Le dispositif PIRENEA dans l’étude des interactions
gaz/grain dans la chimie interstellaire
Les grains de poussière
L’existence de grains de poussière a été suggérée très tôt afin d’expliquer les premières mesures de l’extinction interstellaire dans l’UV (Gilra et al., 1971 ; Day et al., 1973). Watson (1973) suggère alors que l’effet photoélectrique sur les grains chauffe efficacement le gaz interstellaire. Jura et al. (1975) ont conclu que ce n’est que lorsque les grains sont très petits (≤ 100 Å) que l’efficacité du chauffage photoélectrique est suffisante. Dans le même temps, l’émission IR entre 8 et 13 µm du milieu interstellaire est observée (Gillett et al., 1973) et attribuée à des très petits grains carbonés contenant de l’ordre de 100 carbones et chauffés stochastiquement (Sellgren et al., 1984). Peu de temps après, l’émission IR des grains a été mesurée sur tout le ciel par le satellite IRAS dans les bandes photométriques à 12, 25, 60 et 100 µm (Boulanger et al., 1988) et on réalise alors que l’émission des très petits grains (ceux qui émettent à 12 et 25 µm) représente à peu près 40 % de l’énergie émise par un nuage interstellaire éclairé par les étoiles. Désert et al. (1990) font ensuite la synthèse des observables (émission IR et extinction), et proposent un modèle de grain de poussière interstellaire reposant sur trois populations (Figures 1.2 et 1.3). En fonction de la taille décrite par le rayon du grain, a, on distingue: 1. des gros grains de silicates ou BG (big grains) avec a = 150-1100 Å qui sont à l’origine de l’émission observée à 100 µm par IRAS. Ces gros grains rendent également compte des bandes d’absorption interstellaires à 9.7 et 18.6 µm qui révèlent les liaisons SiO des silicates. 2. des très petits grains ou VSG (very small grains) avec a = 12-150 Å qui produisent l’émission à 25 µm et une partie de celle à 60 µm observée par IRAS. Les VSG sont supposés graphitiques afin d’expliquer la bande à 220 nm dans l’extinction interstellaire. 3. des molécules polycycliques aromatiques hydrogénées ou PAH avec a = 4 -12 Å, dont la présence dans le milieu interstellaire a été proposée par Léger et Puget (1984) et Allamandola et al. (1985) pour rendre compte des bandes d’émission IR entre 3 et 13 µm correspondant à des transitions vibrationnelles de liaisons C-C (bandes à 6.2 et 7.7 µm) et C-H (bandes à 3.3, 8.6, 11.3 et 12.7 µm) sur un cycle aromatique (Figure 1.4). Depuis ce modèle, des spectres très précis de ces bandes aromatiques ont été obtenus par les observatoires spatiaux: l’Infrared Space Observatory (ISO) (Kessler et al., 1996) et plus récemment le Spitzer Space Telescope (www.spitzer.caltech.edu/spitzer/
Chimie interstellaire
Les conditions physiques extrêmes régnant dans le milieu interstellaire impliquent une chimie particulière dans ce milieu. En ce qui concerne les réactions en phase gazeuse, seules les réactions exothermiques sont possibles aux basses températures caractérisant les nuages moléculaires sombres. De plus, certaines réactions, même exothermiques, possèdent des barrières de potentiel (dites aussi barrières d’activation) qui ne pourront être franchies si la température est trop basse. La situation est différente dans les régions de photodissociation riches en photons UV où les températures plus élevées peuvent autoriser certaines réactions endothermiques ou avec barrière d’activation. Enfin, les densités très faibles interdisent tout processus à trois corps ce qui implique qu’un complexe de réaction ne peut être stabilisé par collisions et que seule une association radiative ! A + B » AB + h# ou une fragmentation peuvent se produire. Parmi les réactions chimiques en phase gazeuse, on peut distinguer les réactions ion/molécule et neutre/neutre. Les premières sont des réactions du type ! A + B+ » C + D+ . Le champ électrique crée par la charge d’un ion induit un dipôle électrique dans une molécule neutre à l’approche, créant ainsi une force attractive permettant de la piéger. Ces réactions peuvent se produire même à très basses températures si elles sont exothermiques. Aucune barrière d’activation n’empêche l’approche de l’ion. Les réactions neutre/neutre peuvent également jouer un rôle fondamental dans la chimie à la fois dans les milieux chauds (comme les régions de photodissociation) et dans les régions froides selon la présence ou non d’une barrière d’activation. En particulier, il a été montré que le taux de certaines de ces réactions augmente à basses températures (Smith, 2006). Le rôle des grains de poussière dans la chimie se situe à deux niveaux: d’une part, ils protègent les molécules de la dissociation en absorbant le rayonnement UV. D’autre part, les échanges gaz/grain peuvent conduire au collage de molécules ou d’atomes à la surface des grains. Les espèces collées peuvent migrer jusqu’à se rencontrer, réagir pour former une nouvelle molécule et enfin s’évaporer dans la phase gazeuse (Tielens & Hagen 1982). Dans les observations, le collage de gaz à la surface des grains de poussière est mis en évidence par les signatures IR en absorption des molécules solides qui témoignent de la présence de manteaux de glaces moléculaires à la surface des grains dans les régions sombres et froides des nuages. De plus, l’existence d’une chimie à la surface des grains est indispensable pour comprendre l’abondance de certaines molécules. Le cas le plus connu est celui de H2 qui ne peut pas se former en quantité suffisante en phase gazeuse dans le MIS. La question se pose également pour d’autres molécules comme H2O, CO2, HCO, CH3OH… sans parler de molécules plus complexes (Figures 1.1 et 1.5).
Études expérimentales de chimie sur les PAH interstellaires
Ces études nécessitent de pouvoir produire et isoler des espèces chimiques d’intérêt astrophysique dans des conditions proches de celles présentes dans le milieu interstellaire. Recréer un tel environnement impose l’absence de collisions sur des temps longs dû à des faibles densités (50 à 106 H/cm3 ), la présence de très basses températures (∼ 10-50 K) et d’une source de rayonnement ultraviolet (hν < 13.6 eV) ce qui permettrait de simuler les photons des étoiles chaudes qui sont présents dans les régions de photodissociation. Afin d’étudier les réactions chimiques, que ce soient les réactions en phase gazeuse neutre/neutre, ion/molécule, ou les réactions de type gaz/grain, il faut donc chercher à approcher en laboratoire ces conditions. Je vais décrire ci-dessous les principales techniques qui ont été mises en oeuvre dans le cas de la réactivité impliquant des PAH, qui est mon sujet d’étude. Je finirai par décrire la technique de piège à ions que j’ai utilisée lors de ma thèse.
La méthode SIFT (« Selected Ion Flow Tube » ou Tube à Écoulement Ionique Sélectif, Adams et Smith, 1988)
Cette technique amplement décrite dans Van Doren et al. (1991) et Bierbaum (2003) permet non seulement d’étudier la recombinaison dissociative mais aussi des réactions ion/molécule impliquant des PAH. Le principe en est le suivant: les ions traversent un tube d’écoulement constant contenant un gaz tampon, l’hélium. Le réactif neutre est ajouté en aval et la réaction se produit dans le tube d’écoulement. Dans certains cas, un refroidissement cryogénique a été associé pour étudier la réactivité du gaz thermalisé par collisions avec le gaz tampon lui-même thermalisé sur les parois (Ham et al., 1970 ; Trainor et al., 1973 ; Bohringer et Arnold 1983 et 1986). Cette méthode a permis à Le Page et al. (1999a) de montrer que même si les radicaux cations du naphtalène et de ses dérivés déshydrogénés ne réagissent pas avec H2, CO, H2O et NH3, ils forment des adduits avec les atomes d’H, O et N. Betts et al. (2006) ont quant à eux mesuré les taux de réactions du cation du coronène avec les atomes d’H et d’O, aucune réaction n’a été observée avec l’atome d’azote. D’autres outils proches de la méthode SIFT ont été développés tels que le FALP (« Flowing Afterglow Langmuir Probe ») au PALMS à l’Université de Rennes. La réaction a également lieu dans un gaz porteur, généralement l’hélium qui joue le rôle de solvant. Cependant, au niveau de la décharge, l’hélium est partiellement ionisé en He + et He2 + à raison d’environ 0.1 ppm, soit 109 ions/cm3 . Par interactions avec Ar, un plasma formé de Ar + et d’électrons est obtenu. Cette expérience a permis par exemple de mesurer la recombinaison électronique de PAH+ (générés par photoionisation laser) et l’attachement électronique à des PAH (Canosa et al., 1994 et 1995 ; Mostefaoui et al., 1998 ; RebrionRowe et al., 2003 ; Novotny et al., 2005 ; Biennier et al., 2006). Dans ces expériences, la densité électronique est mesurée par une sonde de Langmuir et les ions sont analysés par un spectromètre de masse.
La technique CRESU (Cinétique de Réaction en Écoulement Supersonique Uniforme)
Pour étudier la cinétique de réactions ion/molécule et neutre/neutre aux températures très basses (T < 200 K), des techniques d’écoulements libres spécifiques telles que la technique CRESU ont été développées (Dupeyrat et al., 1985 ; Sims et al., 1994). Celle-ci utilise l’écoulement supersonique créé par la détente d’un gaz (He, Ar, ou N2) à travers une tuyère de Laval comme réacteur froid (jusqu’à 10 K) qui présente notamment l’avantage de ne pas avoir de parois et ainsi éviter les problèmes de condensation posés par les réacteurs chimiques classiques dès que l’on veut faire des expériences à très basses températures. De plus, la densité relativement élevée de cet écoulement (1016 à 1018 molécules/cm3 ) fait que les collisions y sont nombreuses ce qui permet au gaz d’atteindre rapidement l’équilibre thermodynamique et de définir une température du ou des gaz présents dans l’écoulement. Dans certains cas, l’analyse peut être compliquée par la présence de collisions à trois corps. De nombreux résultats ont été obtenus. Dans le cas des PAH, des dépendances négative et positive du taux de la réaction de l’anthracène ont été observées respectivement avec les radicaux OH• (Goulay et al., 2005) et CH• (Goulay et al., 2006) pour une température comprise entre 58 et 470 K.
La technique FTICR (Transformée de Fourier par Résonance Cyclotronique Ionique)
De nombreuses études de type ion/molécule utilisent la technique FTICR (Anicich, 2003). En effet, une nouvelle génération de dispositifs s’est développée autour du piégeage électromagnétique permettant une isolation des ions sur des temps de l’ordre de plusieurs minutes, bien supérieurs aux temps caractéristiques d’émission IR et de fragmentation dans les voies de plus basse énergie. Grâce à ce dispositif de piégeage, le PAH ionisé peut être isolé de son environnement comme dans l’espace interstellaire et ses propriétés chimiques peuvent être étudiées par injection d’un gaz dans la cellule de piégeage. L’analyse se fait par spectrométrie de masse intrinsèque au dispositif. Keheyan (2001) a étudié, dans une cellule ICR à température ambiante, la réactivité des radicaux cations du naphtalène et du pyrène ainsi que de leurs dérivés déshydrogénés avec de petites molécules d’intérêt interstellaire et montre la non réactivité de C10H8 + et C16H10 + avec les molécules d’H2, CO, H2O et NH3. Des adduits sont uniquement formés avec le dérivé C10H7 + . C’est dans cette catégorie de dispositifs que s’inscrit l’expérience PIRENEA (Piège à Ions pour la Recherche et l’Étude de Nouvelles Espèces Astrochimiques) au CESR. Un de ces objectifs est d’étudier la réactivité ion/molécule où l’ion est un modèle de macromolécule (ex: PAH) ou nanograin interstellaires et la molécule est une espèce abondante dans l’espace interstellaire comme H2, H2O, CO, CH3OH, NH3, CH4, C2H2… pour des températures du piège comprises entre 35 et 300 K.
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