Le développement d’une politique européenne commune sur les accords commerciaux avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne

La prolifération des accords commerciaux régionaux

Les auteurs parlent de prolifération des accords commerciaux régionaux, car d’une part, ils deviennent de plus en plus nombreux, et d’autre part, quasiment tous les membres de l’OMC sont parties à de tels accords19. Nous pouvons maintenant définir les accords commerciaux régionaux, aussi appelés « accords commerciaux préférentiels ». Tout d’abord, par « accord », il faut entendre « l’instrument utilisé, en l’occurrence des traités, des conventions internationales au sens des deux conventions de Vienne sur le droit des traités respectivement de 1969 et de 1986 »20. Ces accords peuvent avoir lieu entre Membres de l’OMC mais également entre les Membres et non Membres. Parmi les Membres de l’OMC figure également l’Union européenne, Membre originel (article XI :I de l’Accord sur l’OMC)21. Ensuite, le qualificatif « commercial » donne une indication sur le contenu des accords, similaire au droit de l’OMC, mais approfondit le régime régi par le droit de l’OMC22. Enfin, ces accords commerciaux sont dits « préférentiels » car, non seulement, ils réservent leurs avantages aux seules parties qui les ont conclus mais en plus les concessions entre les parties sont réciproques et obligatoires. Les ACPr présentent des avantages et des inconvénients. En ce qui concerne les avantages, l’ACPr réduit le nombre des parties, ce qui permet de surmonter certaines faiblesses du système multilatéral23.

De plus, ces accords permettent aux parties en cause de pratiquer une ouverture progressive et sélective sur les plans géographique et sectoriel24. Un État peut par exemple faire la promotion de ses produits nationaux et encourager ses entreprises à s’installer dans tel pays, et influencer de cette manière les flux commerciaux et d’investissement25. En ce qui concerne les désavantages, l’un des problèmes dû à la prolifération des ACPr est le risque de désordre entre le système international universel incarné par l’OMC et ces nombreux ACPr. En effet, les ACPr peuvent ajouter de nouvelles règles ou modifier celles administrées par l’OMC26. Par exemple, en matière de santé publique, certaines dispositions des accords de libre-échange américains avec des pays en développement (PED) interdisaient l’importation de produits pour lutter contre les pandémies telles que le SIDA. Une telle attitude va à l’encontre des acquis de l’OMC.27 De plus, dans le cadre des relations Nord-Sud, le multilatéralisme est plus protecteur des intérêts des plus faibles par le biais de la puissance du nombre28. En revanche, le régionalisme maximise les effets de l’asymétrie de puissance entre les parties et permet aux puissances commerciales de faire accepter aux PED des sujets de négociation déjà rejetés au niveau multilatéral29. À titre d’exemple, on retrouve souvent des modèles de conventions signés par les PED, qui ne peuvent être modifiés que par la puissance commerciale en cause30. Désormais, ces accords commerciaux préférentiels présentent des caractéristiques propres qui les distinguent des ACR de l’ancienne génération.

LES ACCORDS DE LIBRE-ECHANGE DE NOUVELLE GENERATION DE L’UNION EUROPEENNE

Nous commencerons d’abord par décrire les objectifs poursuivis par ces ALE de nouvelle génération de l’Union européenne (A), puis nous effectuerons une brève description des compétences au sein de l’UE concernant ces accords (B).

A.- Les objectifs des accords de libre-échange Les accords de libre-échange visent à réduire les droits de douane entre États afin de favoriser les échanges commerciaux39. Aujourd’hui, l’UE possède une quarantaine d’ALE qui concernent la quasi-totalité des continents40. En effet, la Commission européenne définit parmi ses priorités de politique commerciale la progression de l’ouverture des marchés à l’extérieur de l’Union par la conclusion d’accords de libre-échange41. L’expression « accord de libre-échange de nouvelle génération » est née lorsque l’UE a conclu un ALE avec la Corée en 201142. Par la suite, de nombreux accords de ce type ont été conclus par l’UE, comme l’ALE avec Singapour, le Canada et le Vietnam. En effet, ces ALE se différencient des anciens par leurs objectifs, qui ont une portée beaucoup plus large.

Outre le volet tarifaire traditionnel, consistant à réduire les obstacles au commerce de biens et de services, ces accords comportent des dispositions sur l’investissement, les marchés publics, la protection des droits de propriété intellectuelle, le développement durable, la concurrence, les normes sanitaires et phytosanitaires, les questions réglementaires, etc.43 Ensuite, ces ALE s’efforcent à créer une harmonisation des normes, qu’elles soient sanitaires, sociales ou environnementales44. Enfin, ces accords veulent assurer une meilleure protection aux investisseurs et aux commerçants par des mécanismes de règlement des différends plus évolués45. Ces accords sont divisés en trois grandes catégories de chapitres. La première partie concerne le traitement national et l’accès au marché. Elle couvre donc le commerce de marchandises et des services, l’agriculture, les marchés publics, les services financiers etc. On y trouve également des chapitres qui portent sur les droits des entreprises comme l’investissement et la propriété intellectuelle46. La seconde partie concerne les règles du marché et la gouvernance publique. Enfin, un dernier groupe de chapitres porte sur l’administration des accords dont le mécanisme de règlement des différends47.

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B.- Le développement d’une politique européenne commune sur les accords commerciaux avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009 a apporté des changements majeurs au cadre juridique et institutionnel de la politique commerciale et de l’investissement de l’UE48. L’article 207 du TFUE clarifie la compétence de l’Union en lui accordant une compétence exclusive sur les principaux aspects du commerce extérieur.49 La compétence pour conclure des traités en matière d’investissement, jusque-là dévolue aux États membres, est désormais transférée à l’Union européenne50. Cela signifie que l’Union européenne peut désormais négocier des accords complets couvrant le commerce et l’investissement. Le traité de Lisbonne a été un incitant pour l’Union européenne à conclure davantage d’accords de libre-échange et de traités bilatéraux d’investissement. Néanmoins, une question s’est posée à multiples reprises lors des négociations des ALE de nouvelle génération, et plus précisément dans le cadre de l’ALE entre l’UE et Singapour.

L’UE disposait-elle de la compétence exclusive pour signer et conclure seule cet accord avec Singapour ? S’il s’agit d’un accord mixte et non exclusif, alors il engagera les responsabilités politiques à la fois européennes et nationales51. La Cour de justice de l’UE a tranché cette question dans son avis 2/15 du 16 mai 2017, en décidant que l’accord en question ne peut pas être conclu uniquement par l’Union52. En effet, certaines des dispositions envisagées relèvent de la compétence partagée entre l’Union et les États membres53. Parmi ces dispositions qui ne font pas parties du volet de la compétence exclusive de l’UE, on retrouve le domaine des investissements étrangers ainsi que le régime de règlement des différends entre investisseurs et États54. Concrètement, cela signifie que cet accord doit d’abord être signé par les assemblées parlementaires des pays membres avant de pouvoir entrer en vigueur55. Cet avis joue un rôle fondamental car les ALE ultérieurs seront soumis au même régime56. Enfin, il est intéressant de passer en revue le rôle des acteurs européens dans la conclusion des accords commerciaux. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit en son article 218 (6) que tous les accords commerciaux conclus par l’Union européenne doivent être approuvés par le Parlement européen avant de pouvoir entrer en vigueur57. En effet, le Parlement est co-législateur avec la Commission européenne. Celle-ci joue un rôle important, car elle négocie avec les pays partenaires au nom de l’UE, après avoir reçu un « mandat de négociation » par le Conseil. Une fois que les partenaires sont tombés d’accord sur le texte concerné, la Commission soumet le texte au Conseil pour l’adoption d’une décision relative à la signature et le Conseil transmet à son tour l’accord signé au Parlement pour approbation58. À la fin du processus, le texte ayant été approuvé par le Parlement, le Conseil adopte la décision relative à la conclusion de l’accord59.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – LA PRESENTATION DES ACCORDS COMMERCIAUX REGIONAUX
I.- L’EVOLUTION DES ACCORDS COMMERCIAUX REGIONAUX
A.- L’impossibilité de développer des accords multilatéraux sous l’égide de l’OMC
B.- La prolifération des accords commerciaux régionaux
C.- Le profil des accords commerciaux régionaux contemporains
II.- LES ACCORDS DE LIBRE-ECHANGE DE NOUVELLE GENERATION DE L’UNION EUROPEENNE
A.- Les objectifs des accords de libre-échange
B.- Le développement d’une politique européenne commune sur les accords commerciaux avec l’entrée en
vigueur du traité de Lisbonne
DEUXIEME PARTIE – LES MECANISMES DE REGLEMENT DES DIFFERENDS DE L’UNION EUROPEENNE
I.- LE REGLEMENT DES DIFFERENDS COMMERCIAUX ENTRE PARTIES
A.- Généralités à propos du règlement des différends entre parties
B.- Le règlement des différends commerciaux dans les accords entre l’Union européenne d’une part et
Singapour, le Vietnam et la Corée du Sud, d’autre part
C.- Le règlement des différends commerciaux dans le CETA
II.- LE REGLEMENT DES DIFFERENDS ENTRE INVESTISSEURS ET ÉTATS
A.- L’origine et l’évolution du RDIE
B.- La définition, avantages et inconvénients du RDIE
TROISIEME PARTIE – LA NOUVELLE VERSION DU MECANISME DU REGLEMENT DES DIFFERENDS ENTRE INVESTISSEURS ET ÉTATS DANS LE CADRE DU CETA
I.- L’INVESTMENT COURT SYSTEM
A.- La création de l’Investment Court System
B.- La présentation de l’Investment Court System
C.- Le futur Tribunal multilatéral d’investissement
II.- LA COMPATIBILITE DE L’ICS AVEC LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE
A.- Le principe d’autonomie du droit européen
B.- L’application du principe d’autonomie dans le cadre du CETA
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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