Le développement de la perception haptique
Le développement de la perception haptique chez le nourrisson
Le nourrisson voyant
La perception haptique chez le nourrisson voyant
Le réflexe de préhension en réponse à une stimulation de la paume de la main est déjà présent in utero (Erhardt, 1974). La pression exercée sur la paume de la main par un objet ou par le doigt de l’observateur déclenche la fermeture de la main du nourrisson autour du stimulus. Le réflexe de préhension est la forme d’interaction dominante du nourrisson avec son Le développement de la perception haptique 38 environnement. Des nourrissons de quelques heures sont capables de détecter des différences dans la forme de deux petits objets (un prisme et un cylindre) aussi bien de la main droite que de la main gauche (Streri, Lhote, & Dutilleul, 2000). Quelques jours après la naissance, Molina et Jouen (1998) observent que les nourrissons modulent la pression sur des objets présentant des textures différentes. Les nouveau-nés de quelques jours sont également capables de détecter une différence de texture entre deux objets (Molina & Jouen, 2003). Les formes curvilignes ou rectilignes, pleines ou présentant un trou sont bien différenciées dès l’âge de 2 mois (Streri, 1987; Streri & Milhet, 1988). À cet âge, le bébé est également capable de distinguer un objet volumétrique d’un objet plat (Streri & Molina, 1993). Avant l’âge de 4 mois, la majorité des nourrissons saisissent et explorent les objets d’une seule main et utilisent principalement une procédure exploratoire d’enveloppement (Gentaz et al., 2000). La perception de la forme est donc probablement globale ou limitée à la détection d’indices (e.g. des courbes, un trou) ce qui ne permet pas aux nourrissons d’avoir une représentation précise de ce qu’ils tiennent dans leur main. La préhension avec les deux mains est généralement possible dès l’âge de 4 mois (Gentaz et al., 2000). Les nourrissons peuvent alors tenir et interagir avec des objets plus volumineux. Ils sont capables de détecter des différences de poids (Streri, 1991). Ils peuvent également se servir du système main-épaule pour faire la différence entre la propriété rigide ou flexible d’un objet (Spelke, 1998). Des nourrissons de 4 à 6 mois commencent à montrer des procédures exploratoires de type frottement latéral lorsqu’ils sont exposés à des textures différentes (Morange-Majoux, Cougnot, & Bloch, 1997). Dans une étude de Gentaz et Streri (2002) des nourrissons de 5 mois ont montré la capacité de détecter des écarts d’orientation entre différentes tiges tenues successivement à une main. Vers 7 mois, les nourrissons sont également capables de traiter deux caractéristiques simultanées (forme et texture) d’un objet (Catherwood, 1993). 39 L’étude de la perception tactile sans interaction avec la vision est cependant difficile chez les nourrissons car ils tolèrent difficilement de ne pas voir ce qu’ils manipulent. De ce fait, il y a peu de données concernant l’évolution de l’exploration manuelle non guidée par la vision au cours de cette période.
La vision et le toucher chez le nourrisson voyant
Dès les premiers jours de leur vie, les nouveau-nés font le lien entre l’information vue et tenue. Des nouveau-nés de quelques jours sont capables de faire le lien entre la texture d’un objet vu et celle d’un objet tenu (Molina & Jouen, 2001). Ils sont également capables de reconnaitre visuellement une texture touchée préalablement et de reconnaitre par le toucher une texture vue précédemment (Sann & Streri, 2007). Pour le traitement de la forme, le transfert semble plus complexe. Les nourrissons peuvent reconnaitre visuellement la forme d’un objet présenté simultanément ou successivement lorsque ce dernier a été préalablement exploré par la main droite (ce résultat n’est pas retrouvé avec la main gauche dans l’étude) (Streri & Gentaz, 2004). Cependant, la relation inverse n’a pas été observée. Il semble que les nourrissons ne soient pas capables de reconnaitre par le toucher la forme d’un objet préalablement vu (Sann & Streri, 2007). La capacité de transfert entre toucher et vision dépendrait donc de la nature de la propriété à traiter (forme ou texture). Ces résultats sont également observés chez des nourrissons de 2 mois qui reconnaissent visuellement un objet déjà tenu mais pas l’inverse. A 5 mois les bébés sont pour la première fois capables de reconnaitre par le toucher un objet vu précédemment. Cependant, la capacité n’est ensuite provisoirement plus observée (Streri & Pêcheux, 1986) et l’est de nouveau à partir de 6 mois (Rose, Gottfried, & Bridger, 1981). Ces variations pourraient être expliquées par un 40 développement à deux vitesses du système visuel plutôt rapide et du système haptique plutôt lent (Gentaz, 2018). La coordination entre la vision et la préhension apparait vers 4-5mois (Hatwell, 2003a) On observe alors l’émergence de mouvements préhensiles coordonnés avec des perceptions visuelles. Le bébé va ramasser les objets à sa portée pour les déplacer, les transférer d’une main à l’autre ou encore les porter à ses yeux ou sa bouche. La main acquiert alors une nouvelle fonction de transport qui va s’exercer au détriment de la fonction perceptive. En effet, lorsque la vision permet d’accéder à des informations sur les propriétés géométriques (taille, forme, etc.), le système haptique n’est plus mobilisé (Abravanel, 1972, 1973). La main assure alors simplement les fonctions de saisie et de transport de l’objet dans le champ visuel. Les nourrissons non-voyants n’ont pas accès à la vision pour repérer et attraper des objets. Ce manque d’information visuelle peut avoir un effet sur le développement de la perception haptique.
Le nourrisson non voyant
La perception haptique chez le nourrisson non-voyant Les recherches chez le nourrisson non-voyant montrent des mains peu toniques avec une activité d’exploration faible bien que le réflexe d’agrippement soit également présent chez ces derniers (Fraiberg, 1977; Fraiberg, 1968; Fraiberg, Siegel, & Gibson, 1966). Les mains ont tendance à être maintenues rétractées au niveau des épaules avec les doigts remuant dans le vide (Hatwell, 2003a). Des stratégies d’exploration spécifiques au traitement de la texture commencent à être observées à la fin du second semestre. Schellingerhout, Smitsman et Van Galen (1997) observent la mise en place de procédures d’exploration telles que le frottement latéral pour discriminer différentes textures à partir de l’âge de huit mois. De plus, Landau (1991) observe l’utilisation de procédures d’exploration différentes pour le traitement des formes et des textures chez des nourrissons non-voyants de 18 mois. Les bébés utilisent le frottement latéral lorsqu’ils sont stimulés avec des surfaces texturées et produisent des mouvements de rotation du doigt qui s’apparentent à du suivi de contour lors de la perception de forme. La procédure de suivi de contour est donc maitrisée plus tard chez les nourrissons non-voyants (18 mois) que chez les nourrissons voyants (dès 4 à 6 mois) (Morange-Majoux et al., 1997). Lors de l’exploration de petits objets, une exploration digitale et la capacité à faire tourner l’objet dansles mains sont observées à partir de 13 mois(Roelof Schellingerhout, 1998). Cependant, l’exploration orale est observée jusqu’à 22 mois tandis que l’activité digitale est déjà forte chez les nourrissons voyants de 5 mois (Ruff et al., 1992). Il semble que le développement des capacités haptiques chez les nourrissons nonvoyants soit plus tardif que chez les nourrissons voyants. Cette tendance à l’inactivité des mains et ce retard de développement peuvent s’expliquer par les caractéristiques du toucher. Le toucher est un sens de contact, il a un champ perceptif très limité qui a une très faible « valeur d’appel et d’incitation à percevoir les objets qui sont hors champ » (Hatwell, 2003a). Les nourrissons voyants peuvent repérer un objet par la vue et produire des mouvements pour aller le saisir et l’explorer haptiquement (coordination vision préhension). Les nourrissons nonvoyants sont, eux, limités à une coordination audition préhension pour repérer des objets hors de leur champ perceptif tactile.