Le droit au divorce émanation des droits fondamentaux

L’HYPOTHESE INTERNE DE L’AVENEMENT D’UN DROIT FONDAMENTAL AU DIVORCE

La consécration d’un droit au divorce en tant que droit primordial pourrait résulter en droit interne d’une intervention du juge constitutionnel. Cette perspective n’est envisageable que sous le regard d’un droit fondamental déjà reconnu en tant que tel. En effet, le droit au divorce serait le résultat d’une interprétation ductile d’un droit fondamental déjà reconnu dans le bloc de constitutionnalité.
Le cheminement à suivre pour aboutir à une proclamation éventuelle passe par une consolidation des droits de l’individu grâce à la déclinaison de la liberté individuelle (§1) et serait le fruit d’une propension à la prolifération de droits inhérente au droit à la vie privée (§2).

La consolidation des droits de l’individu par la déclinaison de la liberté individuelle

Définir la liberté individuelle est un exercice délicat. Elle fait appel à la liberté de corps et la liberté d’esprit691. Cette notion relative à l’homme a donc plusieurs facettes. La liberté individuelle figure directement dans le corps de la Constitution du 4 octobre 1958. L’article 66 de la loi fondamentale prévoit : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle est également présente dans d’autres sources comme dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme : « Les hommes naissent libres et égaux en droit » et dans son article second ou encore dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
La liberté individuelle est une notion originale et typiquement française. Elle est marquée par une diversité d’approches. La première approche correspond à une approche restrictive de l’article 66 et ne vise que la sûreté. C’est-à-dire que tout homme ne peut être arrêté, ni retenu en dehors des cas prévus par la loi. La deuxième approche extensive de la liberté individuelle inclut : « la sûreté, la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée, l’inviolabilité du domicile et de la correspondance et la liberté du mariage »693. La preuve en est de son élasticité, la liberté individuelle a permis de constitutionnaliser nombre de libertés.

La propension à la prolifération de droits inhérente au droit à la vie privée

Le respect de la vie privée n’est pas nouveau dans le paysage du divorce. Il a déjà trouvé à s’appliquer en matière de faute de divorce. En effet, la notion de respect de la vie privée a empiété sur le terrain de la preuve de la faute et particulièrement l’adultère. Les relations extra conjugales relèvent de plus en plus du domaine de la vie privée et de ce fait ne doivent pas servir à la démonstration de la faute. Il y a incontestablement une privatisation des rapports conjugaux et cette protection de l’intimité ne pourrait-elle pas s’étendre à l’ensemble du divorce ? Le respect de la vie privée serait le fondement textuel d’un droit à l’intimité dans les relations du mariage dont pourrait découler un droit au divorce.
L’émergence de la notion du droit au respect de la vie privée est relativement tardive. Son accession au rang de norme constitutionnelle et de droit fondamental est apparue après la seconde guerre mondiale. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le respect de la vie privée : « le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance ». Ainsi, en droit américain, le Right of Privacy créé par la Cour Suprême des Etats-Unis à partir du soulèvement du Bill of Rights dans l’arrêt Griswold (1965) a été consacré. La loi du 17 juillet 1970 a également introduit dans le Code civil à l’article 9 « le droit au respect de la vie privée ».
La liberté individuelle comme principe matriciel a conféré au droit au respect de la vie privée, valeur constitutionnelle. Toutefois, le respect de la vie privée dans un premier temps n’a pas été érigé en principe constitutionnel autonome. Avec la décision sur la loi relative à la couverture médicale universelle703, le Conseil constitutionnel en se fondant sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme a reconnu le principe constitutionnel du respect de la vie privée comme principe autonome. En effet, l’extension de l’interprétation de la liberté individuelle englobant le respect de la vie privée ne permettait qu’une protection indirecte, en cas d’atteinte grave. « La force même de la méconnaissance de la nature constitutionnelle du droit au respect de la vie privée en découle. Le principe du droit au respect de la vie privée se mue en une liberté fondamentale, désormais distincte de la liberté individuelle de l’article 66 et rattachée à la liberté personnelle »704. Ainsi, le droit au respect de la vie privée devient à sont tour un principe matriciel porteur de droits et hypothétiquement du droit au divorce. La méthode opérée par le juge constitutionnel pour reconnaître le droit au respect de la vie privée laisse présager un certain nombre de droits latents. « Le conseil exerce un pouvoir créateur de normes, déduisant d’un texte constitutionnel un principe littéralement absent de celui-ci. »705 Le droit fondamental au respect de la vie privée pourrait se poser comme fondement du « droit dérivé du divorce ». Cette supposition va trouver de la consistance dans la signification du respect de la vie privée. Le respect de la vie privée qui est associé au phénomène grandissant de l’individualisme implique un dépassement de la notion originelle.
La sphère de la vie privée n’a cessé de s’étendre. La jurisprudence de la Cour de cassation est fluctuante et conduit à la prolifération des domaines protégés sur le fondement du respect de la vie privée. La sphère privée de chaque individu « inclut tout aussi bien la protection de la personne physique (vie, intégrité physique et morale), que son identité, son nom, son image, honneur, son domicile, sa correspondance, les faits relatifs à sa vie intime, ses relations familiales, affectives, mais aussi sa liberté de pensée, de conscience, d’expression, de réunion, ou d’association appliquées à ses relations familiales ou affectives, mais aussi sa liberté de pensée, de conscience, d’expression, de réunion ou d’association appliquées à ses relations personnelles… ».
Monsieur le Professeur Sudre démontre l’idée d’élargissement de la notion par le fait que les annotateurs du Code civil en soient réduits à présenter la matière sous forme d’un abécédaire qui, faisant suite à deux rubriques principales (domicile et vie privée du salarié) comporte pas moins de treize entrées quelque peu disparates. Toutefois, lorsqu’ elle est confrontée à la liberté d’expression, cette dernière a parfois conduit à donner une vision absolue, allant au-delà du droit au respect de la vie privée, AUVRET (P.), « L’équilibre entre la liberté de la presse et le respect de la vie privée selon la Cour européenne des droits de l’homme ». Gaz. Pal., avr. 2005, p.879s.
Madame la Professeure Meulders-Klein709 qualifie le respect de la vie privée dans son sens originel comme étant un des aspects d’une nébuleuse juridique baptisée droits de la personnalité pour lutter contre les indiscrétions des moyens de communication et protégeant la vie privée « au sens d’intimité et de propriété ». Mais avec le temps le respect de la vie privée qui n’était qu’un élément de cette nébuleuse, a fini « par englober plus ou moins complètement les autres » droits de la personnalité. Ce qui n’était qu’un élément de protection de l’individu est devenu le moyen de protection générique. Le droit au respect de la vie privée est devenu l’arme essentielle pour toute revendication personnelle. C’est ainsi, que peu à peu la notion du respect de la vie privée se rapproche de la conception américaine. En effet, le Right of Privacy, modèle américain pose le principe d’individualité et érige « la personne en maître absolu d’elle-même et fait prévaloir ce principe sur toute autre considération. »710. La famille ou la collectivité ne sont que les accessoires du droit à l’individu de disposer de luimême.
Sans arriver à ce bouleversement idéologique en droit français, l’évolution du droit au respect de la vie privée et ainsi du droit de l’individu au bonheur peut trouver à s’exprimer par le droit au divorce. Le droit de rompre le mariage serait le simple prolongement du droit au respect de la vie privée dans le sens du droit de disposer de soi-même, dès lors que le mariage n’apporterait plus de bonheur. A l’instar du droit américain, le droit français pourrait suivre « le passage de la protection du secret et de l’intimité de la vie privée selon laquelle le secret n’est que l’un des moyens de protéger la liberté individuelle, laquelle n’est à son tour que le moyen d’assurer l’épanouissement personnel de chacun, franchissant ainsi d’un jet le chemin qui sépare le droit d’être laissé seul au droit à l’autodétermination (droit-liberté), pour parvenir à l’épanouissement personnel , c’est-à-dire au bonheur (droit-créance). »
L’Allemagne dans l’article 2 alinéa 1 de la loi fondamentale, à l’instar des américains (Right of Privacy), a proclamé « le droit de chacun au libre épanouissement de sa personnalité ». Le libre épanouissement ne doit cependant pas « violer les droits d’autrui ni enfreindre l’ordre constitutionnel ou la loi morale ». La reconnaissance au niveau constitutionnel du droit à l’épanouissement offre une multitude de possibilités.
La notion de respect de la vie privée et la Privacy ou encore le droit à l’épanouissement ont en commun la certitude de leur imprévisibilité. Elles apparaissent comme des sources inépuisables de reconnaissance de droit, dès lors qu’elles s’attachent à la personne même, elles recèlent une infinie subjectivité. La vie privée touche « aux domaines les plus intimes de la vie individuelle et aux piliers anthropologiques de toute société humaine, aux sentiments affectifs, aux passions et aux émotions, aux libertés individuelles mais aussi à l’intérêt général, aux aspects philosophiques, politiques, juridiques et aux valeurs culturelles enracinées dans les croyances. Elle est par là source de conflits de valeurs socio économiques, idéologiques, politiques, technologiques et scientifiques des sociétés postmodernes contre toute philosophie heurtant les libertés individuelles. »
Dans le courant inflationniste du droit au respect de la vie privée, le droit au divorce pourrait trouver sa place. Le droit au divorce n’est rien de plus que le droit de ne pas être maintenu dans les liens du mariage sans qu’aucune condition de fond ou de forme et conséquence ne soit attachée à la décision individuelle ou à la décision commune. La vie privée est en fait le droit de vouloir vivre comme on veut sans jugement et sans intermédiaire (sous entendu l’Etat, la société et le juge). Dès lors, un mariage non satisfaisant voire nuisible à son propre épanouissement devrait dans la lignée de l’émancipation de la liberté individuelle, puis de la vie privée, propulser le divorce en droit. Le contexte familial et donc social s’entremêle voire s’affronte avec le désir égoïste de vivre comme on veut.
Pour autant, l’évolution de la famille n’est plus à démontrer. La famille est autre.
La seule certitude à laquelle on peut s’attacher, c’est qu’elle ne dépend plus exclusivement du lien conjugal. Le couple ne crée pas forcément une famille. En atteste le Pacs. Le Pacs propose un statut légal au couple qui est dépourvu de dimension familiale. Le mariage n’est pas l’unique fondement de la famille, c’est bel et bien l’enfant. L’enfant joue un rôle pivot dans la création du lien familial. Le développement des moyens de création de filiation amenant à une sorte d’instrumentalisation de l’enfant ou de droit à l’enfant a contribué à le placer au centre de la famille. Ce n’est plus le couple qui fait la famille mais l’enfant. Dès lors, les considérations relatives au relâchement du lien familial, ou encore la crise de la famille, le déclin de l’intérêt général ne dépendent plus exclusivement du mariage. Il n’y a plus un modèle mais des modèles familiaux. La scission entre le couple et le couple parental permet d’émanciper les époux d’une fonction sociale et familiale pour accéder à l’état de sujet libre. Le sujet est affranchi « de toutes limites dans toutes les matières existentielles de sa vie personnelle, sexuelle, affective et familiale, qui ne sont pourtant pas étrangères à la vie de la collectivité. »713 En d’autres termes, le respect de la vie privée s’apparente au droit de contrôler sa propre existence et laisse le champ ouvert aux autres composants de droit au respect de la vie privée.

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