LE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA CLAUSE DE RENÉGOCIATION DU CONTRAT
Présentation
– « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ( Cc. Art. 1134 ) les contrats doivent être exécutés de bonne foi. Quoi qu’il arrive, les parties s’engagent à fournir les prestations prévues dans les conventions. Le respect des liens contractuels reste la préoccupation majeure du juge. Tous les moyens sont bons pour arriver à cette fin. L’exécution des contrats à durée indéterminée ou longue durée peut-être perturbée par la survenance d’événements imprévisibles lors de la conclusion du contrat. L’exécution des obligations contractuelles est un droit pour les parties. Mais selon Monsieur FONTAINE, ce « Droit ne peut imposer jusqu’à l’absurde l’exécution d’un engagement qui a perdu toute rationalité économique » .248 164. La naissance.- « Fruit d’une maturation des besoins du commerce international, la clause de [renégociation ou clause de] hardship a pour domaine d’élection les contrats de longue durée tels que les contrats de construction » 249 ou alors les contrats de vente d’équipements de construction d’infrastructures ou bien les contrats d’exploitation de minerais ou de l’équipement pour l’exploitation ou l’extraction de matières premières, ou même les contrats d’assistance technique.250 La possibilité de renégocier le contrat a été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, dans l’article 1195, il est précisé que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation » (Section 1). Comme tout acte unilatéral, le risque d’abus est toujours présent. Par conséquence, un contrôle du juge de la clause de renégociation est indispensable et primordial (section2 ).
DOMAINE D’INTERVENTION DE LA CLAUSE DE HARDSHIP
Une question délicate.- La question de l’adaptation du contrat aux circonstances nouvelles et aux changements imprévus, se pose toujours. Face aux déséquilibres que causent des situations nouvelles, il est clair que l’introduction d’une clause de révision dans le contrat, appelée autrement clause d’adaptation ou de révision contractuelle, reste une solution efficace et adaptée à ce genre de situation et aux déséquilibres contractuels intervenus après la conclusion du contrat et au cours de son exécution. 166. Le rôle.- Ces clauses « permettent au juge, à la suite d’événements exceptionnels et imprévisibles ayant rendu l’exécution de l’obligation contractuelle excessivement onéreuse (sans pour autant devenir impossible) de façon à menacer le débiteur d’une perte exorbitante, de réduire raisonnablement l’obligation devenue excessive et ce, suivant les circonstances et après avoir pris en considération les intérêts des parties».
L’ADMISSION DE LA CLAUSE DE HARDSHIP
L’admission par la jurisprudence.- L’ordonnance du 10 février 2016, a admis la possibilité, en cas de changement de circonstance, de renégocier le contrat, comme précisé dans l’article 1195. La jurisprudence n’a pas pris de position quant à l’admission de la révision du contrat en cas de changement de circonstances. Sa position varie, en effet, selon que le contrat est civil ou administratif. La jurisprudence administrative a depuis l’arrêt » gaz de Bordeaux » admis la révision du contrat pour imprévision. Elle se justifie par le fait : qu’il faut assurer la continuité du service public et par conséquent, la nécessité de maintenir le contrat administratif et d’assurer une obligation de solidarité, de coopération entre les pouvoirs publics ou l’administration et ses partenaires en cas de changement de circonstances. En revanche, en matière civile, la jurisprudence ne reconnaît aucun changement ou révision en cas d’imprévision. Le doyen CARBONNIER affirme que le droit civil français, offre bien des moyens à la jurisprudence, si celle-ci voulait admettre la révision pour imprévisions. Ces mêmes moyens sont utilisés par d’autres jurisprudences.252 Il suggère de prévoir l’existence d’une condition tacite de renégociation dans les conventions. Le professeur FARJAT de son côté précise que, le refus de la jurisprudence civile de reconnaître la révision pour imprévision, repose sur l’effet obligatoire du contrat. Il arrive que la révision du contrat n’est pas la solution miracle et unique de l’inexécution contractuelle en cas de changement de circonstances, mais une des solutions déjà existantes. 168. Justification.- Toujours est-il que parmi les motifs sur lesquels la Cour de cassation française base son rejet de la théorie de l’imprévision, on trouve : – La sécurité juridique – Le principe de liberté et de responsabilité qui tend à laisser chaque partie apprécier par elle-même l’équivalence de la contrepartie. -L’ordre public monétaire qui traduit la politique des prix et de la monnaie et qui à ce titre, impose au juge la neutralité. -L’utilité sociale du contrat qui incite à écarter toute intervention. -Le principe de la force obligatoire du contrat et de son intangibilité. -Le principe de l’autonomie de la volonté des parties. -Enfin, l’article 1134 du Code civil qui pose le principe de l’immutabilité des conventions.253 169. La législation.- Cependant, le Code civil français n’a pas interdit, expressément, l’utilisation de la théorie de l’imprévision, sans pour autant l’admettre ; néanmoins, il existe quelques dispositions du dit code, qui laissent une place à l’imprévision dans l’ordre contractuel254 . Il faut tout de même préciser que si la jurisprudence ne reconnaît pas l’imprévision en matière civile, la Cour de cassation n’a pas hésité à imposer, sur la base de la bonne foi dans l’exécution contractuelle, une renégociation du contrat, devenu déséquilibré par un bouleversement des circonstances255. Si la jurisprudence ne reconnaît pas le principe de la révision du contrat pour imprévision, rien n’interdit aux parties de prévoir une clause de renégociation pour imprévision ou pour changement de circonstances dans le contrat.