Le dépistage diagnostic prénatal, un choix articulé
Le propos de cette thèse est de susciter de nouvelles pistes de réflexion sur l’éthique dans la pratique du diagnostic prénatal. Pour ce faire, nous avons voulu concilier les apports de la sociologie des sciences et techniques, de la sociologie interactionniste de Goffman et de l’ethnométhodologie. Notre objectif était de recontextualiser l’éthique en montrant comment elle est produite, jour après jour, par l’établissement d’une moralité ordinaire dans les consultations de suivi prénatal. Dans un premier chapitre, nous avons centré notre attention sur la consultation d’échographie et nous avons constaté que celle-ci recelait un certain nombre de promissions éthiques mises en forme par l’ensemble socio-technique de la consultation. Puis nous nous sommes intéressés au fœtus dans l’échographie, objet central de certaines réflexions sur l’éthique en matière de diagnostic prénatal. Pour les deux chapitres qui viennent, nous allons prendre un peu de distance par rapport à l’échographie et réfléchir sur la façon dont l’articulation des différents moments (consultations, examens, tests…) du suivi prénatal pèse sur la définition de « ce qui doit être ». Une partie de la littérature, et notamment les avis pratiques médicales. Cette littérature oublie de se poser la question de l’environnement de la consultation et de la façon dont celui-ci peut influer sur les décisions en sus des informations médicales.
Or, nous avons vu dans les deux premiers chapitres à quel point les configurations des consultations pouvaient varier et produire des promissions éthiques diverses, avec des conséquences différentes d’une consultation à l’autre. Comment dès lors peut-on s’en tenir à une modélisation des moments d’éthique en termes de choix d’une technique ou de décision de traitement ou d’interruption de grossesse sans considérer les effets des parcours (personnels et médicaux) des femmes enceintes pendant la grossesse sur la mise en forme de ces choix ou décisions ? Distinguer dans les parcours de femmes enceintes des moments de choix individuel fait l’impasse sur l’ensemble des éléments qui conditionnent la manière dont les choix vont être posés, et qui auront leur importance dans la détermination des réponses possibles. Les chapitres 3 et 4 vont donc proposer une démarche généalogique des choix, s’intéresser à la construction d’une scène de décision à prendre, par l’accumulation de petits cadrages dans les rencontres de suivi prénatal qui pourront finir par produire des irréversibilités. Pour plus de clarté dans notre raisonnement, nous avons séparé en deux chapitres 1) les choix d’effectuer ou non les tests prénatals en dehors de toute suspicion d’anomalie, 2) les décisions relatives à une interruption de grossesse lorsque le fœtus est atteint d’une anomalie. Cette séparation est due à l’arbitrage du rédacteur, qui suit en cela un implicite assez courant dans les services de suivi prénatal opérant cette distinction. Mais ces deux points sont liés dans la réalité. Dans les situations ordinaires du suivi prénatal apparaissent des promissions qui influent sur la façon dont les décisions ultérieures pourraient être posées.
Dans quelle mesure peut-on parler de choix individuel à propos des techniques de dépistage et de diagnostic prénatal ? Quel sens peut-on donner à ce choix individuel si on ne le considère plus comme un moment isolé du parcours de suivi prénatal et qu’on le considère dans son articulation avec les autres moments du suivi prénatal? Nous commencerons par resituer les différentes techniques de diagnostic/dépistage prénatal et les réflexions qu’elles ont fait naître. Ségolène Aymé139, généticiens renommés, c’est la détresse d’un couple, frappé par une maladie génétique, et qui n’ose procréer de peur de transmettre son affliction. Le diagnostic prénatal a eu cet effet bénéfique d’autoriser un tel couple à avoir des enfants non atteints, et à dépasser ainsi la fatalité. « In the present discussion, the intended good of prenatal diagnosis is considered to be the expansion of the couples or ‘parents’ autonomy with regard to their family situation and their future child or children. »140 p 79 (Haker 1997) En dehors de ces contextes dramatiques, une seconde tendance a présenté le dépistage/diagnostic prénatal comme le summum de l’autonomie reproductive pour les femmes. A la suite de la pilule et de l’IVG, il donne à la femme la possibilité de ‘choisir’ d’avoir un enfant sain et de ne plus se laisser empêtrer dans sur leur fœtus142. Les femmes sont responsables symboliquement143 et pratiquement de la qualité de vie qu’auront leurs enfants. Par ailleurs, la charge de l’éducation d’un enfant handicapé, avec toutes les difficultés que cela comporte échoie le plus souvent à la mère. La responsabilité n’est pas socialement distribuée, elle est centrée sur la mère.