Le jeu comme réponse à l’hétérogénéité en classe ; un outil permettant la différenciation et la motivation
L’hétérogénéité des élèves et son impact en classe
Un concept en constante évolution
« Moi, j’aime le calcul mental, les problèmes et les soustractions » ; « Moi, j’aime lire parce que je suis en train de lire le troisième tome d’Harry Potter » ; « Moi, je préfère aller à la piscine et quand on fait du sport parce que je cours le plus vite de mes copains », voici quelques exemples de paroles rapportées issues de ma classe. Face à la diversité des profils que j’ai observés, j’ai perçu la nécessité de me questionner dans un premier temps sur la notion d’hétérogénéité, sur la valeur de ce terme et sur les causes de ce phénomène. Ce concept est également lié à la notion d’intelligence dans la mesure où l’hétérogénéité révèle des inégalités en termes de capacités et de compétences intellectuelles. Ainsi, il est primordial de débuter par une définition de ces termes ambivalents dont l’envergure n’est pas évidente à déterminer dans un contexte en évolution permanente. Identifier le sens et les limites accordées à ces notions est essentiel pour entamer un travail de réflexion sur les réponses à apporter. Lorsque l’on se limite aux messages majoritairement transmis par les médias, l’hétérogénéité est définie comme une diversité des profils des élèves résultant du contexte socio-économique de la société. On peut trouver des éléments permettant d’expliquer ce rapport à l’hétérogénéité lorsque qu’on décortique l’historique de notre système éducatif. Ce phénomène prend racine sous la Ve République avec la création du collège unique introduit par la loi Haby de 1975 qui crée une massification importante au sein des écoles. En effet, les années 1950 marquent un bouleversement dans l’organisation de la scolarité. Les élèves français connaissent un allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans ainsi qu’un accès gratuit et donc facilité à des formations aux qualifications élevées. On passe alors d’un système élitiste réservé à des catégories sociales privilégiées à une scolarité qui se veut plus égalitaire permettant d’intégrer les classes moyennes. Couplé à une explosion démographique boostée par la dynamique des Trente Glorieuses et une série de réformes et de lois motivée par une émancipation intellectuelle, le nombre d’élèves scolarisés augmente considérablement. Florence Defresne et Jérôme Krop, « La massification scolaire sous la Ve République », Éducation & 3 formations, n°91, septembre 2016, 20 pages, p. 5-8.Cette démocratisation apparaît premièrement comme une réduction des inégalités sociales par rapport au modèle précédent favorisant la ségrégation sociale en séparant les différentes classes de la société. Comme on peut le voir ci-dessus dans la figure 4. Néanmoins, « à partir du milieu des années 1990, les inégalités scolaires qui avaient en partie régressé commencent à se reconstituer. » .On attribut alors au terme d’hétérogénéité un caractère social, qui invite à le définir comme un concept déterminant la diversité des élèves venant de contextes sociaux-économiques différents. Le rapport à l’école et aux apprentissages des élèves issus des classes ouvrières n’étant pas le même que ceux issus des classes privilégiées. Ainsi, « une population d’élèves se conforme moins à la norme scolaire traditionnelle, […] de la maternelle à l’université, le public d’élèves s’est diversifié, tout en donnant lieu à une plus grande difficulté dans l’exercice du métier d’enseignant. » . On remarque effectivement, au regard des résultats de l’étude PISA de 2015, que « les élèves les plus défavorisés […] sont moins susceptibles de réussir à l’école que leurs camarades plus favorisés » . Cette vision est alimentée par les discours médiatiques pointant le système 6 éducatif français comme facteur de reproduction des inégalités sociales en classe. Néanmoins, ce point de vue déterministe qui rejoint les théories de Pierre Bourdieu est à nuancer. Le sociologue a développé l’idée selon laquelle un individu est déterminé par son statut social. L’enseignement étant fondé sur des idéologies propres à la classe dominante, il favoriserait les élèves issus de milieux privilégiés pourvus d’un « bagage culturel » leur permettant la réussite. Pierre Bourdieu nomme ce phénomène le « handicap socio-culturel », ; les élèves issus des classes populaires n’étant pas dotés des valeurs développées à l’école sont alors voués à l’échec .Cette conception pessimiste est à relativiser. Plusieurs théoriciens tel que Bernard Charlot viennent ajouter que l’origine sociale ne dicte pas la réussite scolaire, replaçant un certain espoir dans une vision individualiste des élèves . De même, Philippe Meirieu développe le principe d’éducabilité cognitive de chaque élève donnant une perspective plus positive sur l’avenir de notre système éducatif. Ils mettent en avant l’idée selon laquelle il faut croire dans le potentiel des apprenants et proposer des méthodes pour les faire progresser. On sort alors du déterminisme vu précédemment pour envisager l’enseignement comme moyen de développer les aptitudes de chacun et ainsi de limiter l’impact socio-économique en mettant en place des réponses adaptées . L’élève n’est pas uniquement déterminé par son appartenance sociale et son profil personnel se doit d’être pris en compte. C’est l’individu qui est placé au centre de ces théories. Cela donne lieu à une nouvelle définition de l’hétérogénéité de nos classes, à savoir une diversité de profils sur le plan cognitif, affectif et émotionnel. Une diversité des modes d’apprentissage, de développement, d’intérêt, etc. Philippe Meirieu, « Le pari de l’éducabilité », Conférence donnée à l’ENPJJ à Roubaix, le 5 nov. 2008. Cette dynamique trouve écho dans la théorie des intelligences multiples élaborée par Howard Gardner. Renaud Keymeulen utilise la métaphore d’un trousseau de clé pour illustrer cette idée : « Lors de notre naissance, nos parents nous fournissent un trousseau de huit clés qu’ils essayeront de nous faire utiliser correctement. Dans ce trousseau, nous retrouvons la clé musicale, la clé de l’environnement, la clé logique, la clé sportive, la clé de l’introspection, la clé du langage, la clé de l’amitié et la clé de l’espace. En grandissant, nous allons prendre soin de certaines plus que d’autres. Celles dont nous aurons pris soin ouvriront les portes parce qu’elles auront été davantage utilisées. Les autres, n’étant pas régulièrement employées, rouilleront et auront beaucoup de difficultés à ouvrir leur porte spécifique » . Ainsi, chaque 10 élève disposerait d’un capital d’intelligences diverses, prenant place dans différentes parties de son cerveau, qu’il aurait développé par son vécu et qui le rendrait plus ou moins à même de s’adapter à son milieu. Créant de fait la variété des profils des êtres humains. En identifiant les points forts de chaque profil, il devient alors plus aisé de développer une approche positive, motivante et favorisant l’estime de soi. Cette conception novatrice de l’hétérogénéité permet de donner un nouvel élan à la pédagogie pour aboutir à une école qui s’adresse à tous les élèves. Contrairement aux tests de QI qui permettaient auparavant de déterminer le potentiel des individus, l’intelligence n’est ici plus envisagée comme quelque chose de fixe et de mesurable mais davantage comme pluri-sensorielle et « appréciée dans des situations contextuelles variées ou dans la vie de tous les jours » . Son estimation ne se limite plus à une évaluation des capacités en linguistique, en logique et en culture car on prend en compte toutes les facettes de l’être humain. Je détaillerai d’ailleurs les différentes intelligences dans la prochaine sous-partie au moyen d’exemples concrets issus de ma classe. Nous pourrions conclure cette première sous-partie par les propos encourageants de Thomas R. Hoerr, à savoir que « la théorie des intelligences multiples de Gardner a de grandes répercussions dans le monde de l’éducation parce qu’elle présente un modèle qui permet d’agir sur ce que nous croyons : tous les jeunes ont des forces » . Cette philosophie est celle 12 dont je me suis inspirée pour réaliser ce mémoire et que j’ai voulu transmettre et mettre en œuvre dans ma pratique.
Le jeu comme levier de différenciation
Le jeu en réponse aux difficultés des élèves
La motivation et l’estime de soi
Soucieuse de cerner les problématiques dans leur globalité, il m’est apparu essentiel de débuter mon élaboration des remédiations par la recherche des facteurs et des causes des difficultés de mes élèves. Mes observations et investigations ont révélé que les raisons principales de ceux-ci étaient liés à un manque d’estime de soi, un rapport négatif aux tâches scolaires, une absence de motivation, d’intérêt mais aussi de sens dans les activités qui leur posaient problème. À la question « Aimes-tu les mathématiques ? », l’élève J m’a spontanément répondu « Non ! Parce que j’aime pas calculer, je suis nulle pour ça […], je trouve ça ennuyeux, […]. Et de toute façon on n’en a pas vraiment besoin parce qu’on peut utiliser une calculatrice. ». On remarque que cette apprenante ne perçoit pas l’intérêt des activités mathématiques, qu’elle a un rapport et une estime de soi négative qui créent un blocage dans cette matière et coïncident avec son profilage, développé précédemment, démontrant un manque d’intelligence logicomathématique. Si cette élève reste dans cette dynamique, elle risque d’entretenir ses lacunes qui pourront, à terme, l’empêcher de développer des compétences fondamentales pour sa réussite scolaire. Afin d’approfondir cette analyse, j’estime qu’il est important de revenir sur le terme de motivation. On distingue plusieurs types de motivations. La première prend la forme du « besoin de curiosité », développé par Robert Butler. C’est la « stimulation cognitive », l’intérêt pour l’objet de savoir qui alimente la motivation et pousse à apprendre. Harry 2 Harlow vient compléter cette théorie en nommant cette curiosité personnelle et profonde : « motivation intrinsèque » . Il y oppose la motivation « extrinsèque », qui est alors définie comme une « action provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tièrce…) » . Cette motivation issue d’une source extérieureà l’élève apparaît comme artificielle et vide de sens. Or « pour que l’on passe à l’action, pour que l’on fasse quelque chose, il faut que notre conduite ait un sens » . La motivation extrinsèque s’apparente davantage à une contrainte qu’à une réelle envie. En effet, « toute contrainte externe est perçue comme une diminution du « libre arbitre » . De plus, il a été 26 prouvé que « la motivation intrinsèque se distingue de la motivation extrinsèque par une plus grande persévérance » . Cette notion est enrichie des concepts de « compétence perçue » qui 27 renvoie à l’estime et la confiance que l’apprenant s’accorde mais aussi « d’autodétermination », à savoir l’implication volontaire et intéressée dans une tâche, sans contrainte externe . Tous ces éléments théoriques me permettent de mieux comprendre ce qui 28 favorise la participation et l’implication dans l’apprentissage et de jouer sur ces facteurs. Ainsi, l’estime de soi est un autre point important dans la motivation des élèves. Selon De Saint Paul, « l’estime de soi est l’évaluation positive de soi-même fondée sur la conscience de sa propre valeur. […] L’estime de soi est également fondée sur le sentiment de sécurité que donne la certitude de pouvoir utiliser son libre arbitre, ses capacités et ses facultés d’apprentissage pour faire face, de façon responsable et efficace aux événements et aux défis de la vie. » . Agir en individu indépendant, sur de soi et maître de ses capacités deviennent les conditions d’une entrée motivée dans les apprentissages. De plus, la motivation a également de fortes répercussions sur la mémorisation à long terme ce qui permet une plus grande performance lors des apprentissages scolaires
INTRODUCTION |