Le jeu pédagogique en double-niveau : un outil pour la différenciation
Qu’est-ce que différencier ?
Dans un article de Véronique Jobin et Clermont Gauthier, nous apprenons que pour bon nombre de chercheurs internationaux, « différencier la pédagogie, c’est connaître une variété de stratégies d’enseignements et savoir quand et avec qui les utiliser », en prenant en compte les besoins individuels des apprenants27. En faisant une synthèse de la recherche sur la différenciation, les deux chercheurs ajoutent que la différenciation se fait face à un groupe d’élèves hétérogènes mais avec des objectifs communs. La différenciation est donc une pratique très large. En comparant les différents points de vue rencontrés lors de leur analyse de la recherche sur ce sujet, les chercheurs précités ont trouvé un certain nombre d’idées communes, parmi lesquelles : la nécessité d’évaluer les apprenants en tout temps de la séquence, le fait que les élèves soient actifs dans leurs apprentissages, et que la différenciation peut sembler être une tâche lourde bien que certains chercheurs comme Perrenoud et Astolfi indiquent qu’il existe des formes de différenciation bien moins ambitieuses.
Pourquoi ?
Depuis la massification du système scolaire (qui provient de différentes évolutions dans l’école de la loi Ferry de 1882 qui fixe l’instruction obligatoire de 6 à 13 ans jusqu’aux réformes telles que la réforme Berthoin de 1959 qui fixe la scolarité obligatoire à 16 ans, la réforme Haby de 1975 qui crée le « collège unique »), les classes sont devenues très hétérogènes.28 L’enseignement traditionnel magistral s’est révélé fort peu adapté à l’enseignement à un public éloigné de la culture scolaire, ou en situation de troubles de l’apprentissage. C’est dans ce contexte que s’est développée la pédagogie différenciée, se basant en partie sur le courant de l’éducation nouvelle du siècle précédent, avec pour objectif de trouver des pistes pour enseigner aux différents élèves de la manière qui serait la plus efficace pour eux29 . Mais quelles sont les différences entre les élèves ? Pour répondre à cette question, nous citerons Jean-Michel Zakhartchouk28 qui nous apprend que les élèves sont différents parce qu’ils n’ont pas tous : les mêmes acquis scolaires, les mêmes codes culturels, les mêmes expériences vécues, les mêmes habitudes éducatives, le même style cognitif, le même sexe, la même motivation, la même histoire personnelle, et le même âge… Tous ces facteurs vont jouer un rôle quant à la facilité des élèves à rentrer dans les apprentissages. Pour illustrer nos propos, nous pouvons observer le pourcentage d’élèves en retard à l’entrée en 6 e en 2005 et entre 2010 et 201530. La figure 6 nous indique qu’il varie entre 13.2% et 7.5%. La figure 7 nous montre que les élèves enfants d’ouvriers et d’inactifs sont plus souvent en retard à l’entrée en 6e que les enfants d’enseignants et de cadres. Ces chiffres nous poussent à penser que l’école peut être reproductrice des inégalités sociales. Pour tenter de réduire ces inégalités, nous pouvons entre autres nous tourner vers la différenciation, qui semble offrir de meilleurs résultats par rapport à l’enseignement descendant. C’est en tout cas une compétence indispensable des enseignants d’après le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation de 201331 . Maintenant que nous voyons plus clairement quel est l’intérêt de la différenciation, nous pouvons nous demander avec quels types d’apprenants la différenciation doit être utilisée.
Pour qui ?
D’après Perrenoud, la différenciation consiste à organiser « les interactions et les activités, de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui » 32. Véronique Jobin et Clermont Gauthier analysent cette citation comme la recherche par l’enseignant de la « [maximisation] du talent de chaque élève » 33. En ce sens, nous pouvons différencier les apprentissages pour les élèves en difficulté mais aussi pour permettre aux élèves en réussite de dépasser l’objectif d’apprentissage. En effet, d’après la théorie Vygotskienne, les apprentissages doivent se situer dans la zone proximale de développement, c’est-à-dire entre le niveau actuel de développement et le niveau potentiel de développement de l’apprenant. Si un élève a une ZPD que l’on évalue plus avancée par rapport à nos objectifs de séquence, il convient de complexifier la tâche pour permettre à l’élève de progresser. Il est par ailleurs intéressant de noter que la différenciation est composée de pratiques très larges qui ne s’adressent pas uniquement aux élèves en difficulté ou en avance. Nous pouvons nous servir des postulats de Burns pour illustrer ce fait : « Il n’y a pas deux apprenants qui progressent à la même vitesse. Il n’y a pas deux apprenants qui soient prêts à apprendre en même temps. Il n’y a pas deux apprenants qui utilisent les mêmes techniques d’étude. Il n’y a pas deux apprenants qui résolvent les problèmes exactement de la même manière. Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même répertoire de comportements. Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même profil d’intérêts. Il n’y a pas deux apprenants qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts »35 Nous pouvons déduire de ces postulats que les élèves qui ne sont pas nécessairement en difficulté peuvent bénéficier d’une pratique de la pédagogie différenciée. Par exemple, en laissant plus de temps à un élève qui en aurait besoin pour trouver une solution ou pour mémoriser quelque chose. Nous pouvons maintenant nous demander s’il existe des études qui viendraient nous indiquer si la pédagogie différenciée est plus efficace que le modèle de la transmission descendante enseignant-apprenant, et si elle l’est, quelles sont les pratiques qui ont fait leurs preuves de la manière la plus flagrante.
La différenciation est-elle efficace ?
Cette question est justement l’objet de l’article principal que nous avons utilisé pour définir la différenciation. Les deux chercheurs nous indiquent36 que l’essentiel de la littérature scientifique traitant de la différenciation sont des essais du type réflexif et des modèles théoriques (171 sur les 189 documents trouvés sur ce thème sur les trois bases de données ERIC, PsycINFO et FRANCIS). En éliminant 5 documents inaccessibles, seuls 13 documents de recherche étaient des études pratiques, qui ont fait l’objet d’une analyse concernant leur fiabilité et leurs résultats. Les deux chercheurs se sont servis du modèle des trois niveaux de recherche en éducation d’Ellis qui leur a permis de vérifier le niveau de validité des études et des critères d’analyses du U.S. Department of Education qui a permis d’examiner l’efficacité de la différenciation étudiée. Leur conclusion établit que « peu de recherches empiriques ont été effectuées au sujet des effets de la pédagogie différenciée sur la réussite des élèves. », que « peu d’effets […] ont été démontrés » et enfin que « les preuves d’efficacité présentées [se] trouvent affaiblies [par certaines des caractéristiques des études]. » Comme le dit la troisième compétence du référentiel des professeurs et personnels d’éducation, nous devons « prendre en compte la diversité des élèves » . La différenciation semble être une pratique qui porte ses fruits pour nos élèves. Cependant, il n’existe pas à ce jour de démonstration empirique pour appuyer notre intuition. Il serait alors intéressant de mener des études complémentaires pour évaluer l’efficacité de la différenciation sous ses multiples formes. Nous allons maintenant discuter des expériences que j’ai tentées de mener dans ma classe, en commençant par présenter mon organisation au regard de ce que l’on sait désormais des diverses études réalisées sur la différenciation.
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