Le lac de Paladru. Des fouilles archéologiques aux
projets de musée
Le lac de Paladru, un patrimoine unique en Europe
Deux sites de fouilles : les Baigneurs et Colletière
Le lac de Paladru est le cinquième plus grand lac naturel de France. Il est situé dans le département de l’Isère, dans la région des collines du Bas-Dauphiné, appelée Terres Froides, entre les communes de Voiron et La-Tour-du-Pin. Le lac s’étend sur 5 300 mètres, pour une superficie totale de 3,9 kilomètres carrés. Il a une profondeur moyenne de 25 mètres. Il culmine à 492 mètres d’altitude. Le lac est situé sur cinq communes, qui se partagent le littoral : Charavines à la pointe sud, Le Pin, Paladru1 à la pointe nord, Montferrat et Bilieu. Le lac de Paladru a été modelé, à l’époque glaciaire, par le glacier du Rhône. Le lac s’est formé au moment du retrait du glacier lors d’un réchauffement climatique, il y a environ 12 000 ans. Ce changement géologique fera naître deux vallées contiguës au lac de Paladru, la vallée de la Bourbe et la vallée d’Ainan, ces trois vallées formant un territoire communément appelé les Trois-Vals. Aujourd’hui, le territoire des Trois-Vals est couvert par le label Pays d’art et d’histoire, délivré par le ministère de la Culture en 1991. Celui-ci, par le biais de la direction de l’architecture et du patrimoine, attribue l’appellation » Villes et Pays d’art et d’histoire » 2 aux collectivités locales qui mènent un projet cohérent de valorisation et de sensibilisation du patrimoine. Quatre missions principales sont liées au label : 1) Diffuser et communiquer sur les patrimoines ; 2) Développer des activités éducatives ; 3) Sensibiliser des habitants ; 4) Développer du tourisme culturel. 1 La commune de Paladru a donné son nom au lac car elle en a la plus grande part. 2 Label créé en 1985 par le ministère de la Culture. Il est attribué aux communes ou pays de France qui s’engagent à mener une politique d’animation et de valorisation de l’architecture et de leurs patrimoines bâti, naturel, industriel, maritime ainsi que la mémoire des habitants. Cette démarche volontaire se traduit par la signature d’une convention « Ville ou Pays d’art et d’histoire » entre le ministère de la Culture et de la Communication (et ses services déconcentrés) et les collectivités territoriales. 9 C’est la Maison de Pays de Charavines3 qui assure la mise en œuvre de la politique de valorisation et d’animation du patrimoine. Depuis 1991, le Pays d’art et d’histoire des Trois-Vals – Lac de Paladru a construit et structuré des moyens de valorisation. Ainsi, le patrimoine couvert par le label est devenu un atout de développement à la fois local, culturel, éducatif, touristique et économique. De façon concrète, le Pays des Trois-Vals – Lac de Paladru propose des visites sur 22 sites pour comprendre l’histoire de ce territoire, s’étendant sur six communes : Bilieu, Charavines, Chirens, Le Pin, Montferrat et Virieu. Une réflexion est en cours afin d’étendre le territoire du label au Pays voironnais4 , composé de 34 communes et d’une population d’environ 85 000 habitants5 . Le lac de Paladru recèle des trésors engloutis. En effet, des sites archéologiques submergés par les eaux du lac ont été découverts. Les » stations lacustres » du lac de Paladru sont connues depuis 1860. A partir de 1866, Ernest Chantre6 commença à curer les fonds du lac, puis à ramasser des objets, à l’occasion de plusieurs saisons sèches qui lui ont permis un accès au site des Grands Roseaux7 à pied. A cette occasion, Ernest Chantre mena une première campagne de fouille jusqu’en 1885. Cependant, les méthodes utilisées sont rudimentaires et détruisent le site8 , ne laissant aucune possibilité aujourd’hui de l’explorer. Jean Guibal, conservateur en chef du Musée dauphinois, précise que » l’archéologie ne s’est hissée au rang de discipline scientifique que depuis vingt ans. Auparavant, cela consistait plutôt à chasser des trésors car l’important était de ramener des objets » 9 . De ces fouilles, Ernest Chantre publia un ouvrage10 qui fit connaître au monde savant ses découvertes, dans lequel il avance l’hypothèse des « cités sur pilotis » pour définir les habitats du lac. Or, cette hypothèse n’est plus fondée puisque les archéologues ont démontré, grâce à l’étude des structures rchitecturales du site de Colletière, analogues à celles des Grands Roseaux, que les habitants vivaient sur la terre ferme. En 1921, Hippolyte Müller11, pionnier de l’archéologie dans la région de Grenoble, profite d’une nouvelle baisse des eaux du lac, pour faire le tour des sites archéologiques signalés par Ernest Chantre. Il pousse ses recherches plus au sud du lac, sur la commune de Charavines, où il découvre deux nouvelles stations lacustres : les Baigneurs, et Colletière. Il effectua des sondages ponctuels entre les pieux qui émergeaient de la vase13, pour obtenir des datations approximatives des sites : la cité des Baigneurs date du Néolithique, tandis que celle de Colletière date de l’époque médiévale comme la station des Grands Roseaux. N’effectuant aucune fouille, les deux sites sont restés intacts jusqu’à leur fouille effective en 1971. Ainsi, après le passage d’Hippolyte Müller, aucune fouille ne fut pratiquée dans le lac, en partie à cause du niveau de l’eau revenu à la normale. Seul l’abbé Million, dans une idée de diffusion de ces découvertes archéologiques au grand public, fit une synthèse des études antérieures. A cette occasion, il réédita les légendes de la ville d’Ars, légendes qui sont certainement à l’origine des premières fouilles du lac, excitant la curiosité des archéologues du XIXe siècle. Elles tirent leur origine d’Ars, une station lacustre médiévale du lac de Paladru, située sur la commune de Le Pin. Le mythe raconte que, victime de la colère divine, la ville d’Ars fut submergée par les eaux du lac en une nuit tout comme ses habitants. Ce thème a été entretenu par les objets (outils, tessons, cuillers) que les pêcheurs remontaient dans leurs filets. C’est en 1971, après un long oubli et une nouvelle baisse des eaux, que les sites archéologiques submergés du lac de Paladru font de nouveau l’actualité. Sur la commune de Charavines, la municipalité avait un projet d’aménagement touristique du rivage du lac, menaçant les sites de Colletière et des Baigneurs. En effet, un petit port de plaisance devait être édifié sur le site de Colletière, afin de favoriser et développer les activités nautiques du lac. D’autre part, l’extension de la plage faisait également partie du projet, et pour cela il était prévu de détruire une roselière et de niveler les fonds par des apports de matériaux, précisément sur le site des Baigneurs. Personne ne s’était soucié de la destruction de deux sites archéologiques majeurs, dont aucun habitant ne connaissait encore la véritable existence. Ainsi, une intervention de sauvetage des deux sites était nécessaire. Elle fut décidée d’un commun accord entre les préhistoriens, dirigés par Aimé Bocquet14, et les historiens, dirigés par Michel Colardelle15. Manquant de moyens, ces premières fouilles de sauvetage furent menées avec l’aide d’étudiants bénévoles. » Les habitants nous prenaient pour de doux dingues « , se souvient Michel Colardelle16 . Le lac de Paladru étant privé, il fallut préalablement obtenir l’autorisation de la Société Civile du Lac de Paladru17 pour entreprendre ces opérations de sauvetage. Les deux chantiers archéologiques furent pris en charge par le Centre de Documentation de la Préhistoire alpine et le Musée dauphinois. Le Conseil Général de l’Isère, la municipalité de Charavines et le Service des fouilles et antiquités du ministère des Affaires culturelles apportèrent également une aide importante. Pour mener ces deux chantiers, il fallut faire des investissements et des aménagements essentiels comme l’installation d’une base terrestre nécessaire au travail des scientifiques, ou encore l’achat d’équipements de plongée, outils de travail indispensables à ce genre de fouilles. Des chantiers comme ceux-ci se mènent de façon méticuleuse et ont nécessité la mise au point de méthodes de fouilles spécifiques au milieu subaquatique, s’inspirant d’expériences antérieures de fouilles en lac ou en mer. Au fil des années, ces techniques se sont améliorées, permettant ainsi une réelle efficacité du travail entrepris. Ces chantiers ont impliqué de nombreux bénévoles, qui ont activement participé à leur réussite.
Des techniques d’investigation et de recherche scientifique au service de l’archéologie
Fouiller un site archéologique qu’il soit terrestre ou immergé, n’est pas un acte anodin et sans conséquence. En effet, la fouille détruit irrémédiablement le domaine même de sa recherche, et cette réalité n’échappe pas au milieu subaquatique. C’est donc un acte important qui doit être réfléchi et qui doit s’accomplir avec les précautions et les moyens techniques qui s’imposent à cette discipline. La fouille n’est pas un simple ramassage d’objets, comme cela l’était au XIXe siècle, mais une collecte complète d’informations, étudiées et analysées après l’exploration du terrain, afin de comprendre le mode de vie des hommes et de connaître la nature qui les entourait. La fouille subaquatique, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est une discipline plutôt récente. Au cours du XXe siècle, la méthode de la fouille en milieu immergé se précise. Vers 1935- 1940, l’invention du scaphandre autonome a ouvert, à l’archéologique subaquatique, de nouvelles possibilités d’exploration que l’on pourrait presque qualifier de révolutionnaires, par rapport aux ramassages grossiers qui étaient pratiqués jusque-là. Dans les premiers temps, la fouille était pratiquée par des fouilleurs, qui venaient se fournir sur les sites repérés, afin d’enrichir des collections privées. Cependant, entre 1960 et 1970, des pionniers de la recherche subaquatique, comme le Lyonnais R. Laurent, ont progressivement mis au point des méthodes ainsi que des techniques, visant à récupérer précisément et de façon raisonnée les vestiges archéologiques. Ainsi, dès 1971, année marquant le début des fouilles, Charavines devient un terrain d’expérimentation dans un premier temps, puis d’amélioration des méthodes et des techniques de fouilles subaquatiques. Les scientifiques ont cherché à adapter ces démarches afin de respecter les principes fondamentaux de la fouille, énoncés par André Leroi-Gourhan31 : – exploration des couches par décapage horizontal ; – repérage précis des vestiges et des structures dans les trois dimensions ; – extraction du maximum de renseignements à partir de tous les sédiments qui entourent les objets archéologiques32 .La fouille des sites immergés de Paladru présentait un réel défi pour les scientifiques. En effet, il leur a fallu adapter les préceptes précédents, issus de l’archéologie terrestre, au milieu aquatique en prenant en compte ses caractéristiques et ses contraintes. Cette adaptation a été délicate à mener. D’autre part, rapidement noyés, les sites ont été protégés de dégradations éventuelles : aucune occupation postérieure n’est venue les perturber. De même, l’immersion des sites a empêché le tassement des couches archéologiques sous l’effet des pluies et du piétinement. L’eau douce, froide et calcaire du lac de Paladru a permis de protéger les matières organiques des vestiges en les conservant presque parfaitement. Ainsi, les dégradations liées à ces matières ont pu être évitées : absence de variation dimensionnelle, protection contre les micro-organismes dont le développement a été empêché par la faible température des eaux. Les qualités de l’eau ont également permis le blocage du processus d’oxydation des métaux et en particulier du fer. C’est un fait assez rare pour qu’il soit signalé. De ce fait, la source d’information retenue dans les vestiges était riche. Il fallait donc employer une méthode de fouille fiable, qui puisse permettre la constitution d’une documentation complète. De plus, la précision d’observation devait être équivalente à celle dont peuvent bénéficier les fouilles terrestres, pour permettre un niveau d’interprétation archéologique aussi élevée que possible. Les fouilles en milieu aquatique sont délicates. Il paraît important de signaler le rôle du plongeur et les enjeux que représente ce genre de fouilles. Le fouilleur doit porter un équipement de plongée, qui l’encombre et gêne ses mouvements. Ainsi, ses gestes doivent être précis, mesurés, assurés, tout en étant adaptés au milieu et aux objets qu’il appréhende. D’autre part, les capacités intellectuelles des plongeurs s’engourdissent après un certain temps sous l’eau (variable selon les individus), la réflexion devient très difficile. Les plongées sont donc complétées sur terre, avec des documents pris sous l’eau (relevés, plans, échantillons), puis contrôlées par des plongées de vérification. Au vu de la difficulté de la tâche, il a paru évident aux scientifiques de privilégier la présence permanente d’une équipe d’archéologues-plongeurs, capables de maîtriser les contraintes du terrain de par leur formation et leurs expériences. Ainsi, chaque demi-journée, deux équipes de deux plongeurs se succèdent pour travailler sous l’eau, à une profondeur qui varie entre deux et quatre mètres suivant les endroits et le niveau du lac.
Introduction |