Le déclin de la population après la dissolution de l’URSS
Après la dissolution de l’URSS, les pays issus de la décomposition du bloc soviétique connaissent de profonds changements politiques, économiques et sociaux. La plupart des ex25 Introduction de la problématique Introduction pays soviétiques traversent une crise démographique qui se manifeste par une natalité basse, une mortalité élevée, un solde naturel négatif et un décroissement durable de la population (voir Zakharov & Ivanova 1996, Chesnais 1997, Blum & Lefèvre 2006, Vichnevski 2009, Blum 2010, Eberstadt 2010, Lefèvre 2015). Alors que la population sur l’ensemble du territoire de l’ex-URSS augmente entre 1980 et 1990, cette tendance s’inverse entre 1990 et 2000 dans tous les Pays Baltes, ainsi que dans 7 pays de la CEI (Arménie, Biélorussie, Géorgie, Kazakhstan, Moldavie, Russie et Ukraine) :Ce décroissement de la population apparaît dans les discours politiques des pays touchés comme une crise nationale : 1) en 2000 le Président de la Russie, Vladimir Poutine, déclare dans son discours au Parlement que la crise démographique représente « une menace pour la nation » 1 ; 2) en 2008 le Président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, dans son discours au Parlement, estime que la croissance de la population « est une question de vie e d’avenir pour l’État » 2 ; en 2012, le Président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, définit la natalité basse et le vieillissement de la population comme « un défi mondial » et charge le gouvernement de « réformer la politique démographique » 3 . Ce discours politique est soutenu dans le monde académique par certains démographes (voir Antonov (1999), Antonov & Sorokine (2000), Zakharova & Rybakovski (1997), Zakharova (1997), Rybakovski (2003), entre autres). Par exemple, Zakharova (1997, p.62) considère que la dépopulation représente « une menace réelle pour la sécurité nationale de la Russie ». Rybakovski (2003, p.138), constate quant à lui que la crise démographique entraîne inévitablement « une diminution de la puissance militaire et, par conséquent, un affaiblissement de l’influence politique de l’État sur la scène mondiale ». Enfin, Antonov (1999, p.85) défend que la dépopulation suscite non seulement un affaiblissement de la position géopolitique de la Russie, mais elle représente aussi « un facteur inévitable de destruction de l’intégrité territoriale de l’État ». Alors que la dépopulation en Russie est le résultat d’une faible natalité et d’une mortalité particulièrement élevée, le gouvernement choisit de combattre la crise démographique principalement par des mesures visant à augmenter la natalité. Petcherskaîa (2013, p.327) avance l’hypothèse selon laquelle ce choix politique s’explique par le fait qu’à la différence des personnes âgées et des migrants, « les citoyens en âge de procréer représentent pour le gouvernement une ressource plus « prolifique » et « attrayante » en tant que force du travail et future population électorale ». En effet, le vieillissement de la population en Russie pose sur le moyen terme le problème du manque de main-d’œuvre et de l’alimentation du système des retraites. Toutefois, il dépasse le simple cadre de l’économie lorsque le vieillissement de la population et les effets qu’il implique sont présentés comme un danger pour la souveraineté du pays :« Aujourd’hui, la part de la population jeune, active et capable de travailler de 20 à 40 ans en Russie est l’une des plus élevées des pays développés dans le monde. Mais déjà dans 20 ans, le nombre de ces catégories d’âge pourrait diminuer de moitié, si rien n’est fait, cette tendance se poursuivra […]. La Russie deviendra pauvre, désespérément vieille (au sens littéral du terme) et incapable de préserver son indépendance et même son territoire ». « Сегодня доля молодого, активного, трудоспособного населения России от 20 до 40 лет – одна из самых высоких в развитых странах мира. Но уже через 20 лет численность такой возрастной категории может сократиться в полтора раза, если ничего не делать, такая тенденция продолжится […]. Россия превратится в бедную, безнадёжно постаревшую по возрасту (в прямом смысле этого слова) и неспособную сохранить свою самостоятельность и даже свою территорию страну ». Source : « Discours au Parlement » du Président de la Russie, Vladimir Poutine, le 12 décembre 2012, h ttp://kremlin.ru/events/president/news/17118, consulté le 15.07.2020. L’incitation à la procréation qui apparaît dans les années 2000 remet en cause l’esprit de la politique familiale des années 1990 qui se caractérise par une non-intervention de l’État dans la sphère familiale (Chernova 2011). D’après Petcherskaïa (2013, p.95), il s’agit du passage d’une « politique libérale », où l’État joue un rôle minime, à une politique de « patronage de la sphère privée » où l’État définit explicitement une norme reproductive pour toutes les familles (d’abord deux, puis trois enfants par famille)
De la crise démographique à une crise de la famille
Au-delà de la baisse de la natalité au cours des années 1990, les changements démographiques en jeu incluent une diminution du nombre de mariages, la croissance des divorces et des unions libres, ainsi qu’un retard dans l’âge au mariage et à la maternité (Vichnevski 2008a, Zakharov 2015). Selon Kloupt (2010, p.61), il s’agit non seulement d’un changement des indicateurs démographiques, mais aussi d’une transformation dans le système de valeurs qui, par conséquent, entraîne l’apparition de nouveaux modèles de comportement démographique. Cette transformation de la famille dans les pays de la CEI s’inscrit dans un processus de modernisation connu sous le nom de « deuxième transition démographique » 4 (Vichnevski 2005, p.3, Chernova 2010, p.23). Ce phénomène est le résultat d’un long processus observé dans tous les pays de l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale (Van de Kaa 1987). On observe les mêmes tendances socio-démographiques en Russie (4) mais un demisiècle plus tard, au milieu des années 1990 (Blum 1994, Vichnevski 1999, Vichnevski et al. 2006, Zakharov 2012). « Les changements dans les sphères familiale et matrimoniale en Russie au XXème siècle ont été étroitement liés à l’évolution des convictions idéologiques, de la position et de la politique de l’État, à des changements brutaux de la législation, et il pourrait sembler que toutes ces influences extérieures aient créé un modèle russo-soviétique absolument spécial de formation de la famille, qui ne ressemble pas au modèle « occidental », qui s’est développé dans d’autres conditions politiques et économiques. En fait, l’analyse de tous les paramètres disponibles du comportement familial et matrimonial montre que la Russie a toujours suivi la voie commune aux pays occidentaux, et toutes les tentatives d’influence juridique et autre sur ce comportement des Russes ne pourraient qu’accélérer légèrement ou, au contraire, ralentir ce mouvement. Il n’aurait pas pu en être autrement, car tous les changements se sont basés sur les mêmes conditions matérielles de vie, de travail et de vie quotidienne, qui sont typiques de toutes les sociétés industrielles et urbaines, d’un système de valeurs qui répond à ces conditions ».