Le développement de l’écriture à la maternelle
En 2001, le ministère de l’Éducation a mis en place le Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ), qui inclut un volet spécifique à l’éducation préscolaire, une mise à jour a été effectuée en 2006 (MELS, 2006). Ce programme, tout comme les deux précédents, est inspiré de l’approche globale du développement recommandée par le Conseil supérieur de l’Éducation dans un avis publié en 1996 (CSE, 2012). Le volet sur l’éducation préscolaire du Programme de formation de l’école québécoise poursuit trois objectifs : « faire de la maternelle un rite de passage qui donne le goût de l’école ; favoriser le développement global de l’enfant en le motivant à exploiter l’ensemble de ses potentialités ; et jeter les bases de la scolarisation, notamment sur le plan social et cognitif, qui l’inciteront à continuer à apprendre tout au long de sa vie » (MELS, 2006, p.52). Le programme d’éducation préscolaire s’articule autour de six compétences et de différents savoirs essentiels (MELS, 2006). Parmi ces compétences, l’une est spécifique au développement langagier, un élément primordial pour le développement cognitif et la socialisation du jeune. C’est ainsi que l’enfant, en interaction avec un environnement varié et stimulant, en arrive à développer des habiletés de communication, autant à l’oral qu’à l’écrit, qui l’aideront à développer les autres compétences du programme particulier à la maternelle (MELS, 2006).
Il est important de noter que dans le PFÉQ « l’accent est mis sur la formation des élèves plutôt que sur la transmission des connaissances » (Beauséjour, 2004, p.37). En ce sens, les enfants sont amenés à développer leurs habiletés par l’entremise d’un apprentissage actif comprenant le jeu, l’expérimentation et l’interaction avec autrui (CSE, 2012). Par ailleurs, le Conseil supérieur de l’éducation mentionne que pour prévenir les difficultés scolaires, le développement des habiletés en littératie revêt une grande importance à la maternelle (CSE, 2012). La compréhension du système écrit par l’enfant nécessitera la découverte de différents aspects, tels queles fonctions de la lecture et de l’écriture, la familiarisation avec les caractéristiques du langage écrit, les liens entre le langage écrit et le langage oral, les concepts spécifiques à l’écrit et la sensibilisation à l’aspect sonore de la langue (Giasson, 2003). Au terme de sa recherche, Thériault (2010) rapporte que des composantes de la conscience de l’écrit, telles que la découverte des fonctions de l’écrit, l’orientation et les liens entre le langage oral et le langage écrit sont davantage exploitées lors de la routine d’accueil. Elle mentionne que cela pourrait s’expliquer par le fait qu’elles sont « plus faciles à intégrer aux activités et moins associées à un enseignement formel » (Thériault, 2010, p. 385). Concernant les autres composantes de la conscience de l’écrit, (les concepts de lettre, de mot et de phrase, la sensibilisation à l’aspect sonore de la langue et la découverte du processus d’écriture) ses résultats démontrent qu’elles sont rarement exploitées et parfois même jamais dans certains cas (Thériault, 2010).D’ailleurs, à l’issue de son projet de recherche, Morin (2002a) propose que « l’école maternelle doit encourager et exploiter davantage la langue écrite dans le but que l’enfant se construise une représentation plus précise des différentes unités qui constituent la langue orale » (p. 399). Néanmoins, Ferreiro (2002) mentionne que dans la tradition anglo-saxonne, les activités de lecture et d’écriture sont abordées séparément et que les activités de lecture sont davantage présentes. D’ailleurs, une étude menée par Morin, Nootens et Montésinos-Gelet (2011) sur les pratiques des enseignants en lecture-écriture relate que celles reliées à l’écriture en classe maternelle sont moins fréquentes que les pratiques en lien avec la lecture. Bien que l’importance de faire cohabiter les activités de lecture et d’écriture soit maintenant reconnue (Thériault, 1996 ; Ferreiro, 2002 ; Morin, Prévost et Archambault, 2009 ; Morin, 2011), les auteures émettent l’hypothèse que les enseignants rencontrent des difficultés à intégrer ces deux aspects dans leurs pratiques quotidiennes, particulièrement les activités d’écriture. À ce propos, les résultats de Thériault (2008), par rapport aux interventions éducatives des enseignants de la maternelle quatre ans pour le développement de la conscience de l’écrit, démontrent un chevauchement entre le courant de l’intervention et le courant de l’émergence de l’écrit. Elle explique ces résultats, entre autres par les propos de Simard (1997), qui soutient que la transition d’un courant à un autre prend un certain temps, car les courants se recoupent, généralement le temps d’une génération d’enseignants, plutôt que se remplacer. Par ailleurs, Gauthier et al. (1997) détiennent également une piste explicative en précisant que les enseignants ont des conceptions par rapport aux interventions éducatives qui proviennent de leur expérience en tant qu’élève qui influencent leur pratique pédagogique. Bien qu’ils éprouvent une certaine difficulté à intégrer les activités d’écriture en classe, une étude de Brodeur et al. (2003) rapporte que parmi les enseignants de maternelle interrogés, aucun n’est défavorable à un éveil à la connaissance des lettres (CL) et aux habiletés métaphonologiques (HM), soit des activités de manipulation des unités phonologiques visant le développement de la conscience phonologique telles que l’identification, la fusion, la segmentation, la suppression, la catégorisation, le dénombrement et la substitution. Par contre, leurs résultats révèlent que les enseignants éprouvent des difficultés à travailler les HM avec le groupe (Brodeur et al. 2003). De plus, les enseignants mentionnent un manque au niveau de la formation à ce sujet, qui leur permettrait d’intervenir efficacement auprès des enfants (Brodeur et al., 2003).
Au cours de son développement de l’écriture, l’enfant traversera différents stades, car il s’agit d’un processus évolutif (Thériault, 1996). Le processus de découverte du système écrit, bien qu’il soit évolutif, n’est toutefois pas linéaire. En effet, l’enfant fera différents apprentissages qui le mèneront d’un stade à l’autre au fil de ses expériences avec l’écrit (Jaffré et Morin, 2008). Par le biais de ses différentes expériences en lien avec le système écrit, il en arrivera à proposer des hypothèses qui le conduiront peu à peu vers la connaissance du système écrit (Thériault, 1996 ; Giasson, 2003 ; Morin et Cantin, 2011 ; Morin, 2011). Parallèlement, certaines activités de graphisme peuvent être vécues à la maternelle dans le but d’apprendre à l’enfant comment tenir un crayon adéquatement (Montésinos-Gelet et Morin, 2006) et lui permettre de développer sa posture de scripteur, sa latéralisation et sa structuration spatiale (orientation haut-bas, gauche-droite sur une page) (Lacombe, 2004). Cependant, l’apprentissage de l’écriture à la maternelle ne doit pas reposer sur la calligraphie et « l’important n’[est] pas de faire faire des exercices mais de pousser [l’enfant] toujours un peu plus loin dans les activités qu’il réalise » (Morin, 2002a, p.202). Ainsi, les activités de graphisme doivent demeurer ludique et viser en premier lieu le développement de la motricité fine (Charron, Boudreau et Bouchard, 2010).
L’apprentissage de l’écriture réside plutôt dans les tentatives de l’enfant pour comprendre le système d’écriture alphabétique et la production de message en fonction du niveau de compréhension qu’il possède (MELS, 2003). Depuis quelques années en Chine, certains enseignants de classe préscolaire délaissent le programme d’apprentissage formel de l’écriture pour adopter un programme davantage axé sur l’émergence de l’écriture (Chan, Zi Juan et Lai Foon, 2010). Leur nouvelle approche vise à encourager les enfants dans la découverte de l’écriture sous différentes formes (dessins, écriture inventée) dans des situations authentiques, tout en valorisant le plaisir d’écrire. L’étude de Chan, Zi Juan et Lai Foon (2010) démontre qu’un enfant qui est encouragé fera spontanément des expériences avec l’écriture, ce qui contribue au développement de sa confiance en tant que scripteur. De plus, l’enfant qui reçoit des encouragements à faire des tentatives d’écriture et qui voit ses tentatives valorisées par l’adulte sera davantage motivé à écrire (Chan, Zi Juan et Lai Foon, 2010).
Certains chercheurs (Bina, 2011 ; Williams et Hufnagel, 2005) ont tenté de voir si un entraînement préalable pouvait avoir des impacts sur les productions écrites des enfants. Les résultats de Bina (2011) démontrent qu’après avoir reçu des interventions didactiques et vécu des activités sur la syllabe (identification, segmentation et manipulation d’unités syllabiques), les enfants acquièrent des connaissances sur la langue qu’ils réinvestissent dans leurs écrits à l’aide du codage des unités sonores qui composent le mot et/ou du mot complet, « car ils commencent à savoir utiliser les unités de la langue » (p. 198).Par ailleurs, l’étude de Williams et Hufnagel (2005), révèle que les retombées du programme d’étude des mots avaient été différentes selon le niveau des enfants. Ainsi, les enfants ayant un haut niveau de connaissances en littératie, dès leur entrée en maternelle, n’ont pas bénéficié autant de ce programme que les enfants avec un niveau moyen de connaissances. Pour ce qui est des enfants ayant un faible niveau de connaissances en littératie, le programme était trop avancé pour eux. Ces résultats rejoignent les propos de Bina (2011) qui mentionne que de nombreux facteurs, d’ordre linguistique, didactique et personnel, influencent l’entrée dans l’écrit et que ces facteurs auraient une influence différente selon les individus. Certes, les enfants ne s’approprient pas tous l’écrit au même rythme. En effet, les connaissances acquises par les enfants sont différentes pour chacun d’eux puisqu’elles proviennent de leur interaction avec les écrits de leur environnement et des modèles de lecteurs et de scripteurs qu’ils auront côtoyés (Thériault, 1996). En ce sens, l’émergence de l’écrit est un processus personnel à chaque enfant qui sera amené à réaliser différents essais logiques et à émettre des hypothèses sur le système écrit selon ses questionnements et ses intérêts (Doyon et Ledoux-Major, 2008). À cet égard, « il importe d’observer et de questionner chacun d’eux afin de vérifier [leurs] préoccupations et de respecter [leur] cheminement d’apprentissage » (Doyon et Ledoux-Major, 2008, p.6). Par ailleurs, dans le respect de l’orientation préconisée par le PFÉQ (MELS, 2006), l’activité spontanée et le jeu doivent demeurer au cœur des activités vécues à la maternelle pour permettre aux enfants de développer leurs compétences et leurs connaissances, tout en étant soutenus par les diverses interventions de l’enseignant
Pour sa part, Ecalle (2004) suggère d’amorcer l’apprentissage du code alphabétique en se servant du prénom des enfants. Outre le fait que l’écriture du prénom constitue un indice quant aux connaissances de l’enfant sur le système écrit (Ecalle, 2004), il peut servir de base affective aux activités permettant la connaissance du nom et du son des lettres pouvant être réutilisés lors de l’écriture de différents mots. Cette idée rejoint celle émise par Morin (2004) voulant que des mots signifiants, bien connus à l’oral, mais peu à l’écrit, soient encouragés dans les productions des enfants de la maternelle. Ainsi, l’apprentissage de ces mots et des lettres qui le constituent permettra des éléments de référence pour l’écriture de nouveaux mots.
Au terme de cette section, il est possible de constater la place importante accordée au développement de l’écriture dans les classes de maternelle. Aussi, bien que les enfants évoluent à leur rythme à travers cet apprentissage, les interventions éducatives des enseignants influencent leurs découvertes et leurs tentatives d’écriture. D’où la nécessité de bien comprendre les premières productions écrites des enfants.
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