3.2. Stimuli
VIII.3.3. Procédure
VIII.3.3.1. Expérience contrôle
VIII.3.3.2 Expérience
VIII.3.3.3. Expérience
VIII.3.4. Enregistrements cinématiques (Expériences 1 et 2)
VIII.3.5. Analyse des données
VIII.3.5.1. Expérience contrôle
VIII.3.5.2. Expériences 1et 2
VIII.4. Résultats
VIII.4.1. Expérience contrôle
VIII.4.2. Expérience 1
VIII.4.3. Expérience 2
VIII.4.4. Comparaison des Expériences 1 et 81
VIII.5. Discussion
VIII.5.1. Interaction entre langage et motricité.
VIII.5.2. Traitement des verbes d’action ou imagerie motrice ?
VIII.5.3. Les régions motrices sont-elles nécessaires à la compréhension des mots d’action ?
VIII.6. Conclusion.
IX. Interférence potentielle entre traitement des verbes d’action et préparation motrice :une étude couplant électrophysiologie et cinématique.
IX.1. Introduction
IX.2. Présentation de l’étude et hypothèses
IX.3. Matériel et méthodes
IX.3.1. Participants
IX.3.2. Stimuli
IX.3.3. Procédure
IX.3.4. Enregistrements et analyses EEG
IX.3.4.1. Introduction générale à l’EEG
IX.3.4.2 Procédure d’enregistrement dans notre étude
IX.3.5. Enregistrements et analyses cinématiques
IX.3.6. Analyses statistiques
IX.3.6.1. EEG
IX.3.6.2. Cinématique
IX.4. Résultats
IX.4.1. Influence du traitement des mots sur le PPM : EEG
IX.4.2. Influence du traitement des mots sur l’exécution motrice : Cinématique
IX.5. Discussion
IX.5.1. Interférence entre traitement des verbes d’action et préparation motrice
IX.5.2. L’amorçage : un outil de choix pour révéler les liens unissant le traitement des verbes d’action et le système moteur
IX.5.3. Activation automatique des régions motrices lors du traitement des verbes d’action
IX.5.4. Corrélats neuronaux des verbes et des noms et précocité des effets observés
IX.6. Conclusion
X. Le traitement des verbes d’action dans la maladie de Parkinson : étude des effets d’amorçage répété masqué
X.1. Introduction
X.1.1. La maladie de Parkinson
X.1.2. Les effets d’amorçage
X.1.3. Les effets d’amorçage chez les patients parkinsoniens
X.2. Présentation de l’étude et hypothèse
X.3. Matériel et méthodes
X.3.1. Participants
X.3.2. Evaluation des patients parkinsoniens
X.3.3. Stimuli
X.3.4. Procédure
X.3.5. Analyses statistiques
X.4. Résultats
X.4.1. Sujets sains témoins
X.4.2. Patients parkinsoniens
X.4.2.1 Phase « OFF »
X.4.2.2. Phase « ON »
X.4.2.3. Comparaison des phases OFF et ON
X.4.3. Comparaison des patients parkinsoniens et des sujets témoins
X.5. Discussion
X.5.1. L’absence d’effet d’amorçage pour les verbes d’action : une origine sémantique ou
grammaticale ? 4
X.5.2. Traitement automatique des verbes d’action et boucle frontale motrice6
X.5.3. Boucle motrice ou autres boucles frontales ?.7
X.6. Conclusion.
XI. Discussion générale.1
XI.1. Effets différents d’âge d’acquisition des mots sur la reconnaissance des noms concrets
et des verbes d’action : preuves en faveur de l’existence de réseaux neuronaux distincts .2
XI.2. Dynamique des liens fonctionnels unissant traitement des verbes d’action et contrôle
moteur5
XI.2.1 Partage de substrats neuronaux entre traitement des verbes d’action et
performance motrice .5
XI.2.2. Rôle des régions et circuits moteurs dans le traitement des verbes d’action 9
XI.3. Perspectives272
XI.4. Conclusion générale.275
Bibliographie.277
ANNEXE 1 : Evolution de la lignée humaine 2
ANNEXE 2 : Effets d’AdA sur la reconnaissance des noms concrets et des verbes d’action chez
les sujets sains (Etude 1) .3
ANNEXE 3 : Interaction potentielle entre traitement des verbes d’action et performance motrice
(Etude 2)3
ANNEXE 4 : Interaction entre traitement des verbes d’action et préparation motrice : une étude
combinant EEG et Cinématique (Etude 3)3
ANNEXE 5 : Le traitement des verbes d’action dans la maladie de Parkinson : effets d’amorçage
répété masqué (Etude 4)

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