L’instauration d’un marché unique européen
L’instauration d’un marché commun d’abord, puis unique ensuite, à l’Union européenne est le fruit des différents textes fondateurs de l’Union. Cette construction s’est effectuée en deux étapes, tout d’abord en supprimant les frontières entre les différents Etats membres (§1) puis en élaborant un cadre harmonisé de règles (§2).
Paragraphe 1 – La genèse du marché unique européen
La mise en commun des ressources nécessaires à l’économie de guerre. – Au lendemain de la seconde guerre mondiale a émergé l’idée 10 d’une réconciliation des Nations européennes par la création d’une organisation supranationale11 ayant pour objectif principal le rapprochement des peuples par un rapprochement économique et plus particulièrement par la mise en commun des ressources nécessaires à l’économie de guerre (charbon et acier). Cette organisation va permettre la mise en commun de la production et de la consommation du charbon et de l’acier entre les six pays signataires: la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas et le Luxembourg.
L’instauration d’un marché commun – Le Traité de Rome, signé le 25 mars 1957, et, entré en vigueur le 1er janvier 1958, marque une étape essentielle dans l’histoire de la construction européenne. En effet, l’article 2 dudit traité énonce que « la Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu’elle réunit ».
Pour y parvenir, les pays européens entreprennent de supprimer progressivement les barrières internes à la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes (« les quatre libertés »). Ils prévoient notamment la mise en place d’une politique commerciale commune, ainsi que la création d’une union douanière supprimant totalement les droits de douanes intérieurs aux Etats membres de la Communauté Economique Européenne, tout en instaurant un tarif douanier extérieur commun.
La notion de « marché unique européen» – Jacques Delors, à son arrivée à la tête de la Commission européenne en 1985, fixe comme objectif l’achèvement de la réalisation du marché commun. Le 14 Juin 1985, la Commission présente au Conseil européen « le Livre Blanc », projet visant à stimuler la reprise économique en levant les obstacles réglementaires, fiscaux, techniques et financiers faisant échec à la libéralisation des échanges intracommunautaires. Ce texte abouti à la signature de l’Acte Unique Européen, signé le 17 février 1986 et entré en vigueur le 1er juillet 1987.
Le marché unique, élément clef de la politique européenne – La notion de « marché unique européen » dépasse l’objectif économique initial pour atteindre une envergure politique avec le Traité sur l’Union Européenne, il demeure cependant un objectif à poursuivre et à étendre à d’autres domaines.
Le Traité de Lisbonne, quant à lui, en donnera une définition : « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités » . Il apportera en définitive peu de modification au marché unique, à l’exception de l’obligation imposée à l’union européenne de prendre en compte le respect d’exigences sociales dans l’élaboration de ses politiques.
L’élaboration d’un cadre harmonisé de règles.
L’harmonisation européenne des règles nationales s’est effectuée en plusieurs étapes et selon des mécanismes différents. Certaines règles ont fait l’objet d’une harmonisation de principe afin de ne pas limiter la liberté de circulation (A) tandis que d’autres ont été harmonisées par l’avènement d’un principe issu de la nécessité de réguler le marché commun (B).
Une harmonisation de principe : la liberté de circulation ancrée dans les Traités européens
Quatre grandes libertés – Le liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, est garantie sur un marché au sein duquel aucun frein ne peut être porté à la liberté de mouvement des valeurs économiques. La libre circulation des marchandises – La liberté de circulation des marchandises a été la première liberté reconnue dans le Traité de Rome de 195717. Réaffirmée par la Cour de Justice des Communautés Européennes (aujourd’hui Cour de Justice de l’Union Européenne) en ces termes « la libre circulation des marchandises constitue un des principes fondamentaux du traité »18, elle est aujourd’hui garantie par l’article 28 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne selon lequel : « l’Union comprend une union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises et qui comporte l’interdiction, entre les États membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers ».
Une harmonisation sectorielle : les principes régulateurs du marché commun
Les principes régulateurs du marché commun sont d’une part le principe d’harmonisation (1) et d’autre part le principe de reconnaissance mutuelle (2).
Le principe général d’harmonisation
Les fondements juridiques de l’harmonisation – Afin d’éviter les divergences entres les Etats membres, pouvant provoquer des distorsions de concurrence, ou encore une limite à la liberté de circulation, le droit de l’Union va procéder à une harmonisation des législations. Cette harmonisation consiste en un rapprochement des législations nationales par l’adoption d’un texte de l’Union26 se substituant totalement ou pour parti aux dispositions nationales en vertu du principe de primauté du droit de l’Union institué par la Cour de Justice des Communautés Européenne le 15 juillet 196427. L’article 94 du Traité instituant une Communauté Européenne prévoyait la possibilité d’effectuer une harmonisation des législations nationales à condition d’obtenir l’accord unanime des Etats membres de la communauté. Désormais, et depuis l’Acte Unique Européen, cette harmonisation s’effectue à la majorité qualifiée pour les compétences expressément prévues par les traités, et demeure à l’unanimité pour les compétences non expressément prévues par les traités mais qui ont une « incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur ».
Le principe général de reconnaissance mutuelle
L’origine jurisprudentielle de ce principe – Par un arrêt de principe, la Cour de Justice des Communautés Européennes a, le 20 février 1979, reconnu le principe de reconnaissance mutuelle selon lequel : « tout produit légalement fabriqué et commercialisé dans un Etat membre, doit pouvoir être commercialisé dans un autre Etat membre » sauf exception d’intérêt général. Par cette jurisprudence, la Cour assure la libre circulation des services et des marchandises sans qu’il ne soit nécessaire d’harmoniser les législations nationales.
La portée de ce principe – Afin que le principe de reconnaissance mutuelle soit pleinement appliqué, le Conseil et le Parlement européen ont adopté le 9 juillet 200832 le règlement (CE) n° 764/2008 selon lequel : « le principe de reconnaissance mutuelle (…) est l’un des moyens permettant de garantir la libre circulation des marchandises sur le marché intérieur. La reconnaissance mutuelle s’applique aux produits qui ne font pas l’objet de la législation communautaire d’harmonisation, ou aux aspects des produits qui ne relèvent pas du champ d’application de cette législation. Conformément à ce principe, un État membre ne peut pas interdire la vente sur son territoire de produits qui sont commercialisés légalement dans un autre État membre, et ce même si ces produits ont été fabriqués selon des règles techniques différentes de celles auxquelles sont soumis les produits fabriqués sur son territoire. Les seules exceptions à ce principe sont des restrictions justifiées par les motifs énoncés à l’article 30 du traité ou d’autres raisons impérieuses d’intérêt public et proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent ». Selon ce même règlement, régissant les droits et obligations des autorités publiques et des entreprises souhaitant commercialiser leurs produits sur le territoire d’un autre Etat membre, le présent principe s’applique à toute décision administrative mais aussi à toute disposition législative, réglementaire ou, une nouvelle fois, administrative perturbant le commerce intracommunautaire, à l’exception des décisions judiciaires.
L’élaboration difficile d’une politique sociale commune
La volonté de développer une politique sociale européenne (I) a donné naissance à un modèle social européen insuffisant (II).
Paragraphe 1 – Le développement d’une politique sociale européenne
L’élaboration d’une politique sociale commune s’est effectuée tout d’abord comme une mesure d’accompagnement de la construction économique (A), puis, dans les années 80 par une réelle volonté d’harmoniser le droit social européen en tant que tel (B).
Une construction sociale comme corollaire à la construction économique
Une construction lente – Durant les vingt premières années de la construction européenne le développement d’un modèle social européen ne figurait pas parmi les préoccupations des politiques européennes. En effet, celles-ci étaient focalisées sur la nécessité de consacrer pleinement la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux sur le territoire de la Communauté. De ce fait, le développement d’un cadre social européen n’était que le corollaire d’une construction européenne principalement économique et monétaire.
Les prémisses d’une construction sociale indépendante
La Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs – A travers la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs35, la Communauté Européenne reconnait que la construction d’un marché économique devait aller de concert avec la création d’un espace social européen excluant la pratique du dumping social. Pour y parvenir, elle énonce un certain nombre de droits sociaux représentant un socle de principes minimaux communs à l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Pour autant cette Charte n’ayant pas de réelle portée normative36 il faudra attendre le traité de Maastricht pour établir une véritable politique sociale.
Le traité de Maastricht – Le traité de Maastricht étend les compétences de l’union en matière sociale ainsi que le domaine du vote à la majorité qualifiée. De façon générale, et pour la première fois depuis le début de la construction européenne, la politique sociale est affirmée dans le droit primaire de manière totalement indépendante de l’établissement d’un marché commun et d’une union économique et monétaire. En outre, le traité consacre et renforce de manière significative l’action des partenaires sociaux, dans le cadre de l’élaboration de normes communautaires s’effectuant par le biais de négociations collectives.
Avec le Traité d’Amsterdam, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Traité de Nice l’assise de la politique sociale européenne a été renforcée.
L’émergence d’un modele social européen insuffisant
Malgré les avancées établies en matière sociale, l’objectif d’une convergence des législations sociales n’a toujours pas atteint un résultat satisfaisant (A), de telle sorte qu’une concurrence sociale déloyale continue de s’exercer de façon croissante.
Une convergence sociale européenne à rebours
Un bilan social en demie-teinte – Dès l’origine de la construction européenne, le travail a été considéré comme un outil de production nécessaire à la création du marché commun. Le traité de Rome a donc conféré aux agents économiques du marché commun le même droit à la libre circulation que les biens, les services et les capitaux.
Pour autant, le traité de Rome n’était pas totalement dépourvu d’objectif social. En effet, son article 117 dispose en ces termes que « les États membres conviennent de lanécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la maind’oeuvre permettant leur égalisation dans le progrès. Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché commun, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par le présent Traité et du rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives38 ». Ce rapprochement des législations sociales est encadré par l’article 118 A du même traité énonçant que l’harmonisation communautaire s’effectuera par l’adoption de prescriptions minimales ne faisant pas « obstacle au maintien ou à l’établissement de mesures de protection renforcée de la part des États membres »39. En d’autres termes, l’Union se donne pour objectif l’adoption de mesures sociales minimales afin de diminuer les clivages entre les différents Etats membres, et instaure, dans le souci d’une meilleure protection des droits des travailleurs européens, une clause de non régression sociale. Les Etats membres espéraient alors que « l’effet combiné des forces du marché et de plusieurs dispositions en faveur d’une harmonisation minimale, aboutirait presque automatiquement à une convergence des normes du travail et de qualité de vie »40. À la volonté d’établir un socle minimum de droits sociaux se mêle, en effet, le souci d’éviter les distorsions de concurrence par le jeu d’un certain dumping social.