Description generale
Mesures optiques de deplacements
La lumi`ere intrigue et passionne depuis toujours. Pendant longtemps, elle a fascin´e les hommes qui l’observaient, dans le ciel ou sur la Terre, sans en comprendre v´eritablement ni le comportement, ni la nature. On devra attendre le d´ebut du XIe si`ecle pour que soit introduit le concept de propagation de la lumi`ere, ainsi que l’´ebauche des lois la r´egissant, par des physiciens comme Alhazen ou Roger Bacon ; l’optique g´eom´etrique ´etait alors n´ee. Il faudra cependant patienter encore pr`es de 7 si`ecles pour voir ´emerger les premi`eres discussions concernant la nature de la lumi`ere, corpusculaire selon Newton (1675), ondulatoire selon Pardies ou Huygens (1677). C’est cette derni`ere interpr´etation qui sera la plus fructueuse et la plus d´evelopp´ee au cours des si`ecles suivants, conduisant `a un essor exp´erimental exceptionnel, qui permettra la mise en ´evidence et la compr´ehension de l’ensemble des ph´enom`enes li´es `a l’optique classique, tels la diffraction ou les interf´erences
A partir de la deuxi`eme moiti´e du XIXe s, un certain nombre de dispositifs exp´erimentaux a ainsi ´emontr´e l’efficacit´e de l’interf´erom´etrie pour mesurer des distances avec une grande sensibilit´e. Pour illustrer le potentiel de cette m´ethode, nous allons nous int´eresser `a la mesure de ´eplacements longitudinaux, qui correspond au type de mesure que notre exp´erience nous permet de r´ealiser. Nous consid´erons donc un syst`eme constitu´e d’un miroir mobile ´eclair´e par un faisceau laser continu sous incidence normale.
Augmenter la sensibilit´e avec une cavit´e Fabry-Perot
Il est possible d’augmenter la sensibilit´e de la mesure interferom´etrique en pla¸cant en regard du miroir mobile un second miroir, formant ainsi une cavit´e FabryP´erot. Un tel dispositif permet de multiplier les allers-retours de la lumi`ere entre les deux miroirs, ce qui revient `a sonder la position du miroir mobile un grand nombre de fois. On amplifie ainsi l’effet du d´eplacement du miroir mobile sur la phase du faisceau r´efl´echi. Pour d´emontrer cet effet, nous abordons dans la suite le cas simple d’une cavit´e `a une seule entr´ee-sortie, c’est-`a-dire form´ee d’un miroir d’entr´ee partiellement transmettant suppos´e immobile, et d’un miroir de fond totalement r´efl´echissant et mobile, la cavit´e ne pr´esentant de plus aucune perte. Nous ne consid´erons pas ici les effets m´ecaniques de la pression de radiation du champ lumineux sur le miroir mobile ; nous reviendrons sur ces aspects dans les sections suivantes.
La cavit´e ne pr´esentant pas de pertes, elle r´efl´echit compl`etement la lumi`ere incidente, et l’intensit´e moyenne est conserv´ee : I out = I in (1.2) o`u I in d´esigne le flux de photon moyen incident et I out celui r´efl´echi par la cavi ´e.
Par contre, les r´eflexions successives du champ `a l’int´erieur de la cavit´e interf`erent entre elles, et induisent des r´esonances lorsque la longueur de la cavit´e est un multiple demi-entier de la longueur d’onde. Autour d’une telle r´esonance, l’intensit´e intracavit´e d´ecrit un pic d’Airy (cf figure 1.3), c’est `a dire qu’elle pr´esente un profil lorentzien, dont la largeur et la hauteur d´ependent uniquement des propri´et´es optiques des miroirs de la cavit´e. On les exprime commod´ement en fonction de la finesse F, d´efinie comme le rapport entre l’intervalle spectral libre, c’est-`a-dire la distance λ/2 qui ´epare deux r´esonances successives, et la largeur du pic d’Airy.
La largeur de la r´esonance vaut ainsi par d´efinition λ/2F, alors que l’on d´emontre ais´ement que l’intensit´e intracavit´e moyenne `a r´esonance admet l’expression suivante :
Caract´eriser des effets fondamentaux avec un miroir mobile
Nous avons vu dans les sections (1.1.1) et (1.1.2) que l’interf´erom´etrie permet d’acc´eder `a la mesure de d´eplacements incroyablement petits. Il est donc naturel d’y avoir recours pour ´etudier de nombreux effets induisant de tr`es faibles d´eplacements, dans des domaines s’´etendant de la physique microscopique `a l’astrophysique.
Il est ainsi possible d’acc´eder `a la mesure de forces inf´erieures `a l’atto-newton (10−18N), comme l’ont par exemple d´emontr´e des chercheurs de IBM `a San Jose [29], qui sont parvenus `a d´etecter le renversement du spin d’un ´electron unique (voir figure 1.4). Ils ont pour cela utilis´e une technique appel´ee ”microscopie de force `a r´esonance magn´etique”, qui consiste `a d´etecter la force magn´etique s’exer¸cant entre une pointe ferromagn´etique et un ´echantillon de spins. Ici, la pointe ferromagn´etique est fix´ee au dos d’un micro-levier mobile dont la face avant est ´eflechissante. L’´echantillon de spin utilis´e est un morceau de silice vitreuse, p ´ealablement trait´ee de sorte qu’il contient une faible concentration de spins ´electroniques (entre 10−13 et 10−14 cm−3 ). Un champ magn´etique statique est par ailleurs ajout´e afin que la pointe ferromagn´etique soit r´esonnante avec le spin ´electronique. Une excitation m´ecanique sinuso¨ıdale est alors appliqu´ee au microlevier (f ´equence de 5.5 kHz, amplitude d’une dizaine de nm), de fa¸con `a le faire osciller au dessus de la surface de l’´echantillon. Lorsque la pointe ferromagn´etique se retrouve suffisamment proche d’un spin, celui-ci va subir des retournements qui vont alors causer un petit d´ecalage de la fr´equence d’oscillation du micro-levier, en raison de la force magn´etique que le spin exerce sur le micro-aimant. Son mouvement est mesur´e optiquement, grˆace au faisceau lumineux amen´e par une fibre et qui se r´efl´echit sur le levier. Il s’agit en fait d’une mesure interf´erom´etrique entre le faisceau directement r´efl´echi par le bout de la fibre et celui qui s’est propag´e jusqu’au micro levier. Avec une sensibilit´e de l’ordre de l’˚Angstr¨om, le groupe d’IBM a ainsi pu d´etecter les modifications du mouvement induites par le retournement d’un seul spin, et cette m´ethode de d´etection ouvre des perspectives vers de nombreuses applications, parmi lesquelles on peut citer l’imagerie tridimensionnelle de macro-mol´ecules.
Les premi`eres d´emonstrations exp´erimentales de l’effet Casimir n’ont vu le jour qu’`a la fin des ann´ees 1990 [30–32], grˆace notamment au d´eveloppement de la microscopie `a force atomique (AFM), qui est bas´ee sur la d´etection ultra-sensible des d´eplacements d’un micro-levier au voisinage d’une surface. Umar Mohideen et son ´equipe sont ainsi parvenus `a effectuer une mesure tr`es pr´ecise de la force de Casimir entre un plan et une micro-sph`ere [32](voir figure 1.5). Ils ont pour cela attach´e une micro-sph`ere au bout d’un microlevier qu’ils rapprochent d’un plan `a des distances variant de quelques dizaines `a quelques centaines de nanom`etres. A l’´equilibre, la sph`ere est donc soumise d’une part `a la force de Casimir, et d’autre part `a la force de rappel ´elastique du microlevier : la connaissance des param`etres m´ecaniques de ce dernier, conjugu´ee `a la mesure de la d´eviation de la sph`ere induite par la pr´esence du plan leur a ainsi permis de mesurer la force de Casimir avec un accord meilleur que 2% par rapport aux pr´edictions th´eoriques.
Mesure de d´eplacements au niveau quantique
Nous revenons dans cette section sur la sensibilit´e des mesures optiques de d´eplacement, et en particulier sur les limites induites par la nature quantique de la lumi`ere. Si l’on en croit l’´equation 1.4, on pourrait penser que l’on peut am´eliorer ind´efiniment la sensibilit´e d’une mesure interf´erom´etrique, en augmentant suffisamment la finesse de la cavit´e, c’est-`a-dire en am´eliorant la qualit´e optique des miroirs. Il n’en est pourtant pas ainsi, en raison notamment du bruit de pression de radiation qu’exerce le faisceau lumineux sur les miroirs de la cavit´e, responsable d’une action en retour de la mesure sur la position des miroirs. Apr`es avoir d´ecrit la nature quantique de la lumi`ere (section 1.2.1) et ´etabli les ´equations de base du champ dans la cavit´e (section 1.2.2), nous abordons ces concepts dans les sections 1.2.3 et 1.2.4.
Nature quantique de la lumiere
La th´eorie de l’´electrodynamique quantique nous permet de mod´eliser le champ ´electromagn´etique comme une somme de modes ´equivalents `a des oscillateurs harmoniques in ´ependants. Du fait de la pr´esence de la cavit´e qui s´el´ectionne les modes du champ, nous nous int´eressons dans ce qui suit `a un champ monochromatique pouvant ˆetre d´ecrit par un seul mode, de pulsation ω0, de polarisation et de direction de propagation donn´ees. On associe alors `a ce champ des op´erateurs cr´eation ba et annihilation ba du mode, analogues `a ceux que l’on utilise pour d´ecrire un oscillateur harmonique mat´eriel. Ces op´erateurs ne commutent pas et v´erifient :