Le gallicanisme au service de la concorde
Les controverses doctrinales au début du XIXe siècle
En 1944, André Latreille fait paraître son article sur le gallicanisme ecclésiastique sous le premier Empire2 . Celui-ci offre un éclairage utile sur les différentes visions du gallicanisme prônées par les évêques de cette période sans toutefois épuiser la question. Le livre d’AiméGeorges Martimort sur le gallicanisme de Bossuet3 , qui décrit bien cette question pour le XVIIe siècle, constitue une synthèse intéresssante, les idées de l’évêque de Meaux et la Déclaration des quatre Articles de 1682 formant la colonne vertébrale du gallicanisme à l’époque impériale. Un tel ouvrage centré sur les premières années du XIX e siècle permettrait toutefois de combler une lacune de l’historiographie mais aussi de présenter de manière plus complète le gallicanisme impérial tel que l’envisage Napoléon et celui des évêques qui en est bien différent. Louis Madelin offre au début du XXe siècle une vision élargie du gallicanisme et des différents traités signés entre l’État et l’Église de France et le Saint-Siège4 , apportant des renseignements précieux sur les négociations passées, qui sont de nouveau analysés par les évêques de l’Empire alors que l’idée d’une abrogation du Concordat de 1801 est évoquée par Napoléon à partir de 1809. On retrouve aussi à la même période une large étude sur la question de l’investiture canonique des évêques en France5 à travers les siècles, permettant ainsi d’avoir un panorama plus large sur ce point de tension qui parasite à plusieurs reprises au cours de l’histoire les rapports entre l’État français et la papauté. Les travaux plus récents de Catherine Latines, 1959, 224 p. ; L’action de l’archevêque nommé de Malines a été étudiée plus récemment dans la thèse de Claire LEJEUNE, « L’abbé De Pradt (1759-1837) » Thèse de doctorat sous la direction de Jean Tulard, Paris, 1996, 2 volumes. 1 Rémy HÊME DE LACOTTE, « Entre le trône et l’autel : la grande aumônerie de France sous l’Empire et la Restauration (1804-1830) » Thèse de doctorat, Université Paris IV, Paris, 2012, 3 volumes. Maire apportent une vision plus précise des termes utilisés pour désigner ces différents courants de pensée circulant dans le grand Empire . D’autres recherches permettent ensuite de définir plus clairement les contours du gallicanisme prôné par l’épiscopat en France2 , comme en Italie3 sous le premier Empire. Des études plus locales ont aussi pu être effectuées notamment sur le cas de l’Alsace où l’épiscopat de Mgr Saurine, profond gallican, ouvre pourtant la voie aux tendances ultramontaines4 . Ambrogio Caiani, dans un article récent, a quant à lui montré au contraire l’échec du gallicanisme impérial dans les années 1810, les évêques de France renonçant à suivre Napoléon dans les propositions qu’il émet contre le pape lors du concile national de 18115 . Enfin, il ne serait pas possible de traiter un tel sujet sans évoquer les travaux de Sylvio de Franceschi dont les développements permettent de profondément préciser les débats doctrinaux à l’œuvre au début du XIXe siècle entre gallicans et ultramontains français et italiens. Ceux-ci offrent de précieux renseignements sur la réutilisation des ouvrages de Bossuet au début du XIXe siècle par les évêques et les théologiens de l’Empire et de la Curie romaine qui cherchent à démontrer son attachement au Saint-Siège6 .Maire apportent une vision plus précise des termes utilisés pour désigner ces différents courants de pensée circulant dans le grand Empire1 . D’autres recherches permettent ensuite de définir plus clairement les contours du gallicanisme prôné par l’épiscopat en France2 , comme en Italie3 sous le premier Empire. Des études plus locales ont aussi pu être effectuées notamment sur le cas de l’Alsace où l’épiscopat de Mgr Saurine, profond gallican, ouvre pourtant la voie aux tendances ultramontaines4 . Ambrogio Caiani, dans un article récent, a quant à lui montré au contraire l’échec du gallicanisme impérial dans les années 1810, les évêques de France renonçant à suivre Napoléon dans les propositions qu’il émet contre le pape lors du concile national de 18115 . Enfin, il ne serait pas possible de traiter un tel sujet sans évoquer les travaux de Sylvio de Franceschi dont les développements permettent de profondément préciser les débats doctrinaux à l’œuvre au début du XIXe siècle entre gallicans et ultramontains français et italiens. Ceux-ci offrent de précieux renseignements sur la réutilisation des ouvrages de Bossuet au début du XIXe siècle par les évêques et les théologiens de l’Empire et de la Curie romaine qui cherchent à démontrer son attachement au Saint-Siège6 .
Le grand Empire de 1811
Une étude complète sur la lutte que se livrent Napoléon et Pie VII dans les dernières années du régime impérial ne peut se limiter au territoire français, mais doit nécessairement prendre en compte l’ensemble du grand Empire, les enjeux de ce conflit ayant des conséquences sur tous les États sous domination française. Ainsi, les départements italiens qui sont progressivement réunis à la couronne impériale, et notamment les États pontificaux et Rome doivent être pris en compte. De plus, la nomination d’évêques français dans certains diocèses importants d’Italie contribue encore plus à leur intégration à ce sujet, et permettent même de l’enrichir par l’étude des réactions de ces prélats dans un contexte local autre et au contact d’un clergé à l’état d’esprit bien différent. On peut citer parmi eux les cas du cardinal Maury, archevêque de Montefiascone au début de notre période, mais aussi de Mgr Fallot de Beaumont titulaire du siège de Plaisance, de Mgr Dejean de Saint Sauveur nommé à l’évêché d’Asti, ou de Mgr d’Osmond, évêque de Nancy transféré à l’archevêché de Florence. Les deux derniers cités n’obtiennent pas l’investiture canonique du pape, ce qui renforce encore l’importance de leurs cas dans cette querelle. L’annexion de Rome en 1809 fait aussi de cette ville un point central de l’opposition politique et religieuse à Napoléon, que le général Miollis, qui préside la Consulte chargée de l’administration de la ville, a bien du mal à contenir. L’historiographie fournit ainsi plusieurs ouvrages sur l’Italie napoléonienne1 qui prend une importance politique non négligeable dans les années 1810 en raison des nombreux libelles d’opposition au régime et favorables au Saint-Siège qui y circulent alors. De même, la Belgique, annexée à la France depuis 1794, tient une place importante dans les évènements religieux des dernières années de l’Empire. Très fortement imprégnés par les idées ultramontaines, les diocèses belges offrent l’occasion d’étudier plus précisément les réactions d’évêques dans un contexte où une majorité du clergé local dénonce la politique religieuse menée par l’empereur. Cette analyse est rendue encore plus intéressante par la présence d’évêques ayant des relations bien différentes avec le gouvernement français dans les années 1808-1813. Face à l’archevêque de Malines, Mgr de Pradt, fervent soutien du régime impérial, on retrouve certains prélats qui prennent leur distance de façon toujours plus ostensible à partir de 1809 comme Mgr de Broglie et Mgr Hirn, respectivement évêque de Gand et de Tournai1 . À noter que ces deux derniers ont une trajectoire particulière puisqu’ils font partie des trois évêques arrêtés sur ordre de Napoléon lors du concile national de 1811. La politique menée par Paris ainsi que les tentatives d’affermissement du gallicanisme dans ces territoires soulèvent une opposition qui se structure dans la cadre du groupe anti-concordataire des Stévenistes qui influence l’action des évêques, notamment en facilitant la circulation entre leurs mains de documents produits par le pape en exil à Savone. Face à une telle résistance, Napoléon prend durant la période plusieurs mesures répressives à l’encontre du clergé, de vicaires généraux voire même de quelques évêques, illustrant les instruments de surveillance et de contrôle que met en place le gouvernement à l’encontre du personnel ecclésiastique de ces diocèses parfois frondeurs2 . Les diocèses compris dans les départements allemands sont aussi inclus dans cette étude, d’abord en raison de la présence, à leur tête, d’évêques français jouant parfois un rôle de premier plan dans les affaires religieuses à partir de 1808, l’évêque de Trêves, Charles Mannay 3 , prenant ainsi part aux deux comités ecclésiastiques et aux deux députations d’évêques envoyés à Savone auprès de Pie VII. Ces territoires présentent, en outre, un intérêt particulier puisqu’ils donnent à voir l’influence qu’ont pu avoir les idées fébroniennes, encore très répandues dans le clergé au début du XIXe siècle, sur le gallicanisme prôné par l’épiscopat français à cette période. L’ouvrage de Georges Goyau paru en 19054 , qui contient de nombreuses informations sur la perception des affaires religieuses impériales dans la Confédération du Rhin, constitue une bonne synthèse sur l’état du fébronianisme en Allemagne au début des années 1800.
Le temps court
Le choix d’une analyse centrée sur le conflit qui oppose Napoléon et Pie VII et la quantité d’évènements survenant dans ce contexte en un faible laps de temps a orienté rapidement vers des bornes chronologiques assez resserrées. Mais la limitation dans le temps de cette querelle du Sacerdoce et de l’Empire n’est pas chose aisée, les fondements de celle-ci pouvant déjà se lire au travers du Concordat et des Articles organiques qui lui sont attachés. Ces deux textes constituent les fondements du gallicanisme impérial et épiscopal dans les premières années du XIXe siècle et règlementent les processus de nomination et d’investiture canonique des évêques autour desquels se cristallise le conflit dès 1808. Alors que la venue de Pie VII à Paris à l’occasion du sacre impérial n’aboutit à aucune concession de la part de Napoléon, chaque nouvelle divergence devient, à partir de là, l’objet de tensions plus importantes et de réclamations toujours plus fortes de la part du Saint-Siège. C’est cette réalité qui pousse André Latreille à faire remontrer les origines de la discorde à cette période lorsqu’il écrit : « Entre Pie VII et Napoléon, le dissentiment à des origines plus lointaines et des causes plus profondes qu’on ne l’admet communément. Une idée paresseusement reçue veut qu’il procède de la décision prise en 1808 par Napoléon d’occuper l’État pontifical, pour le fermer au trafic anglais et y faire observer le Blocus continental. Il y faut renoncer absolument. Ce ne sont point des facteurs économiques, insignifiants dans le cas de l’État romain, mais des considérations religieuses du côté du pape, des nécessités politiques et militaires pressantes du côté de l’Empereur qui ont ébranlé l’entente des deux souverains dès la fin de 1805 et jeté le trouble dans toute l’Église catholique1 . » L’année 1805 est aussi celle retenue par Jean Godel2 comme point de départ de l’affrontement opposant Rome et Paris sous le Premier Empire. Face à la justesse de ces arguments, deux éléments viennent toutefois motiver le choix de l’année 1808 comme point de départ de cette étude. D’une part, si le conflit entre les deux souverains ne démarre effectivement pas à cette date, il n’en reste pas moins qu’elle correspond à une phase d’aggravation rapide de celui-ci. L’occupation de Rome par les troupes du général Miollis le 2 février 1808 marque la première remise en cause directe du pouvoir temporel du pape contre laquelle il ne cesse de s’élever durant les années suivantes. L’historiographie récente semble également valider ce choix, Bernard Plongeron faisant démarrer à cette date le dernier chapitre de son ouvrage intitulé « Les réactions d’un pape aux liens : Pie VII face à Napoléon (1808- 1814)1 ». De même, le colloque tenu en 2010 sur La crise concordataire reprend également ces bornes chronologiques, Rémy Hême de Lacotte soulignant dans l’introduction des actes de ce colloque que « longtemps larvé, l’antagonisme entre le Saint-Siège et l’État français se mue, à partir de 1808, en un duel paroxystique, scandé d’épisodes dramatiques2 (…) ». D’autre part, en centrant cette étude sur la posture adoptée par l’épiscopat français face à cette crise, force est de constater que les réactions des évêques sont quasiment inexistantes avant 1808, ces derniers affichant jusque-là un soutien inébranlable envers Napoléon que vient à peine troubler la publication, deux ans auparavant, du catéchisme impérial qui crée, à l’inverse, plus d’agitation parmi le clergé de second ordre. L’année retenue comme fin de cette crise, celle de 1814, est plus consensuelle et crée moins de débats, puisqu’elle est justifiée à la fois par l’échec des dernières négociations menées par Napoléon qui dépêche à Fontainebleau pour ces ultimes tentatives Mgr Fallot de Beaumont, et par la libération de Pie VII et son long trajet retour en direction de Rome qui aboutit le 24 mai 1814. Cette étude se centre donc sur les six dernières années de l’Empire, durant lesquelles les péripéties politico-religieuses se font plus nombreuses et plus denses, même si l’empereur témoigne à plusieurs reprises de sa colère face aux lenteurs de la cour de Rome. Le gouvernement français se voit à plusieurs reprises contraints de repousser les tentatives de conciliation avec le Saint-Siège en raison des impératifs militaires qui se font, eux aussi, de plus en plus pressants durant ces années. Cette analyse implique donc la relation d’évènements qui se tiennent sur un temps relativement court et qui sont répartis autour des deux temps forts que constituent les étés 1809 et 1811.
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