Le dispositif RSE « hybride » de France Télécom
Nous allons donc maintenant aborder la manière dont la RSE se déploie, au niveau du Groupe, au sein d’Opérations France (OPF) et aux nouvelles frontières de l’entreprise. Au niveau du Groupe, nous tenterons de comprendre la situation hybride de RSE qui se dessine chez France Télécom. Nous nous centrerons, d’abord, sur le centre de traduction (la Direction de la Responsabilité d’Entreprise et du DD (DREDD) et nous parlerons ensuite des dispositifs RSE « autonomes » qui se déploient, parfois, indépendamment du centre de traduction (IV.1). C’est, ensuite, la façon dont des acteurs d’opérations France, situés au siège (porte-parole RSE) et sur le terrain (Directeurs de boutiques de vente et leur gestionnaire RH), reçoivent et saisissent les traductions de la démarche RSE (qu’elle soit produite par le dispositif officiel ou bien qu’elle résulte d’innovations locales) qui retiendra notre attention. Ici, où s’ancre l’esprit du SP et où se déploie depuis un certain temps la RSE, il s’agira de mettre en lumière la manière dont cette RSE s’intègre et prend forme dans les pratiques quotidiennes de l’entreprise (IV.2). Nous étudierons, ensuite, la mise en place du dispositif « Achats responsables », dont l’approche coïncide, à l’origine, avec celle plutôt « window dressing » du dispositif RSE officiel de France Télécom. Nous comparerons ce dispositif à ceux déployés par quatre entreprises multinationales d’origine française, dont deux sont des grands services publics de réseaux et les deux autres des entreprises privées. Nous pourrons ainsi mettre en avant les spécificités du dispositif « Achats responsables » de France Télécom et tirer des enseignements plus généraux sur l’effet des stratégies d’achats responsables dans le management de la relation-fournisseur (IV.3) Nous poursuivrons en nous intéressant au déploiement d’un dispositif conçu par le management comme « caution », et à l’œuvre dans le domaine des relations sociales de l’entreprise : l’accord cadre international (ACI) sur les droits sociaux fondamentaux au travail de France Télécom. Il engage dans sa conception et son suivi non seulement la Direction mais aussi le contre-pouvoir syndical du Groupe. Il se distingue ainsi des autres dispositifs RSE, Le dispositif RSE « hybride » de France Télécom 235 d’initiative purement managériale. Nous le comparerons à un ACI aux caractéristiques très différentes, conclu dans un autre grand service public d’origine française (Ampère France) pour mieux en dégager les spécificités (IV.4). Comment dans le dispositif officiel de traduction de la démarche « RSE », comme dans ceux des achats responsables et de l’ACI, les logiques du DD, du SP et de la profitabilité se conjuguent-elles, se juxtaposent-elles ou s’opposent-elles ? C’est aussi ce que nous tenterons de mettre en lumière dans les pages suivantes.
Du déploiement du dispositif RSE officiel du Groupe au développement de dispositifs autonomes
Nous voulons donc, ici, comprendre comment la démarche RSE de France Télécom, apparemment hétérogène et décentralisée, se déploie à l’échelle du Groupe et renvoie à l’extérieur la représentation d’une forme uniformisée et systématisée. Nous nous intéresserons au préalable au centre de traduction et à son mode d’organisation. Priorité est donnée aux efforts de la MVA ainsi qu’à la logique du Business Case : quelles en sont les raisons et pourquoi des dispositifs RSE « autonomes », parfois peu connectés au dispositif RSE officiel, bien que classés sous le même vocable, émergent-ils ? (IV.1.1). Nous centrerons, ensuite, notre attention sur les dispositifs autonomes comme celui des achats responsables du groupe qui, au moment où ils émergent, s’inscrivent dans la même logique, plutôt « window dressing », que le dispositif RSE officiel du Groupe (IV.1.2) Puis, nous étudierons les modalités de mise en œuvre des dispositifs RSE autonomes, plus ou moins déconnectés du dispositif RSE officiel et en fournirons des exemples dans les champs de la gestion des Ressources Humains, et de l’offre de produits et services innovants (IV.1.3). A l’issue de cette section, nous disposerons ainsi d’une vision d’ensemble éclairante des modes de déploiement de la démarche RSE hybride de France Télécom au niveau Groupe. Elle nous permettra alors de mieux saisir la situation de la RSE dans les différents espaces d’action, notamment ceux situés aux nouvelles frontières de l’entreprise.
L’organisation du centre de traduction
Nous avons mis en évidence, dans le chapitre précédant, l’existence de trois pôles au sein du centre de traduction, la DREDD : deux d’entre eux, fonctionnent depuis l’officialisation du dispositif RSE de France Télécom, en 2004, les pôles « produits et services responsables » et « environnenent » ; et un autre, depuis 2006, le pôle « clients et Société ». Ce centre comprend aussi des fonctions supports pour assurer le reporting RSE, la gestion des questionnaires des agences de notation extra-financière et des Clients Grands Comptes, la 237 veille réglementaire, la coordination du réseau des correspondants et la gestion du site intranet/internet du dispositif RSE. Nous allons maintenant préciser le profil, le mode de travail et les fonctions des acteurs de ce centre et de son réseau de correspondants de 2004 à 2009, année de la fin de notre enquête terrain, et montrerons que le dispositif RSE officiel adopte plutôt la logique « window dressing », essentiellement pour des raisons de légitimation interne. Les responsables des pôles sont soit des experts dans l’un des domaines de la RSE soit détiennent d’autres compétences requises pour mener à bien leurs missions. Ils ont été recrutés par cooptation, essentiellement. En 2004, la responsable du pôle « services et produits responsables », tout juste sortie d’une formation d’un an sur le DD, a d’abord occupé son poste en tant que stagiaire, puis en CDI pour développer un outil d’évaluation des projets R&D, détectant leurs externalités négatives au regard des enjeux du DD. L’idée de concevoir un tel outil est née à la direction R&D, au début des années 2000, sous l’impulsion de sociologues travaillant dans le service des études, sur les usages des télécommunications. Ce projet s’est d’abord traduit par l’élaboration d’une grille d’évaluation, dans un tableau Excel, structurée autour des trois axes du DD. La première opération de sensibilisation, auprès des chefs de projets R&D, s’est déroulée en 2002. Mais, le caractère général de la grille et la lourdeur de son questionnement ont rendu l’outil peu appréciable et très vite inapproprié, pour une utilisation quotidienne dans leur activité. En 2004, après décision du Comité Exécutif du groupe, la tâche de déployer cet outil dans le groupe, après l’avoir retravaillé et simplifié, a été confiée à la Direction REDD. Elle est alors devenue la mission phare du pôle « services et produits responsables ». Le pôle « environnement » se compose de trois personnes. L’une assure le déploiement du SME ; l’autre gère les déchets et la troisième coordonne le pôle, développe les lignes directrices de la politique environnementale du groupe et participe aux initiatives collectives nationales et internationales en lien avec le thème de l’environnement. Tous sont des experts de leur domaine. On peut lire sur la fiche de poste de la troisième personne : « to identify business principals and propose guidelines for the group to minimize the impact of France Télécom activities and give it a competitive advantage” Cela montre que l’orientation de ce pôle n’a pas changé depuis la création, en 1998, de la Délégation à l’Environnement. L’approche reste mimétique (échange entre pairs) et centrée 238 sur les opportunités ouvertes par la logique du DD pour améliorer les performances financières de l’entreprise. Nous verrons plus loin que l’expertise de ces membres, rend ce pôle plus attractif que les deux autres. Le pôle « clients et société », le plus récent, est constitué de deux membres: l’un est en charge d’impulser une politique « ondes électromagnétiques – santé » à l’échelle du groupe. Nous avons déjà mis en exergue, que dans les filiales de téléphonie mobile française et britannique, cette problématique est traitée, indépendamment et collectivement (en partenariat avec des concurrents), depuis le début des années 2000. L’idée est de s’appuyer sur leur expérience et de parvenir à harmoniser les politiques très disparates, d’un pays ou d’une activité à l’autre, au sein du groupe. Cette personne a été recrutée pour ses compétences à structurer ce type de politique : « On m’a choisi, pour mon expérience « corporate » parce que depuis la fin de l’année 2005, l’équipe REDD n’est plus France mais «corporate » (co-responsable « Clients et Société » au sein de la Direction REDD, 2007). L’autre a pour mission d’anticiper les risques sociétaux pouvant nuire au développement de l’activité, et de développer la pratique « maîtrisée » du dialogue avec les parties prenantes clés de l’entreprise, conformément à la norme AA 1000. Elle vient de l’ancienne filiale britannique Orange, où elle occupait des fonctions similaires dans le cadre de son dispositif autonome et pionnier Corporate Social Responsibility : « En France ce n’est pas vraiment stratégique…alors que chez Orange ça l’était : qu’est ce que ça donne pour le business ???… c’est comme ça qu’on gérait la CSR à Orange et en France, ma mission est d’apporter cette vision dans l’équipe…et aussi de travailler davantage avec les parties prenantes (co-responsable « Clients et Société », 2007).