LE CONTRÔLE DES ÉLÉMENTS CARACTÉRISTIQUES DE LA CLAUSE DE HARDSHIP
Présentation.- Dans la plupart des contrats déséquilibrés, c’est l’un des contractants qui souffre le plus de cette situation. Pour l’autre contractant, ce bouleversement peut lui être avantageux ou sera dans une situation de neutralité.
La condition.- L’ouverture des renégociations est subordonnée à la situation constitutive de hardship.
Le problème qui se pose généralement est la mauvaise foi de la partie qui tire un avantage de cette situation de déséquilibre.
Le contrôle des éléments caractéristiques de la clause de hardship, passe par la détermination de l’origine du déséquilibre. Car, pour constituer une situation de hardship, le changement de circonstances doit être une conséquence d’un cas de force majeure ( A ).
En revanche, le juge doit contrôler l’impact du changement de circonstances sur la continuité du contrat ( B ).
LE JUGE FACE À LA CLAUSE DE HARDSHIP
LE CONTRÔLE DE L’ORIGINE DU DÉSÉQUILIBRE
Présentation .- « Si au cours de [ l’exécution ] du présent contrat, la situation générale en vigueur au moment de sa conclusion venait à subir des modifications importantes, les circonstances sur lesquelles les parties se sont fondées au moment de la conclusion viennent à se développer une façon telle qu’une des parties aurait à subir des rigueurs que l’on ne pourrait pas équitablement lui demander [ de supporter ] les parties se mettent d’accord pour adapter les circonstances du présent contrat à la nouvelle situation d’une façon équitable pour les deux contractants ».
Constatation.- Par la suite d’un changement de circonstances, le contrat devient instable et crée ainsi un déséquilibre dans les prestations.
La clause de hardship a pour objet de faire face à ce genre de situation, c’est-à-dire au changement de circonstances. Ce changement, pour constituer une situation de hardship, doit survenir après la conclusion du contrat.
Le rôle du juge. – Force est de constater que, le contrôle du juge se fait essentiellement sur le changement de circonstances et doit être général.
En effet, la clause de hardship ne pose pas de limite ni de restriction au nombre d’événements qui peuvent être le fait générateur de sa mise en oeuvre. Il n’est pas rare que les contractants excluent certains événements du champ d’application de la clause et il peut arriver que les parties établissent une liste d’événements susceptibles de se produire et qui peuvent déclencher son application. Il est clair que les parties ne pouvaient pas prévoir toutes les circonstances qu’elles pourraient rencontrer au cours de l’exécution du contrat. Pour cette raison, il est préférable, pour éviter tout problème et mal entendu, que la formule du changement de circonstances soit très générale et surtout très large. En effet, « La clause de hardship est toujours prévue dans une formule de grande généralité et les clauses analysées n’envisagent pas spécialement l’irruption d’un événement précis comme critère de la nécessité de réadapter le contrat ; elles visent simplement une modification de la situation générale des données ou encore des circonstances sous l’empire desquelles les parties ont contracté. L’impact de ce changement est d’ailleurs prévu de manière non moins générale. Il faut en effet souligner que les parties ont également vocation à se prévaloir de la modification des circonstances pour demander la réadaptation du contrat». 279 Les parties ne peuvent prévoir tous les obstacles qu’elles pourraient rencontrer et d’une façon précise « Les partenaires optent pour une formule volontairement imprécise mais susceptible de recouvrir le plus grand nombre de cas».
Exemple.- En cas d’évolution économique, monétaire, ou bien commerciale, la clause de hardship doit alors stipuler qu’« Au cas où se produiraient des variations très importantes dans la conjoncture ou des modifications très notables dans les conditions économiques … »281 , ou alors » en cas de bouleversement du système monétaire actuel… »
L’utilité .- Le rôle du juge prend alors toute son importance, car le fait que les clauses soient larges et générales, lui ouvre la possibilité de s’immiscer dans le contrat. En effet, il dispose du pouvoir d’apprécier et pourra par conséquent vérifier, si le changement de circonstances est bien visé par la clause et si cela a créé un déséquilibre très important, qui justifie une modification du contrat.
Cependant, la généralité dans la stipulation de la clause de hardship, permet de prendre en compte un nombre très important d’obstacles que pourraient rencontrer les parties, lors de l’exécution du contrat et conduire ainsi au déséquilibre contractuel.
Si par exemple, une société conclut un contrat avec un état réputé politiquement instable, la clause doit stipuler les risques politiques ou même des risques juridiques « Car les engagements parfois pris par certains gouvernements contractants de ne pas modifier leur législation ne se sont pas toujours révélés de nature à mettre les intéressés à l’abri de toute surprise».
L’IMPACT DU DÉSÉQUILIBRE
Présentation.- Pour que le contrat soit renégocié, le changement de circonstances doit provoquer un déséquilibre considérable et un bouleversement dans les rapports contractuels entre les parties.
Selon l’article 6.2.1, des principes UNIDROIT, les parties sont tenues de remplir leurs obligations, quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, sous réserve des dispositifs suivants relatifs au hardship .
Exception des principes.- Le principe de la force obligatoire du contrat n’est pas un principe absolu, lorsque surviennent des circonstances telles, qu’elles entraînent une altération fondamentale de l’équilibre des prestations. Elles créent une situation exceptionnelle appelée » hardship « .
Conditions .- Le changement de circonstances doit affecter l’équilibre général du contrat pour que la situation soit constitutive de hardship.
En effet, « Un déséquilibre important doit signifier plus qu’une difficulté surgissant d’une variation économique au jour le jour ; il doit avoir un impact réel et ne doit pas être un simple effet passager.»284
Il est clair que le changement de circonstances, même s’il est significatif et important, peut ne pas être constitutif de hardship, il doit en effet, avoir un impact sur la continuité du contrat et affecter gravement l’équilibre contractuel, « C’est la raison pour laquelle le cas de hardship ne se réalise que lorsque le changement entraîne des résultats fondamentalement différents de ceux envisagés par les parties lors de la conclusion du contrat».
UN CONTRÔLE DE MISE EN OEUVRE
Un contrôle logique.- Le fait de laisser le pouvoir de décision aux parties, est source de conflit et d’abus. L’un des contractants peut prétexter un changement de circonstances pour renégocier un contrat conclu, pour qu’il puisse en tirer un bénéfice encore plus avantageux, s’il change de partenaire, par exemple, si un autre partenaire lui propose la même marchandise mais à un prix plus bas.
L’insertion de clauses de hardship est autorisée, mais soumise à des conditions que les parties sont dans l’obligation de respecter, sous peine de voir leur droit à renégocier le contrat annulé.
D’un côté, le contrôle de mise en oeuvre commence par l’obligation d’information, afin de bénéficier du droit de renégociation du contrat. Les partie doivent impérativement notifier leur désir de renégocier (A).
D’un autre côté, le contrôle se fait sur la négociation elle même, c’est-à-dire sur le contenu de la négociation et sur tout le comportement des parties (B).
L’OBLIGATION DE NOTIFICATION
Notification.- « En général les clauses de hardship prévoient que la partie qui estime réunies les conditions de la réadaptation, doit aviser son contractant de la survenance de l’événement à l’origine du changement allégué ainsi que les atteintes de la rigueur subie et des moyens proposés pour y remédier l’autre partie doit leur faire connaître sa position dans un bref délai »288. Selon le professeur OPPETIT, l’initiative de la notification revient généralement à la partie qui a subi le dommage, autrement dit, qui est victime du changement de circonstances. C’est donc la victime du déséquilibre qui doit en effet, informer son cocontractant de sa volonté de renégocier le contrat ou en d’autres termes, de réadapter le contrat selon les circonstances actuelles. « C’est le contractant qui, touché le premier et directement par la survenance de l’événement déstabilisateur, risque de se trouver à court terme, dans une situation susceptible de l’empêcher d’exécuter son obligation principale, entraînant éventuellement des risques graves quant à l’existence même de son partenaire » .289
L’obligation .- Le contractant touché en premier par le déséquilibre, est dans l’obligation d’informer son partenaire de ses difficultés à exécuter son contrat, à cause du changement de circonstances. Cette information doit en général préciser l’événement à l’origine du déséquilibre et bien entendu, le dommage subi par ce changement. Il doit proposer une solution à ce problème et cela dans un délai très court. « Une telle exigence d’information rapide du partenaire témoigne sans conteste, de l’esprit de la clause de hardship en tant que mécanisme visant à sauver l’existence du contrat. En effet elle permettra d’abord à la partie victime de limiter ses pertes en trouvant un substitut adéquat dans les plus brefs délais. De même, elle profitera au partenaire du contrat car, si ce dernier bénéficie dans un premier temps du déséquilibre, il tend peu à peu à devenir victime à son tour dès lors qu’il ne peut plus recevoir la contrepartie espérée de l’opération.»
UN CONTRÔLE DE LA RENÉGOCIATION ELLE-MÊME
Présentation.- Si la renégociation du contrat vise à changer les termes de ce dernier, cela constitue une atteinte au principe fondamental des contrats qui est la force obligatoire. « La clause de hardship vise le coeur même de la notion de contrat puisqu’elle porte atteinte au principe essentiel ».
Le principe essentiel de la négociation est la liberté des parties. En effet, « La liberté de négociation permet notamment aux individus de refuser de négocier ou de refuser de continuer à négocier sans devoir en justifier les raisons, ( … ) cependant, la liberté absolue de négocier peut-être source d’abus. Aussi comme tout comportement humain saisi par le droit, le comportement des négociateurs doit respecter certaines règles celles dont la violation donne prise à la responsabilité civile ». 296
La partie en position de force, peut obliger l’autre à accepter des conditions qu’elle n’aurait pas acceptées en temps normal.
Le contrôle du juge s’effectue donc sur le contenu même de la renégociation du contrat. Le but des négociations doit être objectif, c’est-à-dire la recherche de l’équilibre » initial » du contrat. L’objectif de la renégociation est de « Replacer les parties dans une position d’équilibre comparable à celle qui existait au moment de la conclusion du présent contrat ».