LE COURRIER ELECTRONIQUE COMME ANALYSEUR DE LA PROFESSIONNALISATION DES MASSEURS-KINESITHERAPEUTES

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Masseur-kinésithérapeute: un rapport aux corps

Une conception du corps Le masseur-kinésithérapeute a un rapport aux corps très spécifique. Son travail consiste à travailler sur et avec le corps du patient, soit en le touchant, en le mobilisant ou bien encore en demandant au patient d’effectuer des exercices pour le renforcer ou retrouver du mouvement. Bertille, masseur-kinésithérapeute à l’Hôpital du Soleil, définit le masseur-kinésithérapeute comme un spécialiste du corps636. Pour elle, cette relation au « toucher » est importante, à tel point qu’elle essaie de transmettre cela aux étudiants en masso-kinésithérapie. Cette conception du corps est présente dans la pratique quotidienne des masseurs-kinésithérapeutes, que j’ai pu observer, ainsi que dans leur discours. 636 La transcription intégrale de l’entretien réalisé avec Bertille se trouve dans l’annexe 2. 

Une conception sensorielle et globale

L’un des premiers entretiens, que j’ai effectué, est celui réalisé avec Bertille. Elle parle du corps en employant des termes évoquant le plaisir, les sens, le toucher et la découverte. Moi je trouve que c’est beau un corps [rire] euh… [silence] ben je sais pas, je trouve que c’est toujours, euh… C’est toujours une découverte. Que ce soit dans la vie personnelle [sourire] comme dans la vie professionnelle, c’est toujours une découverte, le corps. » (Extrait de l’entretien avec Bertille, masseur-kinésithérapeute (M.K.), Hôpital du Soleil) Bertille définit le corps en commençant pas l’aspect esthétique et en même temps, elle parle de découverte. Elle n’évoque pas d’abord les corps du point de vue professionnel, mais plutôt comme une aventure, une rencontre, puisqu’il y a une « découverte ». « En plus vraiment…J’aime… J’aime… Je me dis que tout le monde ne peut pas être kiné parce que faut. faut vraiment aimer le toucher, faut aimer être en contact, faut. faut aimer avoir quelqu’un contre soi. » (Extrait de l’entretien avec Bertille, M.K., Hôpital du Soleil) Dans cet extrait, Bertille souligne ce qui constitue la spécificité d’un masseurkinésithérapeute. Ce contact au corps de l’autre est capital pour elle, « aimer être en contact », ce n’est pas seulement être en relation avec quelqu’un et lui parler, c’est aussi le contact physique « contre soi ». Bertille exprime dans cet extrait les implications libidinales637 de la profession des masseurs-kinésithérapeutes, le plaisir de toucher. Pour 637 Lourau, R. (1970). Op. cit. 217 Bertille, ces implications, ce rapport au corps sont une des valeurs importantes de la profession. « Bertille : Voilà en réanimation, ils sont souvent tout nus et on les a contre nous tout nus. Ben c’est… C’est quand même spécial, mais, mais j’aime ça. […] J’aime vraiment ça quoi. Enfin, encore j’ai des collègues qui aiment toucher, qui aiment masser, tout ça… Moi j’aime être protectrice. [Elle effectue le geste] Anne: C’est ton corps entier qui prend le corps entier de l’autre ? Bertille : Oui…C’est ça. Et c’est ce que j’essaie d’a… D’apprendre à mes, à mes stagiaires. Et puis, en plus, en faisant ça, on ne leur fait pas mal, et… Voilà. Mais c’est vrai hein. Des fois, je me fais la réflexion, des fois c’est… Je me retrouve dans des situations euh… Voilà, un petit papy tout nu qui me dit « ah ici je ressemble à …A Rocco Siffredi ». Oui, c’est… C’est… [Rire] 100 ans le petit papy. [Rire] Parce que je le touche tout le temps tout nu. Enfin, Oui c’est spécial, il faut aimer les corps parce que si ils sont pas beaux, même si…Il y a des corps pas beaux… Chez les enfants aussi on doit en voir des corps pas beaux ?» (Extrait de l’entretien avec Bertille, M.K., Hôpital du Soleil) Dans cet extrait, elle parle de sa vision du corps, mais aussi de sa posture physique en tant que masseur-kinésithérapeute qui est « protectrice ». Le corps du patient est à « nu », et le corps du masseur-kinésithérapeute, ici, est en mouvement. Lorsqu’elle en parle, Bertille accomplit le geste, indiquant qu’elle protège le corps du malade en l’entourant avec son propre corps. Bertille vit dans son propre corps cette sensation, puisque lorsqu’elle l’évoque, elle l’exprime aussi par sa gestuelle en revivant ce mouvement corporel mais également au niveau de ses émotions. Le corps du patient est une entité, un ensemble que le masseur-kinésithérapeute rassemble en l’entourant avec ses bras. Ce geste « d’embrassement638» maintient un corps regroupé, mais pas morcelé. La notion de globalité n’est pas explicitement évoquée, mais l’idée est présente dans cet extrait d’entretien.

Le corps : une mécanique ?

Les connaissances du masseur-kinésithérapeute sont des savoirs sur la mécanique du corps et son fonctionnement. Le masseur-kinésithérapeute appréhende le corps à partir de ses expériences mais aussi de ses connaissances professionnelles. Dans l’Etablissement Les Mirabelles, Carine a une vision du corps, qui montre l’aspect mécanique et fonctionnel642 de ce dernier. Elle associe le corps au corps malade et utilise les termes : malade, perturbé, amputé, paraplégique. « Disons que je pense que, quand on est malade, on a… On se pose des questions qu’on s’est jamais posées avant. On voit bien, il y a certaines personnes, ils [ne] savent plus rien faire dès qu’ils ont deux cannes anglaises. Voilà. Pour nous, ça paraît tout à fait naturel. Je pense qu’on a une autre vision du corps par rapport aux autres… Par rapport à des patients qui sont pas du tout dans le milieu médical. Mais, après […] Ils comprennent pas trop au niveau mécanique comment ça peut marcher, donc ce qu’on peut faire ou ne pas faire parce qu’ils se posent pas de question. On marche comme ça, sans se poser de question. Nous, quand on est dans la rue, on va dire : « Celui-là, il marche bizarrement. Ah, il pose son pied 641 Une chaine musculaire est un ensemble de muscles poly-articulaires, de même direction et dont les insertions se recouvrent les unes sur les autres à la manière des tuiles sur un toit. 642 Fonctionnel est un terme qui fait référence à la fonction des articulations. Un coude a pour fonction de permettre d’amener de la nourriture à la bouche ou de se peigner. 223 comme ci ou comme ça. » Et on a un autre regard sur le corps, mais… Après… Une fois que soi-même, on est opéré, je pense qu’on est autant en difficulté que les patients parce que ce n’est plus du tout la même chose d’avoir un regard sur les autres ou soi-même. […] Donc, je pense qu’on a une image tant qu’on est en bonne santé et, quand on est malade, cette image, elle est perturbée. On [ne] se voit plus pareil. […] Je pense que c’est quelque chose très difficile, de voir son corps complètement changer comme ça, ou paraplégique. […] Et puis on voit des gens qui arrivent… Des paraplégiques qui savent très bien se débrouiller. Ils vont faire un transfert de façon intuitive comme ça. Et d’autres où il faut tout expliquer : « Prends ta jambe là… Mais non, pas comme ça… Comme ça… Et… » Je pense que, quand on est kiné, on doit un peu mieux savoir s’en sortir avec son corps en difficulté que quelqu’un qui avait tout qui fonctionnait bien. » (Extrait de l’entretien avec Carine, M.K, Etablissement Les Mirabelles) Pour Carine, les connaissances sur la mécanique du corps, qu’ont les masseurskinésithérapeutes, leurs permet de mieux appréhender le corps et son fonctionnement. Cette mécanique est présente dans beaucoup de discours des masseurs-kinésithérapeutes. Léa, du Centre de rééducation La Verdure, utilise les termes « les muscles et les os, la souplesse, la raideur, les tensions musculaires, le manque de muscles » lorsqu’elle évoque le corps. Karina, cadre dans l’Etablissement Les Mirabelles, a une vision aussi très mécaniste du corps et explique que la connaissance des éléments anatomiques permet de mieux utiliser le corps, c’est un atout dans la rééducation. « Mais… Alors… Je vais faire un petit parallèle. C’est vrai que, moi, quand je fais du… Je fais du yoga. Effectivement, je me retrouve beaucoup parce qu’on est sur le travail… le travail des… De dissociation avec la respiration, tout ce qui est musculaire, osseux, etc. Donc je m’y retrouve. Mais je me dis que quelqu’un qui a 224 pas les données anatomiques ou bioméca643 , […] ça doit être beaucoup plus compliqué. Et, du coup […] Nous [masseurs-kinésithérapeutes], on demande des choses à certains patients, c’est hyper complexe parce que, nous, on est dans ce fonctionnement en ayant des bases d’anat,644 de bioméca. Pour nous, c’est clair dans nos schémas. Et on rencontre des patients, on reçoit des patients en rééducation qui ont un schéma corporel catastrophique. Alors, vient se rajouter en plus dessus un handicap. […]Donc j’arrive à relativiser plein de choses parce que je pense que, aussi, c’est avec un peu l’âge où quand tu es jeune, tu fais plein de choses et tu te rends pas compte des fois de ce que tu demandes aux autres. […] C’est comme moi, aujourd’hui, je prends ma voiture, je me pose pas de questions comment elle démarre, comment elle fonctionne. Ça fonctionne pas, je l’amène chez le garagiste. Et là, par contre, je demande à quelqu’un qui s’est jamais posé la question sur son corps… Enfin… Pas tous, mais certaines personnes… Les personnes âgées, des fois, sont… Ont été… Sont pas dans la même culture que nous. Donc ils ont été beaucoup sur le travail, beaucoup moins sur les loisirs. Donc ils se sont pas forcément posé la question de savoir comment fonctionnait leur corps, comment… Et, aujourd’hui, je leur demande de décortiquer tout ça, de s’en servir pour la rééducation. Donc, oui, des fois, il y a quelque chose de très complexe à ça. Alors, après, les générations évoluent. Maintenant, on a des générations qui… Il y a pas mal de sportifs aussi. Eux connaissent beaucoup mieux leur corps […]».

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