LE DISCOURS SUR LA SEXUALITÉ SEXUALITÉ ET HOMOSEXUALITÉ DANS LES SCIENCES SOCIALES

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Décrire et comprendre le réel : une ethnographie du quotidien

Au Sénégal, depuis les années 2000, s’il existe des études notamment sur le plan sociocomportemental et épidémiologique, l’étude de cheikh Niang (2002) consacrée aux modes de vie des MSM 12 reste novatrice en Afrique de l’Ouest où la thématique de l’homosexualité est peu documentée. Les résultats sont forts instructifs. D’une part, ils permettent de soutenir l’existence de pratiques sexuelles entre hommes au Sénégal. En outre, ils corroborent les résultats de l’étude de Niels Teunis (1996). Ce dernier a décrit les forces culturelles et économiques qui sous-tendent les relations sexuelles et sociales de ces hommes. D’autre part, ils mettent au jour la vulnérabilité très élevée de bon nombre de ces MSM face au sida en raison de la pratique de rapports sexuels non protégés, d’antécédents de symptômes d’IST et d’une mauvaise connaissance de ces infections. Aussi, Cheikh Niang décrit l’existence de deux catégories de MSM dans la société sénégalaise. Il s’agit des ubbi et des yoos. L’auteur écrit : « les ubbis sont plus enclins à adopter des maniérismes féminins et être moins dominateurs dans les interactions sexuelles » (Niang et al 2002 : 3). La deuxième catégorie concerne : « les yoos, ou généralement partenaire pénétrant, ne se considèrent pas eux-mêmes comme homosexuels. Au-delà de ces larges catégories, il existe d’autres sous-catégories basées sur l’âge, le statut et le type de relation » (ibid. : 3). Si ces travaux ont le mérite d’avoir levé une partie du voile sur l’homosexualité au Sénégal, rendant compte de sa présence et de certaines de ses catégories, ils ne rendent cependant pas totalement compte de l’expérience ordinaire de ces hommes ainsi que de la question des subjectivités. Si faire cette distinction entre yoos et ubbi nous semble être un bon préliminaire, force est de constater que les réalités sociales dans lesquelles s’inscrivent les hommes qui ont des identités sexuelles multiples ne se limitent pas à l’identité de yoos et ubbi ou à une place occupée dans un rapport sexuel, car il existe une différence entre discours normatif et expérience. Comment se pense-t-on homosexuel au Sénégal ? La catégorie MSM est-elle seulement opératoire ? Dans quelles situations d’interactions est-elle utilisée ? Appartient-elle à un registre de la militance ? Ce registre masque-t-il d’autres terminologies et catégories locales plus intimes et plus ordinaires ? L’objectif est donc de sortir de ces catégories trop larges et d’interroger les contextes d’énonciation et d’identification et de décrire les formes actuelles de dénomination. La différence de Cheikh Niang, cette recherche marque une rupture tant sur le plan de l’objet d’étude que sur le plan méthodologique. L’approche défendue dans le cadre de ce travail c’est une analyse anthropologique des hommes aux identités sexuelles multiples avec, comme cadre de référence théorique le constructionnisme social développé par les fondateurs de l’école de Chicago (Leznoff et Westley 1956, Reiss 1961, Achilles 1967, Hooker 1965, Simon et Gagnon 1967, etc.). D’ailleurs, ce sont leurs travaux qui servent de point de départ dans les années 1950-1960 à la déconstruction de l’homosexualité. On ne manque pas de rappeler que l’homosexualité à ses débuts était le domaine d’études privilégié de la médecine, de la psychanalyse (cf. infra). À l’opposé d’une approche médicale, fortement enracinée et dominant nombre de productions scientifiques sur l’homosexualité à cette époque, le constructionnisme social comme modèle théorique défend une approche non morale des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe tout en cherchant leur intelligibilité dans les dynamiques de définitions de soi, les modes d’organisation sociale des acteurs. C’est le cas de l’étude de William Simon et John Gagnon dans laquelle ceux-ci mettent en avant la dimension sociale de l’expérience de l’homosexualité. Et insistent sur le fait qu’il est : « nécessaire de se départir du souci obsessionnel de la sexualité de l’individu, et d’essayer de voir l’homosexuel au travers des choix plus larges qu’il doit développer pour vivre dans le monde qui l’entoure. Comme l’hétérosexuel, l’homosexuel doit faire face aux problèmes inhérents au fait d’être membre d’une société ; il doit trouver du travail, apprendre à vivre avec ou sans sa famille, être engagé ou non dans la vie politique, trouver un groupe d’amis avec lesquels parler et vivre, occuper son temps libre de manière utile ou frivole, gérer tous les problèmes ordinaires ou inhabituels liés au contrôle des impulsions ou à la satisfaction personnelle, et socialiser d’une manière ou d’une autre ses intérêts sexuels » (Simon et Gagnon 1967 : 6). Fort de cela, l’originalité de ma recherche consiste à examiner d’abord les problèmes que pose la situation complexe de l’homosexualité (partie3) avant de réfléchir à la question de la prévention (partie4).
Dans cette perspective, ma thèse repose sur la question fondamentale du vécu et des constructions des identités sexuelles multiples : représentations, relations, actes, difficultés économiques, sociales liées à leurs orientations sexuelles, entre autres, pour ensuite réfléchir à la façon dont la prévention est faisable ou pas et à quelles conditions. Il est clair que l’objectif de cette thèse est de pouvoir fournir des informations utiles à la prévention du sida auprès de ces publics. Cependant, mon travail s’écarte d’une approche centrée et marginale de ces hommes consistant à ne s’intéresser qu’à leur activité sexuelle, et donc à les penser en termes de « risque ».
Pour ce faire, je propose à travers des récits de vie une approche des formes de vie ordinaire de ces hommes. Ma démarche s’inscrit ainsi dans une sociologie du quotidien, ou plus exactement d’une anthropologie de la vie quotidienne (en référence à Georges Balandier) en privilégiant le vécu à ce qui est institué. Sous ce rapport, il s’agit à l’instar de Georges Balandier de montrer la façon dont la vie ordinaire s’exprime dans le quotidien. Dans chacun d’eux ni de la même manière ni de la même durée de présence quotidienne » (ibid. : 11).
Dans ce contexte, pour ma part la référence à la vie ordinaire des hommes aux identités sexuelles multiples renvoie à une réflexion plus globale sur leurs difficultés d’ordre relationnel, d’isolement, de manque d’affection et de compassion de la part du proche entourage et des conséquences d’une répression légale et sociale. Il s’agit, entre autres, de rendre compte des différentes contraintes auxquelles sont soumis ces hommes dans leur vie quotidienne (travail, famille, vie sociale, vie professionnelle, etc.). En outre, il est question de souligner les rapports d’amour avec les femmes ainsi qu’avec les hommes. Comment vivent-ils, construisent-ils leurs relations avec leurs partenaires ? Qu’est-ce que l’amour pour ces hommes ? Ces questions m’amènent à appréhender au-delà de la sexualité le rapport de ces hommes à la notion de l’amour, de l’affection.
Plus encore, il est une autre question qui mérite qu’on s’y intéresse, c’est celle de l’expression de soi. Pour ce faire, il est essentiel de dépasser l’analyse bourdieusienne de l’habitus en situant ma démarche dans une approche performative définie par Judith Butler. Pierre Bourdieu défend que les normes (intégrées à travers la socialisation ‘habitus primaire’ puis le contexte social dans lequel l’individu évolue ‘habitus secondaire’) déterminent les manières de penser et d’agir des sujets. Plus sommairement, retenons de Pierre Bourdieu que les mécanismes sociaux déterminent l’individu, ses logiques d’action. Certes, l’habitus joue un rôle important ; mais enfermer mon analyse dans une telle perspective m’éloignerait des réalités des acteurs. Comme l’indique Éric Fassin dans la préface du livre de Judith Butler : « si le genre est bien une sorte de faire, une action incessante qu’on accomplit en partie à son insu et non de son plein gré, pour autant, cela ne fonctionne pas de manière automatique ou mécanique. Au contraire, c’est une pratique d’improvisation, dans une scène de contrainte » (Butler 2006 : 15). De ce point de vue, Éric Fassin souligne que « l’emprise des normes n’exclut pas de penser une prise sur les normes » (ibid. : 15). Ainsi, le rapport du sujet ne doit pas être pensé comme un rapport de domination, de soumission à la norme générale, mais plutôt tel un rapport au pouvoir. Ce rapport peut être pensé comme une résistance aux normes à travers notamment les stratégies individuelles de subversion du genre. Judith Butler rappelle ainsi : Si le sujet est culturellement construit, il n’en perd pas pour autant sa capacité d’agir qu’on a l’habitude de se représenter comme une aptitude à l’action qui reste inaltérée malgré son ancrage culturel. Ce modèle, la ‘culture’ et le ‘discours’ situent le sujet, mais ne le constituent pas. Cette façon de nuancer et de situer le sujet préexistant semblait nécessaire pour pouvoir mettre la capacité d’agir en un lieu qui ne s’est pas entièrement déterminé par cette culture et ce discours » (Butler 2006 : 268).
En ce sens, la thèse de Guillaume Le Blanc fait écho à celle de Judith Butler. Pour lui, la vie ordinaire ne doit pas être assimilée à l’assujettissement tel que le conçoivent Althusser et Foucault, car cela « a pour effet général de rabattre trop rapidement la vie ordinaire sur une fonction-sujet pensée exclusivement à l’intérieur des règles sociales et ainsi de s’interdire toute compréhension originale du type original du type de vie qui est enjeu dans la vie ordinaire » (Le Blanc 2007 : 37). La vie ordinaire pour l’auteur doit être « définie comme le jeu des normes dans le commun des existences. L’expérience cruciale, sous-jacente à la vie ordinaire et à ses possibilités créatrices, est alors le jeu, interprétable en termes de style » (ibid. : 36).
Dans le projet défendu ici, ce dont il est question est d’exposer la manière dont se forment les identités sociosexuelles dans un espace hétéronormé. Comment les acteurs concernés négocient-ils, s’arrangent-ils avec des identités multiples ? Quelles sont les techniques de soi mises en œuvre ? Comment les subjectivités sont-elles façonnées et réinventées dans le quotidien ? Quels sont les espaces de définitions de soi, d’écritures de soi ?
Ici, la notion de performativité va me permettre de penser les différentes formes d’expression de soi, ou dit autrement, cette capacité d’action des sujets africains à s’exprimer de façon singulière en dépit des normes culturelles et sociales et d’un discours hégémonique sur la sexualité.
Toutefois, tel que le remarque Guillaume le Blanc « puisque les vies ordinaires sont prises dans les rapports de pouvoir qui les déterminent » (Le Blanc 2010 : 37). Dans ce sens, pour l’auteur, « parler de vie ordinaire n’a de sens que de l’intérieur de certaines normes qui en règlent le cours » (ibid. : 39). Afin de dépasser ainsi les désaccords théoriques entre individualisme et holisme, je reprends à mon compte la thèse de Guillaume Le Blanc pour dire que la performativité ne doit en aucun cas être pensée dans un cadre neutre, mais plutôt dans le contexte social et politique de l’homosexualité au Sénégal et d’une façon plus globale, économique, qui en dessine fortement les contours. Ainsi, cela suppose une articulation entre habitus et agency, « ce faisant, il devient possible de sortir d’une lecture hyperdéterministe des activités humaines et d’ouvrir un espace aux acteurs, ni complètement joueurs ni complètement jouets, entre assujettissement et subjectivation » (Le Marcis 2009 : 2).
Comptant rompre avec une description misérabiliste et pessimiste des conditions de vie des hommes aux identités sexuelles multiples, la confrontation des expériences de ceux qui vivent leurs désirs sexuels sans problème pourrait donc nous permettre de saisir l’homosexualité sous un nouvel angle. À l’examen de ces histoires de vie, il s’agit d’apprécier, sous quelles modalités cette acceptation est possible ? Pour le dire autrement, à quelles conditions les individus renversent le stigmate ? Ou alors, comment l’homosexualité peut ne pas être vécue comme un problème, même au Sénégal ?
Dans l’espace public sénégalais, si le débat sur la reconnaissance de l’homosexualité semble se poser difficilement, cependant, dans d’autres espaces plus restreints, cette question reste envisageable. Ce dont j’entends discuter ce n’est pas forcément une reconnaissance légale, car comme le souligne Heikki Ikäheimo « aussi important que soit le fait d’avoir une personnalité juridique, ou des droits en général, cela ne garantit pas la personnalité pleine au sens interpersonnel en vigueur dans les contextes concrets de l’interaction quotidienne où nous menons nos vies. Être désespérément exclu de ces contextes est tout à fait compatible avec le fait d’être une personne juridique dotée du bagage de droits associés » (Ikäheimo 2009 : 17). De ce fait, je m’intéresse à cette reconnaissance sociale, dont Frédéric Le Marcis estime qu’elle relève « des réalités plus subtiles, moins visibles et pourtant là, dans l’entre-soi, dans l’intimité d’un couple, dans la mort (…) » (Le Marcis 2009 : 16). Ce qu’il faudrait dans ce sens, c’est saisir la question de la reconnaissance dans les interactions, la vie ordinaire de ces hommes (dans les familles, les couples, les associations, les rapports avec les amis, avec les autres, etc.). Il convient donc de décrire la reconnaissance en dehors des seules associations de MSM. En effet, les associations ne sont pas les seuls espaces de définition et d’écriture de soi. En outre, si l’on veut fournir des connaissances sur la vie de ces hommes, il est évidemment impossible de présenter des données pertinentes si on ne se limite qu’aux associatifs. Comme le remarque justement Albert Reiss, « ‘le monde gay’ correspond à la forme d’homosexualité la plus visible, car il s’agit d’une communauté organisée, mais il est probable qu’il ne renferme qu’une petite proportion seulement de l’ensemble des contacts homosexuels » (Reiss 1961 : 6). Ainsi, l’analyse prendra-t-elle en compte aussi bien des individus membres d’association que des non-militants (riches ou pauvres, jeunes ou pas, mariés ou célibataires, etc.).
Dans cette perspective, s’appuyer sur les récits de vie permettra de rendre compte de l’expérience vécue. Le but est de rendre compte du récit que la personne fait de son expérience. Mieux encore, comme l’indique Daniel Bertaux « il y a du récit de vie dès lors qu’un sujet raconte à une autre personne, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son expérience vécue » (Bertaux 2006 : 36). L’objectif comme le souligne l’auteur :
C’est en multipliant les récits de vie de personnes se trouvant ou s’étant trouvées dans une situation sociale similaire, ou participant au même monde social, et en centrant leurs témoignages sur ces segments-là, on cherche à bénéficier des connaissances qu’elles ont acquises de par leur expérience directe sur ce monde ou cette situation, sans pour autant s’empêcher dans la nécessaire singularité, ni dans le caractère inévitablement subjectif du récit qui en sera fait. En mettant en rapport plusieurs témoignages sur l’expérience vécue d’une même situation sociale par exemple, on pourra dépasser leurs singularités pour atteindre, par construction progressive, une représentation sociologique des composantes sociales (collective) de la situation » (Bertaux 2006 : 37).
Toutefois, quelques précisions sur les récits de vie s’imposent. Pour Daniel Bertaux :
À la différence d’une autobiographie, texte écrit travaillé et retravaillé afin de lui donner une structuration linéaire et une cohérence interne, le récit de vie est très largement spontané. Si l’invitation au récit de vie comporte implicitement un appel à la linéarité et à la cohérence, le sujet ne peut y répondre de manière très parfaite. L’évocation d’un proche, d’une scène, d’une crise, d’un événement l’entraine dans des digressions qui le font revenir en arrière ou anticiper sur la suite. Associations d’idées, nécessités d’expliquer, de justifier, d’évaluer, éloignent le récit d’un exposé linéaire » (Bertaux 2006 : 75-76).
Ainsi conçu, d’après l’auteur, il revient au chercheur de développer ses propres techniques graphiques pour représenter la structure diachronique d’un parcours » (ibid. : 76).
Cependant, certains comme Pierre Bourdieu dénoncent cette tentation de la cohérence. Pour ce dernier, il faut éviter l’écueil de « l’illusion biographique ». Entendu dans le sens qu’il existe une part de subjectivisme dans tout récit. Pierre Bourdieu note que le sens commun laisse à voir « la vie comme un chemin, une route, une carrière, avec ses carrefours (Hercule entre le vice et la vertu), ses embuches, voire ses embuscades (Jules Romains parle des ‘embuscades successives des concours et des examens’), ou comme un cheminement, c’est-à-dire un chemin que l’on fait et qui est à faire, un trajet, une course, un cursus, un passage, un voyage, un parcours orienté, un déplacement linéaire, unidirectionnel (‘un début dans la vie’), des étapes, et une fin, au double sens, de terme et de but (‘il fera son chemin’ signifie il réussira, il fera une belle carrière), une fin de l’histoire » (Bourdieu 1986 : 69). Il donne deux exemples de cette représentation de la vie de l’individu. Le premier cas se retrouve dans une tradition littéraire et romanesque qui conçoit le récit d’un individu comme « un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d’une ‘intention’ subjective et objective, d’un projet : la notion sartrienne de ‘projet originel’ ne fait poser explicitement ce qui est impliqué dans les ‘déjà’, ‘dès lors’, ‘depuis son plus jeune âge’, etc. des biographies ordinaires, ou dans les ‘toujours’ (‘j’ai toujours aimé la musique’) des ‘histoires de vie’. Cette vie organisée comme une histoire se déroule, selon un ordre chronologique qui est aussi un ordre logique, depuis le commencement, une origine, au double sens de point de départ, de début, mais aussi de principe, de raison d’être, de cause première, jusqu’à son terme qui est aussi but » (Bourdieu 1986 : 69). Et l’autre cas concerne l’usage du nom propre. Pour l’auteur, « par cette forme tout à fait singulière de nomination que constitue le nom propre, se trouve instituée une identité sociale constante et durable qui garantit l’identité de l’individu biologique dans tous les champs possibles où il intervient en tant qu’agent, c’est-à-dire dans toutes ses histoires de vie possibles » alors que le récit de vie d’une personne s’inscrit dans un espace « soumis à d’incessantes transformations ». De fait, Pierre Bourdieu estime qu’« essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’événements successifs sans autre lien que l’association à un ‘sujet’ dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations » (ibid. : 71). Aussi comme le souligne l’auteur « c’est dire qu’on ne peut comprendre une trajectoire (c’est-à-dire le vieillissement social qui, bien qu’il l’accompagne inévitablement, est indépendant du vieillissement biologique) qu’à condition d’avoir préalablement construit les états successifs du champ dans lequel elle s’est déroulée, donc l’ensemble des relations objectives qui ont uni l’agent considéré -au moins, dans un certain nombre d’états pertinents- à l’ensemble des autres agents engagés dans le même champ et affrontés au même espace des possibles » (ibid. : 72). À cet égard, il faut s’interdire de penser l’histoire individuelle séparément de l’histoire sociale dans laquelle elle s’inscrit. Sans s’y réduire, les logiques des acteurs n’ont de sens que dans la compréhension des espaces de contraintes. Le projet défendu dans ce travail consiste justement à montrer comment la vie ordinaire de ces hommes et leur récit s’expriment dans les processus sociaux. Comme le remarque Pierre Bourdieu, les logiques des acteurs ne peuvent s’expliquer que dans les logiques du moment et non a postériori de leur existence.
En outre, pour ma part, la seconde remarque tient au fait que la démarche ethnographique suppose un travail intensif, dans cette recherche, la notion d’échantillon « statistiquement représentatif » n’a guère de sens. Toutefois, elle est remplacée par la représentativité des expériences, des vécus des acteurs. À la différence d’un simple entretien, l’approche par les récits de vie requiert la réalisation de plusieurs entretiens auprès de la même personne et donc, suppose une temporalité plus longue. Cette difficulté a été déjà relevée par Howard Becker dans une étude sur les populations dites déviantes. Il convient d’abord de s’entendre sur le sens du mot déviance. Ici, la déviance renvoie au terme apposé par la société à un comportement jugé déviant, car transgressant les normes établies. L’auteur fait remarquer que l’une des difficultés dans l’étude de telles populations, c’est le temps que le chercheur doit consacrer à ses enquêtés.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. DISCUTER DES POSITIONS ACTUELLES SUR L’HOMOSEXUALITE AU SENEGAL
2. DECRIRE ET COMPRENDRE LE REEL : UNE ETHNOGRAPHIE DU QUOTIDIEN
PREMIÈRE PARTIE : ETHNOGRAPHIER L’ILLÉGITIME LES CONDITIONS D’ENQUÊTE
1. L’ETHNOGRAPHE FACE AUX ATTENDUS SOCIAUX ET A SON OBJET D’ETUDE
2. LES POSTURES D’ENQUETE ADOPTEES SUR LE TERRAIN
3. CONTRAINTES ET ENJEUX DANS LA PRATIQUE DU TERRAIN AU SENEGAL
4. DE LA LEGITIMITE INSTITUTIONNELLE A LA RENCONTRE ETHNOGRAPHIQUE
5. DE L’INCONFORT ETHNOGRAPHIQUE A LA QUESTION DE L’ETHIQUE EN SCIENCES SOCIALES
RENDRE COMPTE DES SEXUALITÉS ENTRE HOMMES AU SÉNÉGAL
1. NOMMER LES PRATIQUES SEXUELLES ENTRE HOMMES AU SENEGAL
a. Histoire et signification de la notion de goorjigeen et expériences des acteurs
d. Le récit de soi. De la catégorisation aux identifications
DEUXIÈME PARTIE : LE DISCOURS SUR LA SEXUALITÉ SEXUALITÉ ET HOMOSEXUALITÉ DANS LES SCIENCES SOCIALES
1. PENSER ET DECRIRE LES SEXUALITES EN OCCIDENT
2. DISCOURS DES SCIENCES SOCIALES SUR LA SEXUALITE EN AFRIQUE
ANALYSE D’UNE CONTROVERSE : DISCOURS SUR L’HOMOSEXUALITÉ DANS L’ESPACE PUBLIC AU SÉNÉGAL
RAPPEL DES FAITS
1. LES HOMOSEXUALITES FACE A L’HETERONORMATIVITE DE LA SOCIETE SENEGALAISE
a. Les Statuts sociaux de sexe au Sénégal
Les homosexualités au Sénégal : légalité-illégalité, illégitimité sociale
Homosexualité au Sénégal au regard de la séroprévalence
2. LES CONSTRUCTIONS DE L’ILLEGITIMITE SOCIALE DE L’HOMOSEXUALITE AU SENEGAL
Une approche morale de l’ho􀅵ose􀇆ualité : la reprise des arguments religieux, du domaine politique au domaine culturel
3. LE DISCOURS SUR L’HOMOSEXUALITE : LE DISCOURS DE LA CRISE
a. Homosexualité et pouvoir : une pratique de classe ?
4. REACTIONS DES HOMMES AUX IDENTITES SEXUELLES MULTIPLES QUANT AUX DISCOURS DOMINANTS SUR L’HOMOSEXUALITE
DANS L’ESPACE PUBLIC
TROISIÈME PARTIE : EXPÉRIENCE ET VÉCU DE L’HOMOSEXUALITÉ AU SÉNÉGAL L’EXPÉRIENCE DE L’HOMOSEXUALITÉ AU SÉNÉGAL ENTRE ASSUJETTISSEMENT ET SUBJECTIVATION
1. LES MANIFESTATIONS DE LA VIOLENCE DANS L’ESPACE PUBLIC
a. Des services de santé globalement inhospitaliers pour les MSM ?
b. Les difficultés rencontrées avec les autres patients dans les centres de santé.
c. Les stratégies mises en place par les MSM face à ces situations
2. LES ASSOCIATIONS DE MSM AU SENEGAL
a. Émergence des associations de MSM
c. Les activités des associations de MSM
3. LES ASSOCIATIONS DE MSM : ESPACE DE RECONNAISSANCE ET DE VIOLENCE
a. La reconnaissance au sein des associations de MSM
b. La violence dans les rapports interpersonnels entre pairs
4. L’EXPERIENCE DE L’HOMOSEXUALITE DANS LES FAMILLES : DENI DE RECONNAISSANCE ET RECONNAISSANCE
Violence et relations de genre
b. Du mépris à la reconnaissance
Violence comme produit de rapports sociaux conflictuels. La ville, lieu de domination et de violence?
c. Les conditions de la reconnaissance dans les familles
Une reconnaissance sociale négociée. Renverser le stigmate par les finances.
QUATRIÈME PARTIE : LES ENJEUX DE LA PRÉVENTION ET DU SOIN AUPRÈS DES HOMMES AUX IDENTITÉS SEXUELLES MULTIPLES
1. PRATIQUES SEXUELLES ET RECOURS A UNE PROTECTION DANS LA RELATION SEXUELLE ENTRE HOMMES
2. HOMOSEXUALITE, VIOLENCE ET PRECARITE ECONOMIQUE
3. HOMOSEXUALITE ET PREVENTION : LES LIMITES ET LES POSSIBILITES DE LA PREVENTION MEDICALISEE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE UTILISÉE
OUVRAGES
ARTICLES JOURNAUX ET SITES WEB CONSULTES
ANNEXES
ANNEXE 1: FORMULAIRES DE CONSENTEMENT ECLAIRES
Formulaire de consentement éclairé
Formulaire de consentement éclairé en Wolof
ANNEXE 2 : POEME DE BIRAGO DIOP
ANNEXE 3 : TEXTES DE CHANSON RAP
Titre : Abdoulaye
Titre : Dèef ci Yaw
Le Sénégal en bref

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