Le Karst et les matières organiques du sol
Le mot karst vient de la traduction du mot slovène « Kras » qui désigne une région du Nord-Est de l’Adriatique comprise entre le golf de Trieste, la vallée de la Vipava, la vallée de la Rasa et le secteur de Recka. Cette région, composée d’un plateau calcaire, présente une morphologie particulière de vallées sèches, dépressions fermées et de manifestations spectaculaires telles que des grottes, gouffres et rivières souterraines (Figure I-1). Terme tout d’abord géomorphologique, le karst répond parfaitement à la définition classique d’un aquifère. En effet, il est constitué d’une zone d’infiltration et d’une zone noyée. Cependant, contrairement aux aquifères poreux ou fissurés classiques, l’aquifère karstique est soumis à une évolution morphologique, transformant le paysage de surface et souterrain, par des phénomènes de dissolution de l’encaissant. Les eaux souterraines karstiques constituent la ressource principale pour l’alimentation en eau potable de la population mondiale [Goldscheider (2002)]. Les roches carbonatées karstifiées couvrent de 7 à 12 % de la surface des continents (Figure I-2). Environ 25 % de la population est alimentée entièrement ou en partie par les eaux souterraines karstiques [Ford & Williams (1989) ; Drew & Hotlz (1999)]. En France, le karst représente 35 % du territoire (soit 180 000 km²). Ce type d’aquifère fournit plus de 55 % de l’eau souterraine destinée à l’eau potable (AEP). En effet, de grandes villes sont alimentées soit en partie par un aquifère karstique (c’est le cas de Paris et Rouen), soit en totalité (par exemple Montpellier, Besançon et Poitiers). De plus, le modelé karstique regroupe des sites d’exception tels que les gorges du Tarn, celles du Verdon ou encore de L’Ardèche, les Chaos de Montpellier-le-Vieux, le gouffre de Padirac, etc. ; mais aussi les principaux gisements de plomb, aluminium, zinc et baryum (surtout pour les paléokarsts). Enfin, le karst donne naissance aux plus importantes sources en terme de débits : la source du Loiret (10 m3/s) et la Fontaine de Vaucluse (23m3/s).
Propriétés structurales des roches carbonatées
Les eaux souterraines proviennent de l’infiltration des précipitations et des eaux de surface (rivières, lacs, etc.). Leur circulation et leur stockage sont conditionnés par l’agencement géologique de l’aquifère. Ses caractères lithostratigraphiques déterminent sa géométrie, sa structure ainsi que ses propriétés hydrauliques et géochimiques. La karstification correspond à « l’ensemble des processus de genèse et d’évolution des formes superficielles et souterraines d’une région karstique » [Gèze (1973)]. Elle est principalement liée à la dissolution des carbonates et à une érosion mécanique. De plus, c’est un processus qui dépend essentiellement de deux paramètres : le potentiel de karstification (lié aux conditions climatiques régissant principalement les précipitations et la végétation donc le signal d’entrée de la pCO2 dans le système, à la géométrie du réservoir et à l’existence d’un gradient hydraulique) et la structure interne du massif (lithologie, fracturation et porosité). Le système karstique provient donc d’une structuration spatiale et temporelle d’un ensemble de vides creusés au détriment de discontinuités dans une masse rocheuse grâce à une dissipation d’énergie [Quinif (1998)]. Cette dernière résulte de la transformation de 3 types d’énergie primaire au niveau du système : l’énergie chimique, l’énergie potentielle et l’énergie mécanique.
La transformation de l’énergie chimique est la dissolution de l’encaissant avec production de la matière organique par le biotope du sol, mais peut, dans certains cas, venir d’une circulation d’air dans le sous-sol ou d’un dégazage profond et/ou volcanique. D’autre part, la cinétique de la dissolution dépend de facteurs physiques, tels que la fracturation originelle de la roche (qui permet un transport plus rapide en profondeur d’une pCO2 importante), la lithologie du calcaire (plus la roche sera riche en dolomite, plus la mise en solution sera longue [Drever (1988)]) et la structure interne de ce dernier (certaines craies peuvent posséder une forte perméabilité interstitielle, augmentant la surface de contact). Ainsi, la circulation de l’eau au sein de l’aquifère, par l’intermédiaire d’un gradient, est définie comme une condition nécessaire et suffisante, déterminant l’existence ou non d’une karstification. Cette compétition entre la vitesse de dissolution et la dynamique des écoulements soulignent une autre particularité de la karstification : le phénomène d’auto-organisation des vides, permettant une hiérarchisation de ces derniers et l’élaboration de tout un réseau de drainage souterrain [Bakalowicz (1976)]. Il existe une grande variabilité des systèmes karstiques, en raison de leurs diverses structures et fonctionnements. Ainsi, la configuration des aquifères karstiques dépend principalement de la nature de l’impluvium et de l’état de karstification du massif [Marsaud (1996)]. L’organisation de ce type de systèmes se définit en trois grandes parties représentées par la zone d’alimentation, la zone d’infiltration et la zone saturée. La Figure I-5 ci-après schématise l’organisation générale d’un karst.