Le discours, la conversation et le dialogue

Le discours, la conversation et le dialogue

Le discours Le discours est étudié depuis la période classique o`u la connaissance discursive (c’est-`a-dire structurée par un enchaˆınement logique de connaissances) s’opposait `a la connaissance intuitive qui n’est pas soutenue par un tel enchaˆınement et correspond `a un simple ensemble. Depuis, les nombreux travaux qui lui ont été consacré lui ont donné toujours plus d’importance. Cette notion, comme le souligne [Charaudeau et Maingueneau, 2002], ne délimite plus seulement un domaine de la linguistique mais définit une nouvelle manière d’aborder le langage. Dès Saussure, la langue est le système de signes tandis que le discours est une instanciation particulière de ce système. Cette opposition s’illustre dans la notion d’énonciation que Benveniste [Benveniste, 1966] définit comme l’“acte de production dans un contexte donné ou l’acte individuel d’utilisation de la langue”. Par essence, le discours est interactif, c’est `a dire produit en relation avec un destinataire direct ou indirect. C’est le cas de la conversation o`u les participants doivent assurer la coordination de leurs messages, tenir compte des attitudes per¸cues par leur vis-`a-vis et percevoir les effets de leurs énoncés sur ce dernier. Mais c’est aussi le cas de tous les discours, un orateur `a la tribune est attentif aux réactions de l’assemblée, de mˆeme le rédacteur d’un texte travaille ses effets de style. Enfin, on adapte sa manière de parler ou d’écrire `a la situation courante. Ces observations ont suscité des études caractérisant les genres de discours selon leur contexte d’énonciation [Bakhtine, 1984]. La conversation La conversation est un type particulier de discours1 , une interaction verbale [Kerbrat-Orecchioni, 1990] qui se déroule entre deux ou plusieurs participants et sans objectif 1On trouve également un emploi général du terme conversation qui renvoie `a la notion globale de “parler en interaction” (talk-in interaction). 7 Le discours, la conversation et le dialogue  precis. Il s’agit des discussions de tous les jours ou` les locuteurs n’ont pas de roles ˆ particuliers et ou` rien n’est programme (Kerbrat [Kerbrat-Orecchioni, 1996] dit qu’elle est symetrique ét egalitaire). Elle offre, par consequent, une tres` grande varieté de phenom énes ` conversationnels. Pour Kerbrat, la conversation est authentique et s’oppose au dialogue genéralement plus specialis é ou artificiel. Le dialogue Le dialogue est un type de conversation particulier qui met egalement en jeu au moins deux participants2 . Le terme est genéralement reserv é aux conversations dans des situations artificielles comme les dialogues du theatre ˆ ou les dialogues finalises qui seront etudi és dans le chapitre 2.1. Il est egalement employe pour traiter du dialogue homme-machine. Ce terme met egalement l’accent sur l’aspect negociatif de l’echange. Dans la tradition philosophique, le dialogisme (par opposition au monologisme) correspond à l’utilisation par un locuteur de “plusieurs voix”, comme dans le cas de dialogue avec le lecteur. Cette definition ést à opposer aux discours dialogaux qui mettent en jeu plusieurs participants reels. De tels discours peuvent etre ˆ monologiques si les participants developpent un meme ˆ sujet d’un meme ˆ point de vue d’une meme ˆ voix. Cependant, dans le cas genéral, la presence de plusieurs participants exige un effort de coordination. Cette notion centrale de l’etude pragmatique des conventions[Lewis, 1969] est reprise par [Kerbrat-Orecchioni, 1996] qui, dans ce cadre precis parle de synchronisation interactionnelle. Un des objectifssystematiques d’un dialogue est de s’accorder (au minimum) sur le contenu de la discussion. Le dialogue est donc un echange constructif (ce qui n’est pas requis par la conversation) ou` les participants doivent parvenir à coordonner leurs points de vue et, dans le cas de dialogues cooperatifs, leurs intentions (voir 1.1.4 la presentation des travaux de Clark). Traditionnellement, les travaux sur le dialogue ont un souci de modelisation formelle plus fort que ceux portant sur la conversation qui restent essentiellement sur le versant descriptif. Cette difference s’explique par l’origine de ces deux courants, mais aussi par la nature des objets etudi és : en tant que discours totalement libre la conversation se prete ˆ difficilement à la formalisation, tandis que le dialogue peut etre ˆ contraint3 au point de le rendre abordable par les outils formels. Apres` cette mise au point sur les sujets centraux de cette these, ` nous allons rapidement passer en revue les disciplines quise sont penchees sur ces objets. On y trouve bien surˆ des theories linguistiques mais aussisociologiques, psychologiques ou encore issues des travaux de l’intelligence artificielle. On l’aura compris, le discours dans sa diversiteést un sujet situe au carrefour des sciences cognitives.

Langage, contexte et discours

Dans l’opposition entre langue et discours evoque des` l’entame de ce chapitre la (ou plutotˆ les) notion(s) de contexte sont essentielles. Une premiere ` notion de contexte est associee à celle d’environnement. L’exemple couramment citeést l’interpretation des deictiques dont il est impossible de donner le sens sans utiliser une notion de contexte. Cette notion a etéétudi ée de maniere ` parallele ` par la linguistique de l’enonciation [Benveniste, 1966, Culioli, 1990] et par la pragmatique initiee par Austin [Austin, 1962] pour repondre au meme ˆ type de problemes. ` 2Bien que ce soit le cas le plus etudi é, le dialogue ne se limite pas à des echanges éntre deux participants. Pour clarifier, on parle parfois de dilogue, de trilogue ou de polylogue. 3On peut par exemple parler de dialogue entre agents artificiels. 

LE DISCOURS, LA CONVERSATION ET LE DIALOGUE 

La deuxieme ` notion de contexte (appelee parfois co-texte [Halliday et Hasan, 1976], [Brown et Yule, 1983]) est proche de celle d’historique du discours. Elle renvoie egalement à la notion “intuitive” du discours comme suite de phrases. Issue de la philosophie du langage, une approche a impose le discours comme une forme d’action. Les actes de langage (speech act4 ) sont composes d’une force illocutoire et d’un contenu. Cette separation cruciale exige des enonc és un effet sur le contexte, en particulier sur le destinataire du message. La structure du discours En tant que production langagiere ` contextualisee, le discours est oriente par les buts communicatifs du locuteur. Il possede ` une finalite à laquelle ses differentes sous-parties contribuent. Cette structure intentionnelle n’est qu’une des facettes de la structuration discursive dont la coherence ést capturee par des relations rhetoriques (voir section 1.2) [Hobbs, 1982, Polanyi et Scha, 1984, Mann et Thompson, 1987]. La nature (semantique, intentionnelle) de ces relations et leur nombre (restreint, exhaustif, infini) est encore l’objet de vives discussions [Daver, 1995, Knott et al., 2002]. Les marqueurs du discours[Schiffrin, 1987, Aijmer, 2002] contribuent à former cette structure discursive à partir de la “parole brute”. Les travaux fondateurs de [Austin, 1962] relaye par [Searle, 1969] ont conduit aux modeles ` actionnels du discours fondes sur des principes intentionnels et/ou conventionnels. Dans ce cadre la structuration du discours est fondee sur la rationalite des agents qui le produisent et le planifient (voir la section 1.1.5 sur les travaux en intelligence artificielle). De la semantique formelle à l’interface entre semantique ét pragmatique La semantique formelle, qui tient une place centrale dans notre travail a elle aussi eté profonde- ment affectee par le tournant discursif de la linguistique.La semantique de Montague [Montague, 1974] qui vise à determiner les phrases semantiquement bien formees, a evolue vers une semantique du discours fondee sur le dynamisme du sens [Kamp, 1981, Heim, 1982]. La DRT (Discourse Representation Theory) [Kamp, 1981, Kamp et Reyle, 1993] (suivie plus tard de la Dynamic Predicate Logic [Groenendjik and Stokhof, 1991]) capture formellement qu’il n’existe pas de discours sans contexte et que le discours lui meme ˆ modifie ce contexte. Elle definit le sens d’un enonc é comme ses effets potentiels sur le contexte. Plus recemment des theories comme la SDRT (Segmented Discourse Representation Theory) [Asher, 1993] se sont proposees de rassembler les apports de la semantique discursive dynamique (voir section 1.2.5) et de l’analyse du discours (voir section 1.1.3). Nous ne nous attarderons pas sur ces theories de l’interface semantique/pragmatique car elles feront l’objet de notre chapitre 3. Parmi les aspects present és dans cette section, certains d’entre eux renvoyaient au caractere ` social du discours. Nous allons dans la section suivante presenter brie`vement ces etudes moins linguistiques, issues de la sociologie et traditionnellement concentrees sur la conversation. 4Le terme speech act se traduit litteralement én acte de parole et cette definition ést acceptable en prenant parole dans son opposition à langue. Selon cette logique on trouve egalement le terme d’actes du discours. 

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 L’analyse conversationnelle

L’analyse conversationnelle initiee par Sacks [Sacks, 1992] au deb ut des annees soixante doit ses principales caracteristiques à l’ethnographie de la communication de [Hymes, 1972], l’ethnomethodologie de [Garfinkel, 1972] et la socio-linguistique de [Goffman, 1967]. L’ethno-methodologie étudie les structures des activites quotidiennes à l’aide de donnees énregistrees (films et bandes). Ces travaux erigent én dogme la souverainete des donnees authentiques. Les pionniers defendent à maintes reprises [Schegloff et Sacks, 1973, Sacks et al., 1974] la necessit é de travailler sur des corpus authentiques et retranscrits scrupuleusement avec un maximum de precision. De l’observation repétée de ces donnees doit naˆıtre une analyse independante affranchie des a priori theoriques. La reaction de l’analyse conversationnelle s’est dressee contre la definition de niveaux et d’unites d’analyse arbitraires, elabor és pour satisfaire des schemas theoriques pre-e xistants à l’observation. Cependant, bien que les analystes conversationnels ne recourent pas des` l’entame de leur analyse à des classifications d’enon- ces, ils finissent par utiliser de maniere ` informelle de telles classifications. La principale difference avec les methodes d’analyse utilisant des “grilles” d’interpretation tient donc dans l’origine des classifications: ou` elle denon cait ¸ une “mise en boˆıte” hati ˆ ve et forcee, l’analyse conversationnelle propose une classification plussouple fondee non plus sur des preceptes theoriques mais sur l’observation pure et simple. Plus precis ément, le travail de l’analyse conversationnelle s’est tout d’abord concentre sur l’etude du partage des temps de parole. Ces etudes ont valide la notion de tour de parole comme unite conversationnelle fiable malgre une quantite de recouvrements de tours de parole non negligeable. Cette notion a permis de preciser l’initiative : les re`gles de gestion de la prise de parole entre les participants. Ces travaux pionniers ont introduit en outre la paire adjacente qui a ensuite eté utilisee de maniere  intensive par les differentes approches du dialogue et de la conversation. La paire adjacente exprime un lien de dependance conditionnelle entre certains types d’enonc és comme les salutations,les remerciements ou les enchaˆınements questions/repon ses.Cette re`gle ne vise pas à separer énonc és corrects et incorrects5 mais exprime qu’etant donne le premier membre d’une telle paire, le second est attendu. Quand ce second membre fait defaut, les analystes conversationnels s’attachent à expliquer son absence. Cette methode a conduit à differencier les enonc és preférés (ou attendus) de ceux qui ne le sont pas. Par la suite, il a eté montre que les enonc és non-attendus etaient introduits à l’aide de marqueurs conversationnels particuliers. Pour resumer , les principales vertus de l’analyse conversationnelle sont de placer les donnees affranchies d’a priori theoriques au cœur de leur methode ét d’orienter l’analyse des sequences d’enchaˆınements sans prescrire une structure rigide. Cette souplesse rend cependant difficile l’utilisation directe de ces resultats qui servent plutotˆ d’inspiration aux travaux plus formels et appliques. Notons cependant [Bange, 1992] qui tente de coupler analyse des conversations et theorie de l’action.

L’analyse discursive

A l’inverse de l’analyse conversationnelle, l’analyse du discours [Sinclair et Coulthard, 1975, Stubbs, 1983, Roulet et al., 1985] des Ecoles de Birmingham et de Gene`ve, pose un cadre d’analyse 5L’analyse conversationnelle n’accorde pas d’importance à cette distinction : tout ce qui est observeést à prendre en compte plus strict issu de l’analogie entre phrase et discours. L’analyse discursive cherche (tout au moins dans ses premiers travaux) à determiner des re`gles pour definir les discours coherénts, de la meme ˆ maniere ` que les phrases bien formees sont definies par la syntaxe et la semantique. Gu [Gu, 1999] nous signale cependant que le developpement de l’analyse discursive s’est deroul é de maniere ` un peu chaotique tant au niveau des methodes, des objets d’etudes que des cadres de recherche. Pour Gu, toute analyse qui depasse le seuil de la phrase rele`ve de l’analyse discursive. Dans ce sens large, elle engloutit l’analyse conversationnelle. Gu recense quatre orientations de recherche pour l’analyse discursive : les effets du discourssur l’interpretation des enonc és, les effets des enonc és sur le discours, les effets du discourssur la societéét enfin l’integration des objets discursifs et sociaux puisque leurs existences dependent l’une de l’autre. Les re`gles strictes de l’analyse du discours ont force à proposer des structures plus raffinees que celles de l’analyse conversationnelle classique. Par exemple, à la simple paire adjacente, l’analyse du discours substitue la notion plus riche d’ec hange qui ajoute accessoirement un troisieme ` composant à la structure. Le premier membre de l’echange ést dit initiatif, le second est dit reactif ét le potentiel troisieme ` est evaluatif. Il arrive egalement que des echanges se poursuivent au delà de trois membres, on parle alors d’ec hanges etendus . Les ec hanges prennent place dans une hierarchie multi-niveaux [Roulet et al., 1985, Stubbs, 1983]  : 1. ACTE : Unite d’analyse minimale, une proposition associee à une force illocutoire (voirsection 1.1.1). 2. INTERVENTION : Un ou plusieurs ACTE(s) d’un locuteur contribuant à un ECHANGE 7 . 3. ECHANGE : Deux INTERVENTIONS (au moins) de locuteurs differents, plus petite unite interactive. 4. SEQUENCE (transaction) : Un ou plusieurs ECHANGE(s) relies par un fort degre de cohe- rence semantique/pragmatique (meme ˆ theme ` ou meme ˆ tache). ˆ 5. INTERACTION : Une ou plusieurs SEQUENCE(s), elle presente une continuite (participants, cadre spatio-temporel, themes). ` Dans l’exemple 1.1 qui illustre ces niveaux, les crochets indices correspondent à chaque niveau : Acte, Intervention, E change, Sequence. Le niveau “interaction” est absent de l’exemple puisqu’il concerne de larges portions de dialogue. Cet exemple n’est donne qu’à titre indicatif afin d’illustrer les niveaux de l’analyse discursive. Le decoupage des conversations est une tache ˆ difficile, nous reviendrons en particulier sur la cloture ˆ des eléments de haut niveau.

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