Le dérnier jour d’un condamne

Condamné à mort !

Eh bien, pourquoi non ? Les hommes, je me rappelle l’avoir lu dans je ne sais quel livre où il n’y avait que cela de bon, les hommes sont tous condamnés à mort avec des sursis indéfinis. Qu’y a-t-il donc de si changé à ma situation ?
Depuis l’heure où mon arrêt m’a été prononcé, combien sont morts qui s’arrangeaient pour une longue vie ! Combien m’ont devancé qui, jeunes, libres et sains, comptaient bien aller voir tel jour tomber ma tête en place de Grève ! Combien d’ici là peut-être qui marchent et respirent au grand air, entrent et sortent à leur gré, et qui me devanceront encore !
Et puis, qu’est-ce que la vie a donc de si regrettable pour moi ? En vérité, le jour sombre et le pain noir du cachot, la portion de bouillon maigre puisée au baquet des galériens, être rudoyé, moi qui suis raffiné par l’éducation, être brutalisé des guichetiers et des gardes-chiourme, ne pas voir un être humain qui me croie digne d’une parole et à qui je le rende, sans cesse tressaillir et de ce que j’ai fait et de ce qu’on me fera ; voilà à peu près les seuls biens que puisse m’enlever le bourreau.
Ah ! n’importe, c’est horrible !
La voiture noire me transporta ici, dans ce hideux Bicêtre.
Vu de loin, cet édifice a quelque majesté. Il se déroule à l’horizon, au front d’une colline, et à distance garde quelque chose de son ancienne splendeur, un air de château de roi. Mais à mesure que vous approchez, le palais devient masure. Les pignons dégradés blessent l’œil. Je ne sais quoi de honteux et d’appauvri salit ces royales façades ; on dirait que les murs ont une lèpre. Plus de vitres, plus de glaces aux fenêtres ; mais de massifs barreaux de fer entrecroisés, auxquels se colle çà et là quelque hâve figure d’un galérien ou d’un fou.
C’est la vie vue de près.
À peine arrivé, des mains de fer s’emparèrent de moi. On multiplia les précautions ; point de couteau, point de fourchette pour mes repas ; la camisole de force une espèce de sac de toile à voilure, emprisonna mes bras ; on répondait de ma vie. Je m’étais pourvu en cassation. On pouvait avoir pour six ou sept semaines cette affaire onéreuse, et il importait de me conserver sain et sauf à la place de Grève.
Les premiers jours on me traita avec une douceur qui m’était horrible. Les égards d’un guichetier sentent l’échafaud. Par bonheur, au bout de peu de jours, l’habitude reprit le dessus ; ils me confondirent avec les autres prisonniers dans une commune brutalité, et n’eurent plus de ces distinctions inaccoutumées de politesse qui me remettaient sans cesse le bourreau sous les yeux. Ce ne fut pas la seule amélioration. Ma jeunesse, ma docilité, les soins de l’aumônier de la prison, et surtout quelques mots en latin que j’adressai au concierge, qui ne les comprit pas, m’ouvrirent la promenade une fois par semaine avec les autres détenus, et firent disparaître la camisole où j’étais paralysé. Après bien des hésitations, on m’a aussi donné de l’encre, du papier, des plumes, et une lampe de nuit.
Tous les dimanches, après la messe, on me lâche dans le préau, à l’heure de la récréation. Là, je cause avec les détenus ; il le faut bien. Ils sont bonnes gens, les misérables. Ils me content leurs tours, ce serait à faire horreur ; mais je sais qu’ils se vantent. Ils m’apprennent à parler argot, à rouscailler bigorne, comme ils disent. C’est toute une langue entée sur la langue générale comme une espèce d’excroissance hideuse, comme une verrue. Quelquefois une énergie singulière, un pittoresque effrayant : il y a du raisiné sur le trimar (du sang sur le chemin), épouser la veuve (être pendu), comme si la corde du gibet était veuve de tous les pendus. La tête d’un voleur a deux noms : la sorbonne, quand elle médite, raisonne et conseille le crime ; la tronche, quand le bourreau la coupe. Quelquefois de l’esprit de vaudeville : un cachemire d’osier (une hotte de chiffonnier), la menteuse (la langue) ; et puis partout, à chaque instant, des mots bizarres, mystérieux, laids et sordides, venus on ne sait d’où : le taule (le bourreau), la cône (la mort), la placarde (la place des exécutions). On dirait des crapauds et des araignées. Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet de quelque chose de sale et de poudreux, d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous.
Du moins ces hommes-là me plaignent, ils sont les seuls. Les geôliers, les guichetiers, les porte-clefs, – je ne leur en veux pas, – causent et rient, et parlent de moi, devant moi, comme d’une chose.
Je me suis dit :
– Puisque j’ai le moyen d’écrire, pourquoi ne le ferais-je pas ? Mais quoi écrire ? Pris entre quatre murailles de pierre nue et froide, sans liberté pour mes pas, sans horizon pour mes yeux, pour unique distraction machinalement occupé tout le jour à suivre la marche lente de ce carré blanchâtre que le judas de ma porte découpe vis-à-vis sur le mur sombre, et, comme je le disais tout à l’heure, seul à seul avec une idée, une idée de crime et de châtiment, de meurtre et de mort ! Est-ce que je puis avoir quelque chose à dire, moi qui n’ai plus rien à faire dans ce monde ? Et que trouverai-je dans ce cerveau flétri et vide qui vaille la peine d’être écrit ?
Pourquoi non ? Si tout, autour de moi, est monotone et décoloré, n’y a-t-il pas en moi une tempête, une lutte, une tragédie ? Cette idée fixe qui me possède ne se présente-t-elle pas à moi à chaque heure, à chaque instant, sous une nouvelle forme, toujours plus hideuse et plus ensanglantée à mesure que le terme approche ? Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire à moi-même tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnée où me voilà ? Certes, la matière est riche ; et, si abrégée que soit ma vie, il y aura bien encore dans les angoisses, dans les terreurs, dans les tortures qui la rempliront, de cette heure à la dernière, de quoi user cette plume et tarir cet encrier. – D’ailleurs ces angoisses, le seul moyen d’en moins souffrir, c’est de les observer, et les peindre m’en distraira.
Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j’ai la force de le mener jusqu’au moment où il me sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ? N’y aurait-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice ? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort ? Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s’est point disposée pour la mort ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute que, pour le condamné, il n’y a rien avant, rien après.
Ces feuilles les détromperont. Publiées peut-être un jour, elles arrêteront quelques moments leur esprit sur les souffrances de l’esprit ; car ce sont celles-là qu’ils ne soupçonnent pas. Ils sont triomphants de pouvoir tuer sans presque faire souffrir le corps. Eh ! c’est bien de cela qu’il s’agit ! Qu’est-ce que la douleur physique près de la douleur morale ! Horreur et pitié, des lois faites ainsi ! Un jour viendra, et peut-être ces Mémoires, derniers confidents d’un misérable, y auront-ils contribué… –
À moins qu’après ma mort le vent ne joue dans le préau avec ces morceaux de papier souillés de boue, ou qu’ils n’aillent pourrir à la pluie, collés en étoiles à la vitre cassée d’un guichetier.
Que ce que j’écris ici puisse être un jour utile à d’autres, que cela arrête le juge prêt à juger, que cela sauve des malheureux, innocents ou coupables, de l’agonie à laquelle je suis condamné, pourquoi ? à quoi bon ? qu’importe ? Quand ma tête aura été coupée, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? Est-ce que vraiment j’ai pu penser ces folies ? Jeter bas l’échafaud après que j’y aurai monté ! Je vous demande un peu ce qui m’en reviendra.
Quoi ! le soleil, le printemps, les champs pleins de fleurs, les oiseaux qui s’éveillent le matin, les nuages, les arbres, la nature, la liberté, la vie, tout cela n’est plus à moi ?
Ah ! c’est moi qu’il faudrait sauver ! – Est-il bien vrai que cela ne se peut, qu’il faudra mourir demain, aujourd’hui peut-être, que cela est ainsi ? Ô Dieu ! l’horrible idée à se briser la tête au mur de son cachot !
Comptons ce qui me reste.
Trois jours de délai après l’arrêt prononcé pour le pourvoi en cassation. Huit jours d’oubli au parquet de la cour d’assises, après quoi les pièces, comme ils disent, sont envoyées au ministre. Quinze jours d’attente chez le ministre, qui ne sait seulement pas qu’elles existent, et qui, cependant, est supposé les transmettre, après examen, à la cour de cassation.
Là, classement, numérotage, enregistrement ; car la guillotine est encombrée, et chacun ne doit passer qu’à son tour.
Quinze jours pour veiller à ce qu’il ne vous soit pas fait de passe-droit. Enfin la cour s’assemble, d’ordinaire un jeudi, rejette vingt pourvois en masse, et renvoie le tout au ministre, qui renvoie au procureur général, qui renvoie au bourreau. Trois jours.
Le matin du quatrième jour, le substitut du procureur général se dit, en mettant sa cravate : – Il faut pourtant que cette affaire finisse. – Alors, si le substitut du greffier n’a pas quelque déjeuner d’amis qui l’en empêche, l’ordre d’exécution est minuté, rédigé, mis au net, expédié, et le lendemain dès l’aube on entend dans la place de Grève clouer une charpente, et dans les carrefours hurler à pleine voix des crieurs enroués.
En tout six semaines. La petite fille avait raison.
Or, voilà cinq semaines au moins, six peut-être, je n’ose compter, que je suis dans ce cabanon de Bicêtre, et il me semble qu’il y a trois jours, c’était jeudi.
Je viens de faire mon testament.
À quoi bon ? Je suis condamné aux frais, et tout ce que j’ai y suffira à peine. La guillotine, c’est fort cher.
Je laisse une mère, je laisse une femme, je laisse un enfant.
Une petite fille de trois ans, douce, rose, frêle, avec de grands yeux noirs et de longs cheveux châtains.
Elle avait deux ans et un mois quand je l’ai vue pour la dernière fois. Ainsi, après ma mort, trois femmes sans fils, sans mari, sans père ; trois
orphelines de différente espèce ; trois veuves du fait de la loi.
J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les déshonore, on les ruine ; c’est la justice.
Ce n’est pas que ma pauvre vieille mère m’inquiète ; elle a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. Ou si elle va quelques jours encore, pourvu que jusqu’au dernier moment elle ait un peu de cendre chaude dans sa chaufferette, elle ne dira rien.
Ma femme ne m’inquiète pas non plus ; elle est déjà d’une mauvaise santé et d’un esprit faible, elle mourra aussi.
À moins qu’elle ne devienne folle. On dit que cela fait vivre ; mais du moins, l’intelligence ne souffre pas ; elle dort, elle est comme morte.
Mais ma fille, mon enfant, ma pauvre petite Marie, qui rit, qui joue, qui chante à cette heure, et ne pense à rien, c’est celle-là qui me fait mal !
Voici ce que c’est que mon cachot :
Huit pieds carrés ; quatre murailles de pierre de taille qui s’appuient à angle droit sur un pavé de dalles exhaussé d’un degré au-dessus du corridor extérieur.
À droite de la porte, en entrant, une espèce d’enfoncement qui fait la dérision d’une alcôve. On y jette une botte de paille où le prisonnier est censé reposer et dormir, vêtu d’un pantalon de toile et d’une veste de coutil, hiver comme été.
Au-dessus de ma tête, en guise de ciel, une noire voûte en ogive – c’est ainsi que cela s’appelle – à laquelle d’épaisses toiles d’araignée pendent comme des haillons.
Du reste, pas de fenêtres, pas même de soupirail ; une porte où le fer cache le bois.
Je me trompe ; au centre de la porte, vers le haut, une ouverture de neuf pouces carrés, coupée d’une grille en croix, et que le guichetier peut fermer la nuit.
Au-dehors, un assez long corridor, éclairé, aéré au moyen de soupiraux étroits au haut du mur, et divisé en compartiments de maçonnerie qui communiquent entre eux par une série de portes cintrées et basses ; chacun de ces compartiments sert en quelque sorte d’antichambre à un cachot pareil au mien. C’est dans ces cachots que l’on met les forçats condamnés par le directeur de la prison à des peines de discipline. Les trois premiers cabanons sont réservés aux condamnés à mort, parce qu’étant plus voisins de la geôle, ils sont plus commodes pour le geôlier.
Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien château de Bicêtre tel qu’il fut bâti, dans le quinzième siècle, par le cardinal de Winchester, le même qui fit brûler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela à des curieux qui sont venus me voir l’autre jour dans ma loge, et qui me regardaient à distance comme une bête de la ménagerie. Le guichetier a eu cent sous.
J’oubliais de dire qu’il y a nuit et jour un factionnaire de garde à la porte de mon cachot, et que mes yeux ne peuvent se lever vers la lucarne carrée sans rencontrer ses deux yeux fixes toujours ouverts.
Du reste, on suppose qu’il y a de l’air et du jour dans cette boîte de pierre.
Puisque le jour ne paraît pas encore, que faire de la nuit ? Il m’est venu une idée. Je me suis levé et j’ai promené ma lampe sur les quatre murs de ma cellule. Ils sont couverts d’écritures, de dessins, de figures bizarres, de noms qui se mêlent et s’effacent les uns les autres. Il semble que chaque condamné ait voulu laisser trace, ici du moins. C’est du crayon, de la craie, du charbon, des lettres noires, blanches, grises, souvent de profondes entailles dans la pierre, çà et là des caractères rouillés qu’on dirait écrits avec du sang. Certes, si j’avais l’esprit plus libre, je prendrais intérêt à ce livre étrange qui se développe page à page à mes yeux sur chaque pierre de ce cachot. J’aimerais à recomposer un tout de ces fragments de pensée, épars sur la dalle ; à retrouver chaque homme sous chaque nom ; à rendre le sens et la vie à ces inscriptions mutilées, à ces phrases démembrées, à ces mots tronqués, corps sans tête, comme ceux qui les ont écrits.
À la hauteur de mon chevet, il y a deux cœurs enflammés, percés d’une flèche, et au-dessus : Amour pour la vie. Le malheureux ne prenait pas un long engagement.
À côté, une espèce de chapeau à trois cornes avec une petite figure grossièrement dessinée au-dessus, et ces mots : Vive l’empereur ! 1824.
Encore des cœurs enflammés, avec cette inscription, caractéristique dans une prison : J’aime et j’adore Mathieu Danvin. Jacques.
Sur le mur opposé on lit ce mot : Papavoine. Le P majuscule est brodé d’arabesques et enjolivé avec soin.
Un couplet d’une chanson obscène.
Un bonnet de liberté sculpté assez profondément dans la pierre, avec ceci dessous : – Bories. – La République. C’était un des quatre sous-officiers de La Rochelle. Pauvre jeune homme ! Que leurs prétendues nécessités politiques sont hideuses ! Pour une idée, pour une rêverie, pour une abstraction, cette horrible réalité qu’on appelle la guillotine ! Et moi qui me plaignais, moi, misérable qui ai commis un véritable crime, qui ai versé du sang !
Je n’irai pas plus loin dans ma recherche. – Je viens de voir, crayonnée en blanc au coin du mur, une image épouvantable, la figure de cet échafaud qui, à l’heure qu’il est, se dresse peut-être pour moi. – La lampe a failli me tomber des mains.
Je suis revenu m’asseoir précipitamment sur ma paille, la tête dans les genoux. Puis mon effroi d’enfant s’est dissipé, et une étrange curiosité m’a repris de continuer la lecture de mon mur.
À côté du nom de Papavoine j’ai arraché une énorme toile d’araignée, tout épaissie par la poussière et tendue à l’angle de la muraille. Sous cette toile il y avait quatre ou cinq noms parfaitement lisibles, parmi d’autres dont il ne reste rien qu’une tache sur le mur. – Dautun, 1815. – Poulain, 1818. – Jean Martin, 1821. – Castaing, 1823. J’ai lu ces noms, et de lugubres souvenirs me sont venus. Dautun, celui qui a coupé son frère en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tête dans une fontaine, et le tronc dans un égout ; Poulain, celui qui a assassiné sa femme ; Jean Martin, celui qui a tiré un coup de pistolet à son père au moment où le vieillard ouvrait une fenêtre ; Castaing, ce médecin qui a empoisonné son ami, et qui, le soignant dans cette dernière maladie qu’il lui avait faite, au lieu de remède lui redonnait du poison ; et auprès de ceux-là, Papavoine, l’horrible fou qui tuait les enfants à coups de couteau sur la tête !
Voilà, me disais-je, et un frisson de fièvre me montait dans les reins, voilà quels ont été avant moi les hôtes de cette cellule. C’est ici, sur la même dalle où je suis, qu’ils ont pensé leurs dernières pensées, ces hommes de meurtre et de sang ! C’est autour de ce mur, dans ce carré étroit, que leurs derniers pas ont tourné comme ceux d’une bête fauve. Ils se sont succédé à de courts intervalles ; il paraît que ce cachot ne désemplit pas. Ils ont laissé la place chaude, et c’est à moi qu’ils l’ont laissée. J’irai à mon tour les rejoindre au cimetière de Clamart, où l’herbe pousse si bien!
Je ne suis ni visionnaire, ni superstitieux, il est probable que ces idées me donnaient un accès de fièvre ; mais, pendant que je rêvais ainsi, il m’a semblé tout à coup que ces noms fatals étaient écrits avec du feu sur le mur noir ; un tintement de plus en plus précipité a éclaté dans mes oreilles ; une lueur rousse a rempli mes yeux ; et puis il m’a paru que le cachot était plein d’hommes, d’hommes étranges qui portaient leur tête dans leur main gauche, et la portaient par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure. Tous me montraient le poing, excepté le parricide.
J’ai fermé les yeux avec horreur, alors j’ai tout vu plus distinctement. Rêve, vision ou réalité, je serais devenu fou, si une impression brusque ne m’eût réveillé à temps. J’étais près de tomber à la renverse lorsque j’ai senti se traîner sur mon pied nu un ventre froid et des pattes velues ; c’était l’araignée que j’avais dérangée et qui s’enfuyait.
Cela m’a dépossédé. – Ô les épouvantables spectres ! – Non, c’était une fumée, une imagination de mon cerveau vide et convulsif. Chimère à la Macbeth ! Les morts sont morts, ceux-là surtout. Ils sont bien cadenassés dans le sépulcre. Ce n’est pas là une prison dont on s’évade. Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ?
La porte du tombeau ne s’ouvre pas en dedans.

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