Le développement de la protection constitutionnelle de l’accès à internet

La nécessaire tolérance des propos

L’intégration par le juge constitutionnel de la liberté d’expression, peut produire de graves conséquences, notamment lorsqu’elle est utilisée en matière d’atteinte à l’honneur ou à la réputation des personnes investies d’une fonction publique et celles dont le public a un intérêt légitime à connaitre l’activité, cependant son intégration a été strictement limité. Notons que dans ce cadre spécifique, l’exercice de la liberté d’expression paraît bénéficier d’une large protection juridictionnelle en Europe comme aux États-Unis d’Amérique. L’explication générale de cette large protection de la liberté et qui est commune à ces deux systèmes, européen et américain réside dans la volonté d’assurer par une liberté d’expression la plus large possible, le bon fonctionnement d’un système politique démocratique. La jurisprudence de la Cour suprême américaine est celle qui est « allée le plus loin » en ce domaine, et elle n’a pas manqué d’influencer ses homologues étrangers210. Dans la décision New York Times v. Sullivan, la Cour suprême déclare que le droit de Common Law de la diffamation viole la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression211. Dans cette décision rendue dans un contexte social et politique très particulier, la Cour suprême a conclu que le droit du citoyen de critiquer les représentants du Gouvernement revêt une importance si exceptionnelle dans une société démocratique que son respect passe nécessairement par la tolérance des propos qui, à la fin peuvent être jugés mensongers.
Liberté d’expression et personnalité politique. La plupart des pays de Common Law, sensibles à l’influence de la jurisprudence de la US Suprême Court, notamment à la suite de la décision Sullivan, ont fait bénéficier à la liberté d’expression une large étendue quand des personnes investies defonctions publiques sont mises en cause. La recherche d’un « juste équilibre » entre la liberté d’expression de la presse et la protection de la réputation des personnalités politiques, s’est également soldée en Europe par une primauté de la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Lingens, par exemple, a considéré que lorsque la réputation d’une personnalité politique est mise en cause, cette dernière doit faire preuve d’une « plus grande tolérance » à l’encontre des critiques dont son activité publique peut faire l’objet212. Cette plus grande tolérance à l’égard des personnes investies de pouvoirs publics se retrouve dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande213. Les juges du fond français admettent le principe mais ils continuent à se heurter à une conception de la liberté d’expression plus restrictive de la part de la Cour de cassation 214 . Toute personnalité politique doit pouvoir bénéficier des dispositions du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne qui protège la réputation d’autrui, même quand il n’agit pas dans le cadre de sa vie privée. Selon la Cour européenne, les nécessités principales de cette couverture doivent cependant être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques. Les tribunaux devront, afin de résoudre le conflit entre liberté d’expression et droit à la protection à sa réputation, concilier les normes en conflit au vu des circonstances d’espèce, circonstances qui permettent, de faire pencher la balance en faveur de tel ou tel intérêt215. La Cour européenne a toutefois posé un certain nombre de principes qui permettent de guider la recherche par le juge d’un équilibre entre les intérêts antagonistes216. La Cour a souligné que les limites aux critiques admissibles sont plus larges à l’égard d’un homme politique, qui devrait montrer une grande tolérance, notamment lorsqu’il se livre lui-même à des déclarations publiques extrémistes.
La Cour européenne tente de façonner les contours d’une sphère publique dans laquelle il faut s’efforcer de donner à la liberté d’expression une portée maximale. Pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies, et que la définition de ce qui est susceptible de relever de l’intérêt général dépend des circonstances de chaque affaire221. De plus, elle protège autant la substance des idées ou informations exprimées que leur mode d’expression, ce qui conduit à admettre le recours à la polémique. La marge ouverte à la liberté de critique du citoyen est susceptible d’être examinée plus ou moins favorablement selon la fonction occupée par ce dernier 222 . C’est un principe que l’on peut déduire de la jurisprudence française, sachant que le juge français tend nettement à privilégier les informateurs traditionnels du public par rapport à ceux qui ne le sont que de manière occasionnelle et sur qui peuvent peser certains devoirs ou responsabilités particulières. Par informateurs traditionnels du public, on entend les journalistes et, de manière générale, les médias numériques, qui se sont vus reconnaître un rôle de première importance en matière d’information du public et, à ce titre, ont bénéficié d’une jurisprudence très compréhensive à leur égard.

Le dépassement des carences démocratiques par la « fondamental isation » du droit numérique

La révolution technologique numérique semble être la solution pour parvenir à dépasser les obstacles (historiques) liés à la démocratie représentative. Les NTIC pourraient permettre la mise en place d’un référendum numérique (a), et faciliter l’expression et le choix des citoyens aux questions publiques (b).

La révolution démocratique numérique , le référendum 2 . 0

Le référendum numérique permettrait de dépasser la trivialité de la réponse traditionnelle « oui ou non » 223. Le numérique pourrait permettre de résoudre durablement la crise démocratique, notamment l’abstentionnisme. L’idée de donner une plus grande place aux citoyens dans la sphère politique n’est pas nouvelle mais elle s’adapte à l’essor de la « démocratie numérique ». L’instauration d’un référendum numérique sécurisé, serait un nouveau moyen pour la démocratie directe. Selon Tatiana Shulga-Morskaya l’introduction d’instruments de la participation directe, en forme de l’e-démocratie, crée un conflit au sein du régime représentatif, conflit qui, selon elle ne sera résolu que par un aménagement de la notion de démocratie représentative, voire sa substitution par une autre notion, ayant vocation à concilier les exigences de la participation et de la représentation 224 . Un référendum numérique permettrait de voter de façon plus segmentée et pas « en bloc » à une question comprenant plusieurs ramifications. Traditionnellement et habituellement lors du choix de réponse qu’il faut faire à un référendum, les réponses classiques sont le oui, en faveur ou le non, en défaveur de telle disposition référendaire. Un référendum numérique permettrait de dépasser la trivialité de la réponse positive ou négative à un référendum ordinaire. Avec les nouvelles technologies il serait possible de mieux sonder la volonté du peuple afin de mieux satisfaire leur exigence. Les doutes des citoyens, vis-à-vis de la classe politique et de nos institutions atteignent leur apothéose. Les citoyens sont sans cesse plus nombreux à utiliser internet pour s’engager et influencer le travail politique. Les manifestations contestataires initiées par les pétitions et les hashtags en sont un exemple.
Les moyens numériques permettent aujourd’hui à toujours plus de citoyens de participer aux processus décisionnels, à la rédaction de textes législatifs, au dialogue avec les représentants politiques municipaux, régionaux et nationaux, de mieux connaitre les projets des candidats aux élections, et même de participer à l’émergence de nouveaux candidats à travers éventuellement l’organisation des campagnes électorales225. Cependant, comme l’expose Pauline Türk, dans la plupart des États, malgré leur potentiel, les outils numériques sont exploités essentiellement à des fins de communication et de diffusion de l’information. En effet l’étude de l’UIP226 souligne qu’un parlement sur cinq seulement organise les pétitions électroniques (comme l’Assemblée nationale du Québec depuis 2009) et seulement 25 % des parlements travaillent activement à améliorer l’interactivité avec les citoyens dans le cadre de processus délibératifs et décisionnels, la démarche demeurant marginale et expérimentale.
La France a accueilli et présidé pour la première fois en décembre 2016 l’événement : « Partenariat pour un Gouvernement Ouvert ». L’organisation internationale « Partenariat pour un Gouvernement Ouvert » a été créée en 2011, elle est composée de 80 pays et a comme objectif les bonnes pratiques en matière d’ouverture de l’action publique, de transparence et de participation des citoyens. La démocratie numérique encourage à garder espoir contre le protectionnisme et le populisme. La participation des citoyens est trop souvent, voir toujours, limitée à la période des élections. La participation des citoyens pourrait être effectuée en continu pendant tout le mandat politique, notamment aujourd’hui grâce aux apports des NTIC. C’est la nouvelle « e-gouvernance ouverte » qui doit permettre d’ouvrir le fonctionnement des institutions publiques aux citoyens. Elle doit permettre non seulement d’améliorer l’ouverture et la qualité de nos services publics mais aussi de répondre aux nouvelles attentes des citoyens, tant en matière d’innovation des usages que de refondation démocratique. La défiance vis-à-vis du responsable politique, accusé de ne pas être en phase avec les citoyens, et l’apparition des NTIC peut changer la manière de les concevoir et rénover les pratiques démocratiques.

Le plural isme des opinions dans la jurisprudence du Consei l constitutionnel

Le pluralisme est inhérent au droit démocratique. Comme le souligne Marie- Anne Cohendet : « Si le pluralisme est nécessaire à l’existence d’un droit démocratique, c’est avant tout parce que ces deux notions reposent sur des valeurs communes et interdépendantes »233. Le pluralisme ne peut être pleinement reconnu que si les valeurs de base de la démocratie sont respectées. Parmi ces valeurs on trouve la liberté et l’égalité. La démocratie peut même être définie comme la synthèse de la liberté et de l’égalité. Hans Kelsen avait déjà souligné cette spécificité pour démontrer que les théories de l’extrême droite ou marxistes, qui nient, au moins provisoirement, l’un ou l’autre de ces éléments, ne peuvent pas être considérés comme démocratiques.
Le pluralisme des opinions doit être considéré comme essentiel à la démocratie.
C’est une valeur favorisant la diversité sur l’unité, revendiquant le droit à l’existence deplusieurs modes de pensée et la diversité des opinions. Dans cette logique, la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions paraît, impérativement, devoir bénéficier de la plus haute considération de la part du juge en tant qu’elle favorise naturellement le pluralisme des idées. Il peut être défini comme une conception de l’ordre politique et juridique qui privilégie la pluralité, et l’hétérogénéité, des opinions et des préoccupations dans la société civile et fait de la garantie de leur pluralité une condition de la liberté240. Dans cette logique, selon la Cour européenne des droits de l’homme : « il n’existerait pas une société démocratique sans le pluralisme »241. La Cour européenne a également souligné la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux en ce qu’il serait inhérent à la notion de société démocratique242, tout comme elle a jugé nécessaire d’imposer aux États l’obligation de favoriser un certain pluralisme éducatif. En droit national, la valorisation du pluralisme des opinions pour le juge constitutionnel a des conséquences sur le droit à la liberté d’expression qui doit valoir autant pour les informations ou opinions, généralement, accueillies avec faveur ou pouvant être considérées comme « bienveillantes »243, mais aussi pour celles relatives par exemple à des questions sur la sexualité des enfants ou touchant uniquement une fraction de la population244. Le Conseil constitutionnel protège le caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels (a), et semble vouloir augmenter la protection de l’accès à internet, en tant que vecteur de la liberté de communication (b).

Internet vecteur d ’une liberté historique

Par réaction à la censure exercée par le Roi sur tous les écrits imprimés, la Révolution de 1789 consacre la liberté de la presse à travers l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen252. Cette consécration est d’autant plus importante que la période révolutionnaire est marquée par l’éclosion d’une multitude de journaux dont le ton est particulièrement virulent. La mise en oeuvre du principe posé par l’article 11 de la Déclaration de 1789 va cependant connaître des vicissitudes et va faire alterner libéralisme et autoritarisme au cours de l’histoire. Aujourd’hui, grâce à internet en tant que réseau interactif intrinsèquement pluraliste, il est possible de s’exprimer et de communiquer. Internet, comme l’essor du Mouvement des gilets jaunes le démontre, est une source de débats politiques et il créerait un dialogue direct, sans filtres, entre gouvernants et gouvernés.

Le plural isme, élément central de la liberté d ’ expression de l’article 11 de la Déclaration de 1789

La référence au « pluralisme ». Un point à préciser, si ce n’est à éclaircir avant d’étudier plus spécifiquement la mise en oeuvre de la liberté d’expression, concerne les différentes formulations dans lesquelles le pluralisme se trouve inséré dans la jurisprudence constitutionnelle. On trouve en effet dans plusieurs dispositifs des décisions du Conseil constitutionnel des références directes au « pluralisme ». Ainsi peut-on lire la mention du « caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels » 255 , du « pluralisme des quotidiens d’information politique et générale »256, du « pluralisme de la presse nationale, régionale, départementale ou locale » 257 , du « pluralisme de l’information et des programmes »258, « d’une expression libre et pluraliste des idées et des courants d’opinion », du « pluralisme des moyens de communication »259. Il est alors légitimement possible de s’interroger sur l’utilisation du vocable « pluralisme » dans les décisions du Conseil constitutionnel, lors de la concrétisation de l’article 11 de la Déclaration de 1789. Ses diverses occurrences poussent d’abord à chercher de caractériser les différences qu’elles entretiennent, mais ensuite à découvrir l’unité qu’elles expriment. L’unité se trouve peutêtre dans les mentions solitaires, sans autres précisions, du pluralisme. Ainsi la décision 86-210 DC énonce que « le respect de ce pluralisme est l’une des conditions de la démocratie ». Mais les termes du Conseil incitent à lire cette formule, dans son contexte, dans son entier et à en décrire tous les éléments. Or le juge mentionne bien une certaine application du pluralisme, le pluralisme des courants d’expression socioculturels, et en fait seulement l’une des conditions de cette démocratie260. Il est donc peut-être un peu rapide, d’interpréter d’emblée les différentes décisions du juge constitutionnel comme une volonté d’un pluralisme à l’image des décisions du juge européen avec la « garantie de la démocratie ».

Pluralisme et effectivité de la liberté d ’expression

Le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants d’expression socioculturels, Cet objectif a été dégagé dans la jurisprudence constitutionnelle en matière de communication audiovisuelle, est présenté dans la décision n° 86-217 DC comme l’« une des conditions de la démocratie ». Mais cette place essentielle qui lui est ainsi conférée ne l’est pas uniquement de façon abstraite. Ce pluralisme est en effet inséré à une place particulière dans l’argumentation du Conseil constitutionnel. Le considérant n°11 de la décision 86-217 DC est très riche et il faut bien décomposer le raisonnement suivi par le juge constitutionnel. Le juge constitutionnel nous apprend ici que le pluralisme des courants d’expression socioculturels est l’un des moyens qui va rendre effective la liberté de communiquer ses pensées et ses opinions, elle-même garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789. Ainsi cette liberté décrite dans le texte révolutionnaire ne peut se réaliser complètement sans l’appui de la poursuite de cet objectif. Si la liberté de communication est bien définie par le texte de la Déclaration, elle ne se concrétise que par sa mise en oeuvre dans le cadre du respect d’un objectif de valeur constitutionnelle qui est l’une des conditions de la démocratie. Il paraît alors possible de déduire des termes de la décision du Conseil constitutionnel le contenu et la fonction de ce pluralisme. Le contenu semble être constitué par l’existence de programmes audiovisuels garantissant « l’expression de tendances de caractères différents dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ». La fonction, quant à elle, se manifeste dans le fait que ce pluralisme des programmes doit aboutir à la possibilité laissée aux téléspectateurs et auditeurs d’exercer un « libre choix » parmi ces programmes, choix qui ne sera effectivement « libre » que s’il est exempt de toute contrainte excessive de la part des pouvoirs publics. Ce raisonnement est aujourd’hui le même concernant le libre choix par les internautes des sites internet.

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