La participation des forces de l’ordre
L’intervention militaire dans un mouvement peut signifier deux choses : soit pour établir la paix entre deux entités ou groupes opposés qui sont en contradiction, soit pour exercer la répression au cas où elles sont déjà l’adversaire qui lutte contre son adversaire. La situation présente : les contradictions s’établissent entre le gouvernement et la population. Le premier a envoyé les militaires pour stopper la grève.
Ce n’est pas par hasard que les militaires sont intervenus dans cette contestation, mais le régime fédéral des Comores sous la direction du président Mohamed Taki, a ordonné aux militaires de réprimer catégoriquement les manifestants. Deux dates, à savoir le 18 février et le 14 mars 1997, constituent les faits les plus marquants des prémices des mécontentements anjouanais.
Cependant, selon le Président et son gouvernement, le seul moyen possible de mater les revendications des enseignants et des élèves est de recourir à la violence. Pour empêcher cette population de ne pas aussi dire du mal du gouvernement, ils ont vite envoyé, le 18 février 1997, des militaires pour réprimer le mouvement de grève illimité. A cette période, des affrontements violents entre jeunes, syndicalistes et les forces de l’ordre (police, gendarmerie, etc.) ont eu lieu à Anjouan. Le bilan était de un mort du côté des élèves, des blessés dont quatre sont gravement blessés et plusieurs personnes arrêtées.
Au lendemain de ces affrontements, les manifestants, surtout les jeunes élèves ont barricadé les routes de Mutsumudu. Cette dernière est devenue incontrôlable.
Le devenir politique du Mouvement
Au lendemain de la répression militaire à Anjouan, plus précisément au mois de mai 1997, le Mouvement Social réclamant la réouverture des écoles et de meilleures conditions de vie a pris une tournure politique. Les séparatistes se réfèrent à Mawana61 en hissant un drapeau rouge de cinq doigts le 10 mai 1997. En outre, l’implication des politiciens dans le mouvement montre déjà la tournure politique.
Il convient aussi de rappeler que le mouvement séparatiste avait trois appellations : Organisation pour l’Indépendance d’Anjouan (OPIA), Mouvement Populaire Anjouanais (MPA), Mouvement Séparatiste Anjouanais (MSA). Ces appellations avaient comme objectif principal la séparation d’Anjouan vis-à-vis de la capitale fédérale de Moroni.
Ce mouvement dénommé « MAWANA » est présidé par le commandant Ahmed Mohamed Hazi, ancien gouverneur de l’île et ancien chef de l’état-major des forces armées comoriennes sous le régime d’Ahmed Abdallah. D’autres chefs du mouvement séparatiste comme Chamasse Saïd Omar, Ahmed Charkane, Abdallah Ibrahim, ont tous joué un rôle d’avant-garde en manipulant la population anjouanaise et détournant le puissant mouvement social de 1997. Ces leaders font croire à la population que la grève est de la fantaisie et qu’ils détiennent la vérité absolue. Ils avancent l’idée que la solution aux problèmes des Anjouanais est de se détacher de l’Etat comorien pour que la population anjouanaise puisse vivre dans le « Rehemani ».
A cet égard, les leaders séparatistes n’ont pas tardé à mener une campagne de sensibilisation dans les différentes localités de l’île. Leur objectif est de faire comprendre à la population anjouanaise que les Grands-Comoriens sont sans doute lesauteurs des violations et des répressions dont elle est victime. Autrement dit, les séparatistes, pour atteindre leur objectif, dressent les Anjouanais contre les Grands- Comoriens en disant que ces derniers sont les responsables des malheurs qui rongent leur île. Alors que la crise économique, politique et les difficultés quotidiennes n’épargnent aucune île de l’archipel. le président TAKI affirme personnellement que « les Comoriens doivent savoir qu’ils ont un pays et un seul, qu’ils sont un et indivisibles ».
Rôle des médias dans le mouvement
Les médias font partie des facteurs qui contribuent à la mobilisation et à la généralisation du mouvement. Ils jouent un rôle médiateur dans la mesure où ils transmettent rapidement les informations et les événements en temps réel par le biais de la télévision. Ils favorisent la mobilisation des millions de téléspectateurs à travers lepays et le monde. Si les gens de l’extérieur, les ONG, ou les autres pays tels la France pensent en bien ou à mal à propos du mouvement, c’est qu’ils suivent les informations.
Quant à la presse de l’archipel, en prenant l’exemple de VIA ou AL-WATWAN, elle a l’avantage de la présence des journalistes et des rédacteurs sur terrain pour chaqueévénement et de faire circuler rapidement les informations par le biais des journaux.
C’est pourquoi les populations des zones côtières se sont vite mobilisées, ainsi le mouvement a pu obtenir l’appui des groupes de pression et de défense pour lutter contre les répressions des militaires.
Certains personnages de l’étranger agissaient en solidarité, et parfois avançaient même des idées qui contraignaient le gouvernement à stopper les répressions, et la population anjouanaise à ne pas revenir en arrière. C’est le cas, par exemple des discours et interviews effectué à la radio RFI en août 1997. D’autres favorisaient les réactions du gouvernement.
En fin de compte, on peut dire que les mass média (télévision, presse écrite, fax, Internet, etc.) ont favorisé la généralisation du mouvement ainsi que sa réussite.
Généralisation du Mouvement
Après la propagande des leaders séparatistes sur les malheurs du PrésidentTAKI, le mouvement qui était une manifestation de revendication de salaires impayés d’enseignants, avec la participation des élèves sur l’idée de lutter contre une année blanche, la reprise des cours a pris une autre ampleur.
Le Débarquement du 03 septembre 1997
Depuis la proclamation de l’indépendance du 03 août 1997 par les séparatistes, les rumeurs de débarquement des forces armées comoriennes n’ont pas cessé de circuler dans l’île. Après le premier débarquement de l’armée gouvernementale, les Anjouanais se disaient qu’un jour elle reviendrait pour se venger du précédent échec. S’y préparant, les séparatistes ont formé partout dans l’île et dans chaque quartier des villes et des villages, des militaires.
Chaque section est dirigée par un chef issu de l’armée comorienne. L’instruction était ouverte aux jeunes hommes et jeunes femmes âgés de 15 à 30 ans. Le but des séances est d’apprendre et d’entraîner tous les jeunes au maniement des armes afin de pouvoir lutter contre l’armée fédérale au cas où celle-ci engage des combat. Plus de 200 jeunes avaient été initié, en août 1997, à l’utilisation des armes automatiques (AK 47, M 43, calibre 12, roquette, etc.)76. Tout a été bien organisé et bien préparé pour la venue d’un prochain débarquement.
Tous les participants à cette formation savent remplir des chargeurs et connaissent à fond l’usage des bombes et des balles. A la veille du débarquement de l’armée comorienne, les leaders séparatistes Mohamed Ahmed Hazi et Charkane Ahmed ont largement distribué des armes à tous ceux qui se portaient volontaires pour combattre (cf. VIA n°104, p.37.).
Cependant, le pourvoir de Moroni a envenimé la crise séparatiste. Le débarquement du 03 septembre 1997 en est la preuve la plus évidente. Considéré comme le deuxième et dernier débarquement de l’armée gouvernementale la plus violente, le mercredi 02 septembre, à l’aube, deux bateaux, la « Frégate des îles » et la « Ville de Sima » font apparition dans la baie de Ouani. A l’aide de vedettes Zodiac, les militaires gagnent la terre ferme où une faible résistance leur fut opposée.
Il y a eu des échanges de tirs, une demi-douzaine de civils en fut blessée ; ayant put avancer les forces fédérales ont hissé le drapeau national des Comores à l’aéroport et à la préfecture d’Ouani. « Le pouvoir fédéral a dépêché 300 militaires débarquant àAnjouan sous le commandement du chef du cabinet militaire du président de laRépublique »77. Leur but était de mater l’insurrection généralisée.
Le même jour, vers 16 heures à l’entrée de Mirontsi, une sérieuse résistance fut organisée par des éléments séparatistes, avec des embuscades. L’on enregistrait ici les premières victimes. Vers 17 heures, ils sont rentrés à Mutsamudu en passant par la mer, malheureusement l’armée fédérale fut stoppée et des combats s’engagèrent jusqu’à 18 heures. Vers 19 heures, il faisait nuit et les tirs ont cessé. Tout le monde s’est replié caril n’y avait pas d’électricité, faute de carburant depuis une semaine.
La montée d’une guerre civile à Anjouan et fin du mouvement
Un an après la proclamation de l’indépendance de l’île d’Anjouan, plus précisément en décembre 1998, une guerre civile, qui a pris ses racines dans la crise, aexplosé à Anjouan. Cette guerre civile dont les responsables sont les dirigeants sécessionnistes, se passait seulement dans deux villes : Mutsamudu et Mirontsi. Les agents promoteurs de cette guerre sont les Domoniens, les Mirontsiens et les Mutsamudiens. Les deux premiers étaient dans le même camps luttant contre la population de la capitale, en particulier, les hommes du président auto-proclamé d’Anjouan, Monsieur ABDALLAH Ibrahim.
Par ailleurs, le début des luttes entre séparatistes a commencée par l’existence des incompréhensions concernant la date de la célébration de l’indépendance de l’île d’Anjouan. Le président ABDALLAH Ibrahim et son premier-ministre CHAMASSE Saïd Omar étaient en conflit à propos de la célébration du 14 juillet. Le premier voulait faire de cette date une journée de recueillement en souvenir d’ABDALLAH Bellela, « père de l’indépendance des Anjouanais », en y associant la mémoire du sergent SOIDIK Charif, tous les deux assassinés au cours d’une manifestation patriotique à Mutsamudu, le 14 juillet 1997, alors que le premier-ministre souhaitait faire du 14juillet l’anniversaire de l’indépendance proclamée le 03 août 1997. A partir de cette incompréhension réalisée le 07 juillet 1998, le président Abdallah Ibrahim a dissous le 08 juillet le gouvernement du premier-ministre Chamasse Saïd Omar partisan rattachiste à la France.
Cependant, un nouveau gouvernement fut nommé le 10 juillet 1998 par le président Abdallah Ibrahim. Il comprenait seulement cinq ministres et seuls deuxministres de l’ancien cabinet ont été reconduits, MOUSSINE Abdou aux finances, et ALI Moumine aux affaires étrangères. Au lendemain de cette destitution, le 11 juillet, le leader du mouvement rattachiste, Monsieur Chamasse tentait de renverser le président Abdallah Ibrahim. Sur ce, le commandant AHMED Mohamed Hazi, ancien chef d’étatmajor de l’armée comorienne à la tête d’une quarantaine d’hommes armés venant de la région de Domoni, tente d’occuper la présidence de l’Etat d’Anjouan, à Humbo, sur les hauteurs de Mutsamudu. Heureusement, les embargos de Mutsamudu l’en a dissuadé.
En ce jour du 14 juillet, les deux camps étaient à deux doigts de l’affrontement, les milices « embargos » d’Abdallah Ibrahim empêchaient les partisans de Chamasse de célébrer la fête nationale à Mutsamudu. Ainsi, cette fête fut célébrée dans le stade de Mirontsi. Depuis ce temps, la méfiance et l’intolérance s’installaient entre les différents protagonistes. Cet épisode qui devait mettre fin à six mois de résistance a provoqué au contraire un regain de tension sur l’île. Le 05 décembre 1998, Foundi Abdallah Ibrahim échappe à uneseconde tentative d’assassinat dans les rues de Mutsamudu. Un de ses gardes fut tué par des assaillants inconnus. Dès cette date, des affrontements éclataient. Une bataille est livrée à Mutsamudu entre partisans et adversaires du chef séparatiste. Ainsi, les luttes des séparatistes rivaux ont engendré les événements dramatiques du 05 décembre 1998.
D’après les autorités de Mayotte, pour une semaine d’affrontement, le bilan est de 60 morts entre les milices séparatistes antagonistes88. En plus, plusieurs personnes furent gravement blessées. Heureusement, les autorités de Mayotte avaient pris en charge les blessés dans leurs hôpitaux. Durant cette période, les habitants de la capitale se sont réfugiés à Sima et à Bandrani, côte ouest de l’île, et ceux de Mirontsi, dans la ville de Ouani, côte nord-ouest de l’île.
Cette guerre civile a laissé des plaies cicatrisées dans les coeurs de la population à cause non seulement des pillages, mais aussi par les dégâts énormes qu’elle a provoqués. Durant cette période de guerre, les « embargos89 » ont profité de la situation pour braquer les magasins, les maisons des plus riches de la capitale, ainsi que les établissements scolaires et administratifs90. De plus, les dommages étaient considérables du fait de l’utilisation des armes, affirme Monsieur HASSANI Malidé, habitant de Mutsamudu, étant sur place lors de ces luttes. « Les gens ont peur et sont fatigués des malheurs incessants » avoue un autre habitant de MutsamuduLe 15 décembre 1998, les autorités séparatistes ont décidé un cessez-le feu, et une réconciliation entre le président Abdallah Ibrahim et Monsieur Chamasse a finalement été obtenue. Autrement dit, un pacte de paix est signé entre les deux rivaux pour sauver l’essentiel. pour cela, un premier-ministre proche de Chamasse a été nommé. L’accord intervenu prévoit des élections des représentants de l’île dans deux mois. Trois jours auparavant, la population avait été alertée d’un faux débarquement venant de Moroni. C’était le seul moyen pour le pouvoir séparatiste de ressouder la population. Mais sur le fond, rien ne semble réglé. La réconciliation obtenue semblait plutôt un répit car les contradictions entre les camps opposés ne cessent de surgir.