Le dispositif « Accord cadre international sur les droits sociaux fondamentaux au travail »

Le dispositif « Accord cadre international sur les droits sociaux fondamentaux au travail »

. Les méthodes de collecte et de traitement de l’information Nous avons personnellement réalisé le travail de collecte des informations pour le cas France Télécom et notre collègue l’a conduit pour celui d’Ampère France. Nous avons, respectivement, utilisé des documents internes et externes produits sur et par France Télécom et Ampère France, ainsi que sur leur ACI (livres, articles de recherche, rapports RSE, communiqués de presse, compte rendus, etc.). A France Télécom, à partir de février 2008, notre adresse de messagerie électronique a été ajoutée à la liste de diffusion du réseau des organisations syndicales de France Télécom, ce qui nous a permis de suivre les actions et réactions de celles-ci. Nous avons pu, en outre, recueillir des informations de nature plus informelle et suivre l’évolution de l’ACI, en participant aux séminaires organisés par le centre de traduction du dispositif RSE officiel de l’entreprise. Entre juillet 2007 et décembre 2008, nous avons interrogé neuf représentants syndicaux de France Télécom, les quatre membres du bureau de l’Alliance intersyndicale ainsi que le Directeur des relations sociales, qui ont participé aux négociations pour la signature de l’ACI et qui se sont engagés à en suivre l’application, un Directeur des Ressources Humaines d’une des filiales du Groupe, le Directeur Diversité et le Directeur Qualité Fournisseurs, porte-parole RSE de la fonction Achats (tableau 11). Au sein d’Ampère France, notre collègue a pratiqué une observation participante, d’abord comme stagiaire, puis salariée de l’entreprise, en contrat à durée déterminée de trois mois, au sein de la Direction responsable du suivi de l’ACI de cette entreprise, de novembre 2007 à décembre 2008. Cette fonction lui a ainsi permis d’être en contact direct avec les différents protagonistes de l’ACI et de recueillir de nombreuses informations. Entre avril et mai 2008, notre collègue a interrogé sept représentants syndicaux signataires de l’accord et membres de l’organe syndical responsable du suivi de l’ACI, le Comité de Direction de la Responsabilité Sociale d’Entreprise (CDRS), le Président du Comité européen, le directeur des relations sociales, le cadre responsable du suivi de l’ACI au sein de cette direction, la stagiaire qui a occupé la fonction de notre collègue après son départ, le Directeur du pôle sociétal, deux Directeurs des Ressources Humaines d’entités du Groupe, un secrétaire du réseau de veille de la RSE et le porte-parole RSE de la fonction Achats (tableau 11).Nous avons mené nos entretiens en nous appuyant sur le guide d’entretien standard du programme ANR complété pour l’occasion par des références à l’ACI (Annexe 12). On y trouve une amorce non directive sur la RSE et les ACI de l’entreprise ainsi qu’une série de questions plus précises sur les dispositifs RSE de l’entreprise, sur son ACI (comment se sont déroulées les négociations ? Comment l’accord se déploie-t-il ? Y-a-t-il un suivi ? Quels bénéfices en tirent-ils ?…), sur l’articulation des logiques du DD, du SP et de la profitabilité, et sur leur parcours professionnel. Certains entretiens se sont déroulés par téléphone. Dans l’ensemble, ils ont duré entre trente minutes et une heure trente. Tous ont été enregistrés et retranscrits. Nous avons ensuite réalisé une analyse thématique de contenu des entretiens (Annexe 13)104 . La méthode employée est identique à celle décrite dans l’étude de la RSE au sein d’OPF lors du traitement des données d’entretien des directeurs de vente et de leur gestionnaire RH (cf. IV.2, p. 281). Nous avons procédé à une analyse verticale des entretiens, puis notre collègue et nous même avons défini des thèmes, confronté nos listes et échangé pour définir une grille thématique commune. Nous avons aussi comparé le contenu des accords d’Ampère France et de France Télécom (Annexe 14) 105 . Nous avons alors reconstitué l’histoire des ACI et la manière dont ils transforment les relations sociales des deux entreprises. Nous en présenterons maintenant le résultat.

L’ACI de France Télécom : objet « caution » ?

Le Directeur des Relations Sociales de FT, nous a présenté l’ACI comme « venant constater une politique existante ». Nous nous appuierons ici sur la comparaison avec l’ACI d’Ampère France (le contexte d’émergence du projet de l’ACI d’Ampère France, le mode de négociation de cet accord ainsi que le contenu de celui-ci), pour souligner que l’ACI de France Télécom est conçu par le management de France Télécom comme s’inscrivant dans le registre de la caution Mais avant d’aborder les ACI de France Télécom et d’Ampère France, nous nous placerons dans une perspective historique pour décrire la construction des relations sociales dans ces deux entreprises, et en particulier lorsque se pose le problème de leur internationalisation. Au sein d’Ampère France, le dialogue social occupe depuis toujours une place centrale dans la stratégie de développement de l’entreprise. En effet, les fondements de l’entreprise reposent sur un projet original, conçu lors de sa création en 1946, par le Ministre de la Production de l’époque, également dirigeant de la fédération de l’éclairage CGT (centrale historique) et dans lequel est conféré un « pouvoir considérable aux Organisations syndicales pour tout ce qui touche aux questions de personnel » [Picard J-F. et al, 1985 : p. 45]. Ce projet intègre un « modèle de gouvernance tripartite »107 et une « quasi constitution interne » [Tixier P-E., et Mauchamp N., 2000 : p. 8] qui définit un statut spécifique108 pour les salariés de toutes les Industries Electriques et Gazières en France, prévoyant de nombreuses innovations sociales pour l’époque. Cette phrase du Directeur Général de 1947 à 1962, illustre bien les rapports entre les organisations syndicales et la Direction de l’entreprise, entre tensions intenses et collaboration : « Mes relations avec les Syndicats, elles ont toujours été très mauvaises…mais très bonnes» [Picard J-F. et al, 1985 : p.32]

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L’ACI « caution » de France Télécom : une opportunité pour son effectivité du point de vue des syndicats ?

Nous avons souligné dans le cadre théorique de notre recherche, au sujet des objets « caution », qu’ils sont parfois à l’origine d’événements surprenants dans l’entreprise. Nous montrerons ici, que l’ACI de France Télécom en provoque et nous comparons la dynamique insufflée par cet accord « caution » à celle de l’ACI « solide », « concret » d’Ampère France pour tirer des enseignements sur leur effectivité. Après la signature de l’accord au sein de France Télécom, chaque partie a adopté une stratégie bien différente. Du côté de l’Alliance, l’ACI est pris très au sérieux, elle compte bien assumer pleinement ses responsabilités et s’en servir pour atteindre ses propres finalités, notamment celle de renforcer le pouvoir de l’acteur syndical au sein du Groupe ; du côté du Directeur des Relations, une attitude plutôt « attentiste » est adoptée. Dès 2006, l’alliance se lance, en effet, dans une grande campagne d’information au sujet de l’ACI auprès des salariés du Groupe en utilisant son réseau d’organisations syndicales affiliées. Une première rencontre est organisée en dehors de l’entreprise, au Mali (avec le soutien de la FSI, UNI) où il n’existe pas encore d’organisation syndicale et une seconde, en interne, au Cameroun où l’organisation syndicale évolue dans des conditions difficiles. Le Directeur des Relations Sociales du Groupe et le Directeur RH local, sont intervenus lors de la seconde rencontre, mais en fin de session, ce qui a été peu apprécié par les membres du personnel présents. Cette rencontre a eu notamment pour effet d’encourager des actions de revendications, au nom de l’ACI, dans les filiales de la zone Asie pacifique, Moyen-Orient et Afrique (AMEA). Par exemple, au Cameroun, la politique de gestion des congés payés a été dénoncée par l’organisation syndicale et après quelques réticences, exprimées par la direction 329 RH locale, elle a été révisée et mise en conformité avec les exigences de l’accord. Mais, cette rencontre a aussi favorisé la création d’organisations syndicales dans le groupe : « Je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la mise en place de notre bureau syndical. Je suis sûr d’une chose : la rencontre de Douala […] a été le déclic pour la syndicalisation d’Orange Mali » (message électronique d’un syndicaliste issu de la filiale Mali, 2008) ; « C’est à la suite d’échanges avec un membre de l’alliance, puis lors d’un séminaire organisé par l’UNI auquel j’ai été convié par une connaissance, membre de l’Alliance, que j’ai pris l’initiative de fonder une organisation syndicale au sein de ma filiale. » (Message électronique d’un syndicaliste issu de la filiale Guinée, 2008). Trois organisations syndicales ont ainsi vu le jour, entre 2006 et 2008, et d’autres sont en cours de création. Toutes ces nouvelles organisations syndicales ont rejoint le réseau des affiliés UNI. Le bureau de l’Alliance a conduit en parallèle, plusieurs campagnes de dénonciation pour harmoniser les standards sociaux du Groupe. Et l’union faisant la force, l’Alliance s’est permise d’aborder des sujets plutôt « durs » en se référant aux principes généraux de l’accord. En 2007, une de ces campagnes dénonçait, en effet ; le partage inégal de la valeur créée au sein de l’entreprise, en évoquant l’octroi d’une prime réservée aux membres du personnel français pour les bons résultats obtenus par le Groupe. Elle a abouti à l’annonce d’une prime collective, dont le montant a été calculé à partir de celui des rémunérations locales. Une autre campagne concernait la stratégie de l’entreprise favorisant, selon l’Alliance, les actionnaires au détriment des conditions de travail au sein du Groupe : « L’Alliance se félicite de l’accord […] en même temps, elle trouve inacceptable que le groupe privilégie la rémunération des actionnaires au détriment de l’emploi..».

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