Le développement architectural et la qualité du bois le cas de l’Angélique de Guyane
Introduction La première partie de cette thèse a dressé le tableau de l’évolution de la quantité d’aubier dans le tronc en fonction de l’ontogénie de l’arbre. En plus de présenter des quantités d’aubier variable, l’Angélique présente aussi une grande variabilité de la durabilité naturelle de son duramen (Déon, 1980 ; Bonjour, 1996 ; Amusant et al., 2004). L’accent sera donné sur l’étude des propriétés physiques et mécaniques (i.e. infradensité et élasticité) ainsi que technologiques (i.e. retrait, durabilité) en fonction de la position dans l’arbre et en fonction de l’ontogénèse tout en intégrant les effets liés à la duraminisation. L’Angélique est une accumulatrice de biomasse importante à l’échelle Amazonienne (Fausetet al., 2015) (voir Introduction générale). Il est donc d’un grand intérêt de comprendre les variations d’infradensité (ID) à l’échelle intraspécifique comme intra-individuelle. Et ainsi être capable de partitionner la variation attribuée à l’effet de l’individu et à celui de la position dans l’arbre. A ce jour, différents profil de variation d’ID ont été observés. Les essences pionnières présentent une augmentation d’ID le long du rayon (Wiemann & Williamson, 1988 ; 1989b) alors que celle de fin de succession présenteraient une ID décroissante du cœur vers l’écorce (Woodcock & Shier, 2002). Néanmoins, Nock et al. (2009) ont observé un gradient radial croissant chez Vitex penduncularis et Afzelia xylocarpa deux essences à ID assez forte (0.65-1.00) et respectivement de milieu et de fin de succession. Les auteurs ont mis en avant l’importance de l’intégration de la plante entière et de l’histoire de vie des espèces comme la clé de compréhension des relations entre les variations radiales, la biomécanique et le statut successionnel des essences. Au sujet de la variation verticale chez des espèces tropicales, la littérature est pauvre. Rueda & Williamson (1992) ont cependant étudié la variation verticale d’ID chez Ochroma pyramidale et ont constaté qu’elle augmente à cœur avec la hauteur, mais que sous écorce, elle est similaire quelle que soit la hauteur, excepté dans les parties basses du tronc, là où elle est légèrement plus faible. Les auteurs ont également émis l’hypothèse du ‘time constant-model’, suggérant que l’ID du bois mis en place au même moment est similaire quelle que soit la position considérée. L’Angélique étant une essence hémi-tolérante à tendance héliophile, on s’attend alors à observer un profil radial d’ID croissant. Néanmoins, sa capacité à pousser en milieu fermé comme ouvert (Forget, 1988) peut laisser place à des variations de profils de densité. D’un point de vue technologique, il y a peu d’études qui prennent en compte les effets de la position dans l’arbre sur les propriétés technologiques (e.g. McLean et al. (2011)). Le retrait dimensionnel (la diminution d’une ou plusieurs dimensions du bois au cours du séchage) est également une propriété technologique très importante puisqu’elle va engendrer des déformations du produit en bois tout au long du processus de transformation. L’intensité du retrait est cependant moins problématique que les fortes différences de retrait entre différentes dimensions du bois (i.e. anisotropie du retrait) qui peuvent entrainer des Le développement architectural et la qualité du bois le cas de l’Angélique de Guyane 60 voilements et des fentes au cours du séchage (Fournier et al., 2003). Qui plus est, l’étude du retrait dimensionnel dans un contexte ontogénétique est très intéressante puisque de par ses déterminismes multiples, il en devient une propriété intégratrice de traits/propriétés anatomiques, physiques et chimiques. Les causes de la variabilité du retrait dimensionnel au séchage trouvent leurs origines à diverses échelles. D’un point de vue macro-anatomique, l’angle du fil a une influence, alors qu’au niveau cellulaire, l’épaisseur des parois, et par conséquent l’ID, ont un effet positif sur le retrait radial et tangentiel (Stamm, 1935; 1952). A l’échelle pariétale, les proportions relatives de lignine, cellulose et extractible ainsi que l’angle des microfibrilles (AMF) influencent le retrait. Un AMF faible et un AMF fort (30-40°) ont un effet positif respectivement sur le retrait transverse et sur le retrait longitudinal (Yamamoto et al., 2001). Les métabolites infiltrent les pores de la paroi au moment de la duraminisation et par conséquent ont un effet sur le retrait (Yin et al., 2015). Des essais sur des bois extraits et non extraits produisent des valeurs de retrait significativement différentes (Adamopoulos, 2002; Hernández, 2007). Par leurs liaisons avec la paroi, les extraits modifieraient la disponibilité des sites d’absorption de l’eau (Taylor, 1974 ; Kryla, 1980). Mais cet effet ne semble pas être unidirectionnel, puisqu’après l’extraction de métabolites différents chez différents Eucalytpus, Chafe (1986) a observé des effets positifs et négatifs sur le retrait, suggérant que la diversité des métabolites présent dans les parois cellulaires serait la source de réponses variées au séchage. Ainsi l’étude comparative du retrait dimensionnel du duramen et de l’aubier peut être indicatrice de la nature des molécules synthétisées lors de la duraminisation et par conséquent informatrice de la stratégie de duraminisation de l’espèce. Chez l’Angélique, le retrait tangentiel, radial et volumique sont respectivement de 8.2, 5.1 et 13% (Cirad (2011)), ce qui correspond aux valeurs moyennes de retrait des essences commerciales (Walker et al., 1993). L’anisotropie du retrait transverse de l’Angélique est donc relativement faible (i.e. 8.2/5.1 = 1.6). Ce chapitre vise également à caractériser le module d’élasticité spécifique (Module d’élasticité / densité) de l’Angélique depuis la moelle vers l’écorce, qui est une propriété décrivant la rigidité du matériau en s’affranchissant des effets liés à sa densité. Dans le cas du matériau bois, le module d’élasticité spécifique est un proxy de l’AMF. Les objectifs de ce chapitre sont donc (1) la compréhension des sources de variation d’ID dans l’arbre et en fonction de l’ontogénèse ainsi que (2) la description des variations de propriétés technologiques tout en prenant en compte les effets de la présence d’extraits par la comparaison de l’aubier et du duramen.
Matériels et Méthodes
Sélection et description des arbres
Les arbres ont été abattus sur le site de Paracou, dans une forêt secondaire (Route Nationale 1, PK 98). La description des arbres a été effectuée de la même manière que dans le chapitre précédent. 2. Sélection des rondelles de bois et de la bille A la suite de la description de l’arbre, une rondelle de bois a été prélevée à 1m30 (Figure 10). Pour les arbres à fort empâtement, la rondelle a été prélevée à la hauteur la plus basse pour 61 laquelle la section du tronc a été jugée circulaire. Une rondelle de bois a ensuite été prélevée dans le tronc tous les 3m jusqu’en dessous de la fourche. Suivant la taille de l’arbre, 1 à 3 rondelles de bois ont été prélevées dans les branches de la couronne. Nous avons également collecté une bille de bois de 50 cm de long (Figure 10) provenant de la base du tronc en position inférieure de la première rondelle. Dans le cas d’arbre à fort empâtement, la bille de bois a été collectée en position supérieure de la première rondelle. Une marque à la griffe le long du tronc a permis de conserver l’alignement des rondelles de bois et de la bille. 3. Photographies des rondelles de bois Toutes les rondelles de bois prélevées ont été photographiées avec un étalon d’échelle pour procéder à une analyse d’image afin de reconstituer le défilement des différents tissus dans l’arbre (Duramen, Aubier, Ecorce) (Résultats présentées dans le Chapitre I) 4. Débit des éprouvettes Un plateau diamétral de la longueur de la bille a été extrait puis raboté à 5 cm d’épaisseur (Figure 10A2). Ce dernier a ensuite été divisé en deux parties de 8 cm et 30 cm de hauteur respectivement (Figure 10A3 et 4). Les éprouvettes de mesure du retrait dimensionnel et du module d’élasticité ont été repérées respectivement dans la première partie et la seconde partie, suivant le même alignement dans le plan tangentiel. La partie supérieure a ensuite été rabotée à 2 cm d’épaisseur et débitée tous les 2 cm dans le plan tangentiel. Chacune des faces des éprouvettes a ensuite été polie afin de garantir un état de surface optimal. La partie inférieure a été rabotée à 2.3 cm d’épaisseur puis débitée tous les 2.3 cm dans le plan tangentiel. Chacune des éprouvettes a ensuite été rabotée jusqu’à obtention d’une section carrée. Les rondelles basales, distales et médianes du tronc, ainsi que celles de la couronne, ont été sélectionnées pour les mesures de la variation radiale d’ID (Figure 10B1). Figure 10 : Organigramme du débit des éprouvettes. Voir explication paragraphe précédent (A), et paragraphe suivant (B).
Mesures d. Mesure de l’infradensité (ID) et de l’humidité verte (HV)
Ce paragraphe est extrait et adapté de la fiche méthodologique rédigée par Julie Bossu. Stockage des rondelles : Le matériel est testé vert et doit donc rester dans les conditions d’humidité d’origine. Pour éviter que l’eau libre ne s’évapore pendant le transport, les rondelles une fois collectées, ont été immédiatement conditionnées dans des sacs plastiques individuels, résistants et placées de préférence dans un lieu ombragé. Les mesures ont été réalisées au plus vite après le prélèvement des rondelles (au maximum 24h après l’abattage) Usinage des éprouvettes De retour au laboratoire, chacune des rondelles a été rabotée. Un barreau radial passant par la marque de la griffe a ensuite été coupé à la scie à ruban (Figure 10B2). Les dimensions finales sont d’environ 3,5 cm x 2,5 cm (Tangentiel X Longitudinal). Les éprouvettes ont été obtenues par fendage longitudinal du barreau dans le plan longitudinal-tangentiel tous les 5mm (Figure 10B3). Pour les très grands barreaux, les éprouvettes ont été fendues tous les 1 cm dans les zones homogènes, et tous les 0.5 cm proche du cœur, sous écorce et dans la zone de transition aubier-duramen. Pour obtenir une éprouvette centrale incluant la moelle, les traits de découpe sont faits à partir du cœur et jusqu’à l’écorce. On numérote ensuite les éprouvettes depuis le côté griffé jusqu’à l’extrémité du barreau pour conserver la même orientation des rondelles prélevées sur le même arbre.