Le dépassement automobile

Le dépassement automobile

Le dépassement automobile est une activité perceptivo-motrice complexe à fortes contraintes spatio-temporelles. Elle nécessite une attention soutenue (Lemercier & Cellier, 2008) et des comportements à chaque instant appropriés aux contraintes de la situation dans un délai temporel très court. Dans un ouvrage de vulgarisation, le journaliste scientifique Vanderbilt (2009) résume la situation du conducteur en affirmant qu’«à part peut-être la neurochirurgie, la conduite automobile représente sans doute l’activité la plus complexe2 ». D’après McKnight et Adams (1970) et Schäfer (2009), pour conduire une voiture, il faut réaliser environ 40 tâches majeures et 1 700 sous-tâches (e.g., tenue du volant, changement de vitesse, etc.). En partant du postulat qu’il faut traiter deux stimuli par mètre parcouru, un conducteur automobile parcourant 1.5 kilomètres à 90 kilomètres par heure devrait traiter 3000 stimuli par minute3 . Par ailleurs, la difficulté d’une manœuvre de dépassement se trouve davantage augmentée lorsque le conducteur est contraint d’utiliser un véhicule inhabituel. Il doit alors s’adapter aux nouvelles caractéristiques physiques de son véhicule (e.g., puissance, hauteur du véhicule, etc.) de manière à percevoir précisément les contraintes cinématiques de son environnement (e.g., vitesse des véhicules environnant, etc). Toutefois, malgré la complexité évidente d’une manœuvre de dépassement automobile, une majorité d’automobilistes réussit ce type de tâche quotidiennement. Selon plusieurs auteurs (Morice, Diaz, Fajen, Basilio, & Montagne, 2015; Naranjo, Gonzalez, Garcia, & de Pedro, 2008), le dépassement automobile peut être décrit à travers cinq phases (Figure 1 – dans cette configuration, les conducteurs sont supposés rouler à droite). Le processus commence avec la phase de départ (Start phase, Figure 1A), durant laquelle le conducteur met en œuvre des actions destinées à l’aider dans sa décision d’initier une manœuvre de dépassement à la fois légale et prudente. C’est par exemple le cas des légers déplacements latéraux dans la voie opposée afin d’améliorer la vision du trafic venant en sens inverse. Si le conducteur juge que les conditions sont assez sûres pour commencer une manœuvre de dépassement, ce dernier pourra alors initier un déplacement latéral total dans la voie opposée (Left phase, Figure 1B) tout en accélérant pour doubler le véhicule-leader (Pass phase, Figure 1C). Une fois que le conducteur a visuellement vérifié que le dépassement est complet, autrement dit que le véhicule leader se trouve derrière lui, il doit retourner sur sa voie initiale, tout en évitant le véhicule obstacle immobilisé, (Right phase, Figure 1D) pour enfin terminer la manœuvre de dépassement (End phase, Figure 1E).

Un rapport accidentologique éloquent

Des études relatives à l’accidentologie routière française indiquent que les accidents et la gravité de leurs conséquences s’expliquent par une combinaison de facteurs liés au conducteur, au véhicule, à la route, aux conditions de circulation, ou encore aux secours (Association Prévention Routière (APR), n.d.). Clarke, Ward, et Jones (1999) ont mis en évidence la complexité du dépassement qui peut échouer dans de nombreux cas : 8% d’accidents sont liés aux dépassements automobiles. Des erreurs dans le jugement de la distance requise pour réaliser la manœuvre ou encore la mauvaise perception de la vitesse du véhicule leader (ou possiblement l’accélération de son véhicule) peuvent être les causes de Véhicule obstacle immobilisé en sens inverse Véhicule conduit Véhicule leader Figure 1 : Représentation schématique d’une situation de dépassement automobile classique : initiation du déplacement latéral dans la voie opposée (Left phase, B) ; accélération pour doubler le véhicule-leader (Pass phase, C) ; retour du conducteur sur sa voie initiale (Right phase, D) pour enfin terminer la manœuvre de dépassement (End phase, E) A C E INTRODUCTION 6 l’échec d’un dépassement automobile (Clarke, Ward, & Jones, 1998). De récentes études (Cantin, Lavalliere, Simoneau, & Teasdale, 2009; McKnight & Adams, 1970; Polus, Livneh, & Frischer, 2000) ont confirmé les observations initiales de Clarke et al. (1999). Par ailleurs, d’après le bilan de l’accidentalité routière de l’année 2012 (Sécurité Routière, n.d.), 49.1% des victimes de la route le sont lors d’une collision entre au moins deux véhicules, dont la moitié en collision frontale, généralement au cours d’un dépassement. Plus précisément, les accidents sur route dus à un dépassement dangereux revêtent plusieurs formes (40 millions d’automobilistes, n.d.) : la collision frontale avec un véhicule arrivant en face, la perte de contrôle en touchant l’accotement gauche de la chaussée, la perte de contrôle en se rabattant après avoir doublé, la collision avec le véhicule doublé. Les accidents routiers survenus durant un dépassement automobile sont fonction du trafic et de la période de la journée : 75% d’entre eux se produisent de jour. Autre statistique très intéressante, la responsabilité d’un accident suite à un dépassement dangereux se répartit entre 30% pour les deux roues sans spécificité d’âge et 70% pour les autres véhicules avec une concentration à 88% pour les conducteurs âgés de moins de 45 ans. Ces statistiques mettent en évidence la nécessité d’étudier d’une part le dépassement automobile réalisé par certains types de véhicules (en dehors des deux roues) et d’autre part une population de conducteurs relativement jeunes.

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Une accidentologie aux causes diverses et variées

 Les jeunes conducteurs de 18 à 24 ans ont un risque quatre fois supérieur à l’ensemble des conducteurs (Sécurité Routière, n.d.) d’être tué sur la route. En 2012, cette classe d’âge a connu une mortalité élevée : 20.6 % de la mortalité pour 8.8 % de la population, à tel point que la mortalité routière est devenue la principale cause de décès chez les jeunes adultes. Comme ont pu également le confirmer d’autres études (Cantin et al., 2009; Clarke et al., 1998; Farah, 2011; Llorca, Garcia, Zuriaga, Maria, & Moreno, 2012; Matthews et al., 1998; Mohaymany, Kashani, & Ranjbari, 2010a; Özkan & Lajunen, 2006; Zhang, Owen, & Clark, 1998), la population des jeunes conducteurs est représentée dans les statistiques accidentologiques du fait, notamment, de leur inexpérience au volant et de leur plus grande propension à la prise de risque (Sécurité Routière, n.d.). Par ailleurs, d’après le dernier rapport INTRODUCTION 7 de la sécurité routière 2012, le niveau de responsabilité des jeunes conducteurs (18-24 ans) impliqués dans les accidents mortels est supérieur à celui de l’ensemble des classes d’âges (respectivement 68 % contre 57 %). Il s’explique en grande partie par la présence d’alcool dans le sang des conducteurs. En outre, un dernier point est à considérer dans les statistiques de l’accidentologie routière : les routes nationales à deux voies de circulation occupent un espace important dans la plupart des réseaux routiers du monde. Environ 60% de tous les accidents dans les États membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) se produisent sur ce type de route4 ; 35 à 50% des morts sont directement reliés aux manœuvres de dépassement5 . Comprendre l’activité de dépassement nécessite dès lors de déterminer les propriétés du système agent-environnement susceptibles d’être prises en compte, par le conducteur, dans la réalisation d’une telle manœuvre. L’identification et la formalisation des propriétés en jeu permettraient ainsi de caractériser les processus perceptifs et moteurs sous-jacents au dépassement. Par ailleurs, compte tenu du bilan accidentologique, une étude doit être menée sur une population relativement jeune dans un contexte de routes nationales à deux voies de circulation. Dans la partie suivante, nous présenterons à travers plusieurs études un aperçu des propriétés d’intérêt – qu’elles soient liées à l’environnement routier et/ou au conducteur – susceptibles d’influencer la prise de décision et la réalisation d’un dépassement automobile. Nous discuterons par la suite les limites de telles études et proposerons un nouvel éclairage conceptuel en montrant comment, en s’opposant au dualisme de la perception et de l’action, la théorie écologique offre un cadre explicatif pertinent à l’étude du dépassement automobile.

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