Le Contexte des relations de service « coproduction » et modèle organisationnel

Le Contexte des relations de service « coproduction » et modèle organisationnel

L’objet de cette section est de présenter de manière relativement large le contexte des relations de service. Nous commençons par évoquer et analyser certaines définitions proposées par les auteurs, qui se positionnent d’une manière générale sur une approche interactionniste de la relation de service. Cette approche permet de mettre en avant la « coproduction » de service comme une caractéristique essentielle dans la définition des relations de service (1). Nous présenterons ensuite le modèle organisationnel des entreprises de service, dont la production repose sur la coordination des différents univers composant ces entreprises (« front-office » et back-office) (2). 

Qu’est-ce que les relations de service ?

Des tentatives de définition de la relation de service

Le terme de « relation de service » (service Relationships) a été utilisé pour la première fois dans les années 1950 par les auteurs Hughes et Whyte (Borzeix, 2000). Dans son ouvrage, « Asiles », Goffman (1968) en a réalisé la première conceptualisation. Il y réserve ce terme aux interactions directes en coprésence (du client) et exclut de cette catégorie les services qui ne font pas l’objet d’une demande directe de la part du client. C’est pour cette raison qu’on qualifie généralement la perspective de Goffman d’« approche interactionniste », mettant en exergue la relation et le dialogue entre le client et le praticien de l’entreprise de service (Borzeix ,2000; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Bouzit et Monique, 2001; Gadrey et Zarifian, 2002; etc.). Cette approche renvoie donc à des métiers et à des emplois du tertiaire, domaine par excellence du « relationnel » (Pigenet, 2006), tels que les caissières, les guichetiers ou les aides à domicile, incluant au passage le métier des téléopérateurs (dont une fraction du patronat adhère à l’Association Française de la Relation Client (AFRC)) et ce malgré la distance. Cela dit, cette perspective restrictive du concept nous amène à dire que la relation de service ne concerne pas directement certains services où le contact avec le client (ou usager70) n’est 70 Malgré les différences qui peuvent exister entre le « client » et l’ « usager », nous utiliserons tout au long de notre travail les deux termes comme synonymes. Le Contexte des relations de service « coproduction » et modèle organisationnel 111 pas immédiat, comme c’est le cas des éboueurs, les agents du tri postal, etc., et d’une manière plus large, les salariés agissant dans le back-office, où client n’est impliqué qu’indirectement. Toutefois, l’absence du contact avec le client dans les activités citées ci-dessus n’implique pas leur oubli (Pigenet, 2006). A la lecture de ces travaux, ainsi que les apports des autres chercheurs, notamment Gadrey (1996 ; 2002), on comprend que le terme de « relation de service » recouvre davantage les emplois et activités ayant une relation immédiate et à forte intensité avec le client, tandis que celui de « service(s) » concerne les emplois et les activités où le client est impliqué indirectement. Du Tertre (2001) n’a pas manqué de préciser la nécessité d’opérer la distinction entre les termes de « service » et « relation de service » qui sont, selon l’auteur, parfois confondus à tort. « En réalité, il peut exister, d’un côté, des activités de service sans « relation de service », de l’autre, des services qui ne prennent leur sens qu’à travers « la relation de service ». (ibid., p. 227). Toutefois, les travaux de recherche ne se sont pas focalisés sur cette distinction entre « service » et « relations de service » et les définitions les plus reprises semblent s’accommoder des deux. Dans le champ des définitions, il faut souligner que la jeunesse relative de ce champ de recherche, la place accordée au client dans l’activité, ainsi que l’évolution de cette dernière, font que les définitions avancées par certains auteurs sont loin de faire l’unanimité au sein de la communauté académique. Gadrey (2002) estime que la définition des services (en général) relève d’un exercice délicat. Aussi, il présente ce qu’il appelle une tentative de définition, basée notamment sur celle de Hill71 est articulée à la perspective de Goffman : « une activité de service est une opération visant une transformation d’état d’une réalité C, possédée ou utilisée par un consommateur B, réalisée par un prestataire A, à la demande de B et en relation avec lui, mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler économiquement indépendamment du support C » (ibid., p. 60). Cette définition, présentée par un économiste, nous semble mettre l’accent sur l’activité de transformation (inspirée de l’activité industrielle) et de production économique de service. C’est une des limites de cette définition, dont l’auteur lui même signale qu’elle est incomplète. Faisant suite à cette remarque, Zarifian (dont les points de vue sont confrontés avec ceux de Gadrey dans un livre en commun en 2002), a présenté une autre tentative de définition en s’appuyant sur une double approche ( ibid., p. 99).– L’approche de la valeur de service à partir des effets : le service est une transformation dans les conditions d’activité du destinataire, voir dans ses dispositions d’action, dont les effets sont jugés valables et positifs par ce dernier et/ ou par la collectivité. – L’approche de la valeur de service à partir des ressources : le service est une organisation et une mobilisation les plus efficientes possibles des ressources (et d’abord des compétences vivantes) pour interpréter, comprendre et engendrer cette transformation, efficience jugée par la direction de cette organisation, comme par ses salariés, voire par le destinataire lorsqu’il agit lui-même comme ressource72. Dans la première approche, on voit bien que l’accent est mis davantage sur la validité sociale de la production de service à travers la valeur de service considérée par le client – référent. Quand à la seconde, il présente le service à partir d’un modèle organisationnel basé sur les ressources, intervenant dans le processus de production de service, sous le regard de l’organisation et du client. Cela dit, dans l’une comme dans l’autre, Zarifian développe une perception de ce qu’est une activité de service, différente de celle de Gadrey. Ceci témoigne donc non seulement de la multitude des points de vue que peut révéler et susciter cette activité, mais aussi, de la difficulté à cerner sa complexité dans une seule définition. Enfin, et à l’aune de ce que nous avons évoqué depuis le début de cette présentation, bien que les regards sur les relations de service soient différents selon que l’on s’attarde sur tel ou tel aspect, il semble que la perspective interactionniste goffmanienne s’impose et se traduit comme un point en commun entre ces différentes visions, en s’intéressant de près à la participation du client au processus de servuction, un processus communément appelé la « coproduction ».

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La relation de service : une co-production du service

Avant de présenter le concept du processus de « co-production », il est intéressant de rapporter certains éléments de la théorie goffmanienne qui a inspiré plusieurs auteurs dans leur approche sur l’analyse de la relation de service.

L’approche interactionniste des relations de service

L’approche interactionniste de la relation de service émerge des réflexions de Goffman après la publication de son livre « Asile » en 196873. Il considère l’interaction entre le praticien et le client comme un vecteur de la spécification, et donc de la compréhension de la relation de service. Cette approche dialogique entre le client et le praticien est modélisée par l’auteur sous forme de communications techniques, contractuelles et relationnelles (ibid., p. 383). – Les communications techniques : concernent les renseignements reçus / donnés sur le service ou la prestation envisagée ; etc. – Les communications contractuelles : ici, on s’intéresse plutôt aux indications relatives au coût du travail, aux délais à respecter, etc. – Les communications relationnelles : cet aspect aborde tout ce qui relève du champ des civilités, des échanges de politesses, etc. Bouzit et Monique (2001) rapportent que Goffman souligne qu’il est important de constater que, tout ce qui se passe entre le praticien et son client relève de l’une ou de l’autre de ces composantes et que toutes les divergences peuvent être interprétées en fonction de ces normes prévues. Ainsi, si l’échange entre le praticien et le client se déroule conformément à cette structure, cela représenterait aux yeux des protagonistes un test de « bonne relation de service ». L’analyse de la relation de service sous l’approche Goffmanienne invite les chercheurs à porter l’attention sur les interactions entre le praticien et le client en situations de travail74 pour comprendre la nature et les spécificités de cette activité. A ce sujet, Cartier (2005) note que si l’attention portée aux interactions fut quelquefois accusée de « s’épuiser dans la description des […] face à face » et d’oublier d’« autres rapports sociaux », l’approche a favorisé la prise en compte des pratiques quotidiennes et concouru à renouveler l’observation et l’interprétation théorique de l’organisation du travail. [in Pigenet, 2006, p. 3].

La « coproduction » du service

Le concept de la « coproduction » représente donc la caractéristique phare de l’approche interactionniste de la relation de service. Elle permet de distinguer cette activité de celle relevant du travail dans l’usine. C’est ce qui fait de la notion de la « coproduction » un concept au carrefour de tous les travaux portant sur ce secteur (Hanique et Jobert, 2001 ; Bruch et Delmas, 2005). Pour Zarifian (2002) , la « coproduction » d’un service consiste en la participation du client à la réalisation du service, c’est à dire, en la co-construction avec le client-usager de l’offre de solution qui va correspondre à ses attentes. La « co-production » d’un service s’accomplit, comme nous l’avons vu dans l’approche Goffmanienne (1968), à partir d’interactions entre le salarié et le client, et passent, selon certains auteurs (Gadrey 1996, 2002 ; Bouzit et Monique, 2001 ; Hanique et Jobert, 2001), par des échanges d’informations, voire des actions opérationnelles sur le service envisagé. De ce fait, le client est bien plus qu’un simple consommateur car, comme le soutient David (2001) : de l’instant où il formule sa demande jusqu’au moment où il obtient une réponse, il oriente et évalue en permanence la prestation, modifie au fur et à mesure les termes de sa demande et corrige l’action du prestataire. Ces éléments font ressortir que le concept de « coproduction » recouvre l’intervention du client dans- et à travers- plusieurs étapes relatives à la délivrance du service. Un point de vue que l’on trouve également chez Valléry (2004 ) qui estime que « l’interaction «agent-client» est inhérente à la construction du service ; elle sert les scènes de coproduction et de co-action, voire de co-ajustement, entre les partenaires dans ses formes sociales multiples de confrontation, de régulation, d’ajustement ou de réparation (au sens goffmanien) » (ibid., p. 128). Deux remarques peuvent être dégagées suite aux éléments qu’on vient d’annoncer autour de ce concept de « co-production ». En premier lieu, ce concept incite à considérer l’importance du rôle « actif » que joue le client dans la conception, mais aussi dans la production même du service, lors de ses interactions avec l’agent de l’entreprise prestataire. En second lieu, nous pensons que la co-production ressemble davantage à un « processus » qu’à une action unique, étant donné que le client peut intervenir dans plusieurs étapes successives dans la production du service, allant de sa conception (début) jusqu’à sa validation (au sens de Zarifian 2002) et délivrance (fin), en passant par des actions permettant sa modification et son ajustement. En fait, considérer la « coproduction » comme un processus semble un élément très important car cela fait apparaitre de grands enjeux. En effet, là où certains mettent l’accent sur les consignes du client qui viennent s’intercaler dans les modes opératoires de l’entreprise de service (Eiglier, 2004 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; David, 2001 ; Feriel, 2007), d’autres relèvent un transfert de la charge de travail de l’organisation sur le client (Beyer, 2001 ; Bouzit, 2001 ; Omrane et Bouillon, 2004).

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