Le Développement Financier et la Croissance Economique
Introduction La littérature théorique et les différentes études empiriques sur la relation entre le développement financier et la croissance économique confirment, en grande partie, que cette relation n’est pas unanime ; elle diffère d’un pays à un autre, et au sein du même pays elle peut varier à travers le temps. Ces variations sont imputables aux différences parmi les deux parties de la relation, cela dit de la structure de l’économie et du système financier. Le rôle du système financier n’est le même dans un pays à caractère agricole où l’autofinancement est le plus répondu, ou dans un pays industrialisé où les besoins de financement externe impliquent les différents intermédiaires et marchés. Le rôle du système financier risque d’être marginalisé dans le cas des pays riches en ressources naturelles, puisque les revenus des ces dernières peuvent couvrir tous les frais d’investissement sans solliciter l’épargne des ménages. Ce dernier cas est une projection du cas Algérien que nous sommes sur le point d’étudier. La structure d’un système financier, les différents intermédiaires qui le composent ainsi que les institutions qui le gèrent sont tous des facteurs clés dans la détermination de son rôle et de son efficience. En se basant sur les divers théories de détermination du développement financier on peut s’apercevoir que l’Algérie, en tant qu’ancienne colonie extractive Française, a développé des institutions relevant du Droit Civil Français ; après l’indépendance, le régime socialiste a été rapidement adopté ce qui place l’Algérie dans la case des pays où l’activité économique et le système financier sont sous contrôle de l’état. Ce troisième chapitre sera donc consacré à l’étude du système financier Algérien et de son rôle dans la promotion de l’activité économique. La première section tentera de mettre la lumière sur les différentes phases par lesquelles est passé le système financier Algérien, les principales réformes qu’il a connues ainsi que sa situation actuelle. Pour pouvoir déterminer avec précision la nature de la relation entre le système financier Algérien et l’économie nous allons faire appel à des techniques économétriques spécifiques à l’étude des séries temporelles. Tout d’abord nous étudierons dans la deuxième section les propriétés stochastiques des différents indicateurs utilisés, et ceci dans le but de déterminer la méthodologie adéquate à suivre. La troisième section sera consacrée à l’étude des relations à court et à long terme entre les indicateurs du développement financier et de la croissance économique concernant l’Algérie durant la période entre 1970 et 2013. Cette étude sera basée sur la méthodologie de Johansen afin de déceler la présence d’un risque de cointégration entre les séries et de remplacer les méthodes conventionnelles d’estimation par un Modèle à Correction d’Erreur.
Le Système Financier Algérien
Durant l’ère coloniale, le système financier en Algérie était totalement dépendant de l’hiérarchie Française (Conseil National du Crédit et Banque de France). Les Banques Françaises présentes avaient ouvert leurs succursales dans le but de financer principalement les activités agricoles bénéfiques pour l’économie de la France Métropolitaine, leurs agences se concentraient au Nord du pays, plus particulièrement à proximité des grands ports, en plus le financement se focalisait sur les crédits à court terme (86% du total des crédits). De leur part, les 240 compagnies d’assurance présentes étaient quasiment concentrées dans le secteur agricole. Ce choix n’a jamais été arbitraire, mais il découle d’une politique intentionnelle appliquée par le colonisateur. On se retrouve face à une projection de la théorie des dotations de Acemoglu et al. (2001) ; l’Algérie était considérée comme une colonie extractive, toutes les activités tournaient autour de l’exploitation des ressources naturelles et leur rapatriement à la Métropole.
Le Système Financier Algérien de 1962 à 1969
En concordance avec la Charte d’Alger, les nouvelles autorités Algériennes lancent plusieurs procédures dans le but de créer un système financier Algérien totalement indépendant du système Français. La première étape était la création de La Banque Centrale d’Algérie au 1er Janvier 1963 (Loi n° 62-144 du 13.12.1962 et Décret du 28.12.1962)1 avec comme mission principale de “créer et de maintenir, dans le domaine de la monnaie, du crédit et des changes, les conditions les plus favorables à un développement plus ordonné de l’économie nationale”.2 La seconde étape dans ce processus était l’instauration de la Caisse Algérienne du Développement ; son objectif était le financement des grands projets (en dehors du secteur agricole) tels que SNS, CNAN et SONATRACH, et le suivi de leur réalisation (Loi n° 63-165 du 07.05.1963). Cependant, la CAD était décrite comme un “être préhistorique monstrueux qui ressemblait à la direction du plan, par son rôle dans l’établissement des programmes d’investissement public ou d’importation ; à la direction du Trésor, par son rôle de gestion du budget d’équipement et de la contrevaleur des aides étrangères ; à une banque d’affaire, par la participation qu’elle est habilitée à prendre ; à un établissement de crédit à court, moyen et long terme ; à une banque de commerce extérieur et à une Caisse des Marchés de l’Etat”.3 Les premières années de l’indépendance étaient caractérisées par un conflit d’intérêts entre la vingtaine de banques Françaises encore présentes, dont la maximisation des profits était un objectif central, et le besoin en financement du secteur agricole, déjà en phase de nationalisation, et dont le rendement était à ses plus bas niveaux. Ces banques se sont alors tournées aux seules opérations avec l’étranger, la France principalement. Pour contrecarrer cette situation, le trésor public, puis la Banque Centrale prennent en charge le financement du secteur agricole Algérien à travers les Sociétés Agricoles de Prévoyance. Ces nouvelles voies de financement souffraient de deux problèmes majeurs : l’encombrement des structures administratives et politiques qui allongent la durée d’obtention des fonds (et de leur remboursement s’il y en a), et la contrainte sur le volume des crédits. Le secteur industriel légué par la France après l’indépendance a eu sa part des problèmes de financement, après le trésor public et la banque centrale, plusieurs organismes se sont succédés en vaine à sa gestion. Les nouvelles autorités en place se trouvaient forcées de remédier à ces défaillances en matière de financement et d’accompagnement des investissements. C’est alors à la Banque Centrale d’Algérie qu’est revenue la charge de construire le reste du système financier tant attendu. D’abord, le Dinar Algérien est devenu monnaie nationale à partir de 1964, il était défini à 180 mg d’or fin (Loi n° 64-111 du 10.04.1964. Par contre, le droit régalien a été retardé pour des raisons techniques).1 Cependant il était connecté au Nouveau Franc Français à parité égale jusqu’à Août 1969. La construction du système financier Algérien était initiée par la création de La Caisse Algérienne d’Assurance et de Réassurance (Loi n° 63-197 du 08.06.1963) pour couvrir les charges d’assurances industrielles ; peu de temps après, La Société Algérienne d’Assurance a été créée pour couvrir les besoins en assurance chez les particuliers (Arrêté du 12.12.1963). Ces deux assureurs sont venus compléter le rôle de La Caisse Centrale des Réassurances des Mutuelles Agricoles afin de stimuler l’économie nationale en remplaçant les 240 compagnies d’assurances existantes au lendemain de l’indépendance.2 En plus de la création de La Caisse Nationale d’Epargne et de Prévoyance dans le but de collecter l’épargne publique et financer le secteur immobilier (Loi n° 64-227 du 10.08.1964), les autorités ont procédé au remplacement des banques Françaises d’ores et déjà inutiles par trois banques primaires en absorbant leurs actifs. L’objectif principal de ces banques primaires était d’alléger le fardeau supporté par la Banque Centrale et le Trésor Public, il s’agissait de : 3 * La Banque Nationale d’Algérie a été crée avec comme objectif la promotion du secteur agricole, du textile, des mines, du transport ferroviaire et aérien et des industries mécaniques (Ordonnance n° 66-178 du 13.06.1966). La BNA a absorbé les actifs de : Crédit Foncier d’Algérie et de Tunisie, Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie, Crédit Industriel et Commercial, Banque de Paris et des Pays-Bas, Comptoirs d’Escompte de Mascara, Caisse Algérienne de Crédit Agricole Mutuel, Caisse Régionale et Locale, Caisse Centrale des Sociétés Agricoles de Prévoyance, Caisse des Prêts Agricoles .
Le Système Financier Algérien de 1970 à 1985
Pour remédier aux différents obstacles qu’a rencontrés le développement de l’économie Algérienne (principalement à travers le plan triennal 1967-1969), les autorités nationales ont procédé à un nombre de réformes du système financier, en partant de la loi de finance de l’année 1970 et celles qui ont suivi. La décision la plus importante, et qui était considérée comme le pilier de toutes ces réformes, était de déléguer aux banques commerciales la responsabilité en matière de financement et de contrôle du processus d’industrialisation. Les traits principaux de ces réformes peuvent être résumés dans les axes suivants :1 * Les sociétés nationales et les établissements publics sont tenus de concentrer leurs comptes bancaires ainsi que leurs opérations bancaires au niveau d’une seule banque (Article 18, Ordonnance n° 69-107 du 31.12.1969). Le choix de la banque se fait selon le domaine d’exercice de l’entreprise en réponse au principe de spécialisation des banques ; * Deux procédures sont mises en place pour minimiser les déficits enregistrés par les entreprises publiques : i) si le déficit est causé par des contraintes extérieures, l’entreprise subit un programme de restructuration, ii) un plan d’assainissement est prévu pour les entreprises dont le déficit est du à des défaillances de gestion (Articles 34 et 35, Ordonnance n° 69-107 du 31.12.1969) ; * La séparation des tâches entre le Ministère du Plan et celui des Finances (Instruction n° 4067 du 14.08.1970). Le premier sélectionne les investissements, approuve leurs coûts, désigne leurs réalisateurs et se charge de l’inscription de leurs opérations au programme annuel. Le deuxième, par le biais des banques commerciales, s’occupe de la mise en place des crédits de paiement nécessaires à la réalisation de ces opérations, du transfert des crédits de paiement entre les chapitres, de la publication et de la gestion de la nomenclature du budget d’équipement ; * A partir du 1er Janvier 1970, les fonds constitués par les dotations aux amortissements et les réserves des sociétés nationales et établissements publics à caractère industriel et commercial, sont obligatoirement déposés dans un compte au Trésor Public (Article 26, Ordonnance n° 70-93 du 31.12.1970. Ces dépôts sont redevables d’un taux d’intérêt de 5% pour une période de cinq ans et de 6% pour une période de dix ans). Cependant, la majorité des entreprises publiques étaient déficitaires, donc elles ne faisaient qu’emprunter auprès des banques pour déposer cet argent dans leurs comptes au Trésor Publique (cette obligation a été suspendue par la loi de finance de l’année 1976) ; * Le financement des investissements productifs est assuré par des crédits remboursables accordés soit par les institutions financières nationales, soit par des crédits 1 Goumiri M, op.cit, pp 90-104. Chapitre III. Le Développement Financier et la Croissance Economique en Algérie 118 extérieurs. La possibilité d’octroi de dotations à fonds perdus est donc supprimée (Ordonnance n° 70-93 du 31.12.1970) ; * Le système financier est doté de deux nouvelles institutions : le Conseil du Crédit est chargé de la gestion de la Banque Centrale, le Comité Technique des Banques est chargé du contrôle des banques en matière de respect des réglementations (Article 1, Ordonnance 71-47 du 30.06.1971) ; * Les sociétés nationales et les établissements publics sont tenus d’effectuer la totalité de leurs règlements par mouvement de leurs comptes bancaires. Cette procédure visait principalement à consolider le rôle des banques dans le contrôle des entreprises économiques (Article 19, Ordonnance n° 71-86 du 31.12.1971) ; * Les crédits interentreprises (en dehors du crédit commercial) sont catégoriquement prohibés (Article 22, Ordonnance n° 71-86 du 31.12.1971) ; * La Caisse Algérienne du Développement est devenue la Banque Algérienne du Développement, son rôle s’est transformé de fournisseur de crédits à longs termes en comptable assignataire de l’état doublé du rôle de contrôleur financier, ce qui fait d’elle une succursale du Trésor (Ordonnance n° 72-27 du 07.01.1972) ; * Le plafonnement des taux d’intérêts, d’escompte et de réescompte par décision du Ministère des Finances ; * Le Trésor Public est devenu responsable du financement des investissements planifiés à partir de 1978 (Article 7, Loi n° 77-02 du 31.12.1977), avant cette date, sa contribution n’était qu’indirecte.