Le Conseil de sécurité des Nations Unies : historique et fonctionnement
L’analyse d’un discours doit bien évidemment prendre en compte l’auteur du discours analysé. Le problème pour notre étude se pose donc de savoir qui est l’auteur des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Se pose ainsi la question de l’auctorialité d’une institution collective. Qui doit-on considérer comme l’auteur ? La réponse à cette question simple n’est pas si évidente. Elle va dépendre de l’approche que l’on peut avoir en analysant ces textes. Néanmoins, pour pouvoir décider de cette question, il importe de comprendre ce qu’est le Conseil de sécurité de l’ONU. Ici donc nous retraçons un bref historique nécessaire à la compréhension de son discours (2.1.1). Nous montrons au passage combien l’interprétation de texte peut être importante dans le fonctionnement de l’ONU, en en relevant quelques exemples qui concernent le Conseil de sécurité (2.1.2). Pour ensuite mieux comprendre la forme du texte des résolutions ainsi que les données contextuelles que nous avons relevées, il importe de comprendre le fonctionnement du Conseil de sécurité qui mène à l’adoption d’une résolution (2.1.3). Enfin, nous nous concentrerons plus précisément sur les séances d’adoption justement (2.1.4), où le texte des résolutions est arrêté et voté par les représentants des États membres du Conseil.
. Historique du Conseil de sécurité de l’ONU
Alors que les hostilités du second conflit mondial n’étaient pas encore terminées, cinquante pays qui avaient déclaré la guerre aux puissances de l’axe se sont retrouvés à la conférence de San Francisco entre le 25 avril et le 26 juin 1945 pour mettre en place une nouvelle organisation internationale remplaçant la Société des Nations : l’Organisation des Nations Unies. Cette conférence était la continuation de la Déclaration des Nations Unies de 1942 dans laquelle les Alliés s’engageaient à poursuivre la guerre par tous les moyens et à ne pas faire de paix séparée. Si ultérieurement l’admission d’un nouveau membre à l’ONU nécessitait que l’État candidat soit pacifique, les États fondateurs ont pu l’être parce qu’eux étaient entrés en guerre. La nouvelle organisation internationale reprendra globalement le cadre institutionnel de la Société des Nations (SDN) : une Assemblée générale, un Conseil de sécurité, un Secrétariat permanent, une Cour internationale de Justice, et reprendra sous son aile l’Organisation Internationale du Travail qui dépendait de la SDN. Elle devait cependant en priorité tirer les leçons des erreurs du passé : le Conseil de la Société des Nations, organisation créée après la Première Guerre Mondiale pour en éviter une deuxième, avait manifestement failli à sa mission de conserver la paix. Et pourtant, comme le note Bosco : The league’s architects were not dreamers. They knew that the organization could not function if its ideals were not tethered to power. So they placed at the center of the organization an executive council with permanent seats for the most powerful states of the time – Britain, France, Italy and Japan. In 1926, Germany emerged from diplomatic exile and joined the ranks of these permanent members. The Soviet Union initially scoffed at the league as a clubhouse for capitalists, but it finally joined in 1934. Only the United States, so instrumental in creating the league, never took the seat offered to it. L’absence d’une puissance majeure de l’époque a été un problème conséquent, l’autre étant l’impuissance de la SDN, effet direct d’une règle de son fonctionnement : l’unanimité. Que ce soit dans l’Assemblée ou au Conseil, un seul État en désaccord et la SDN se retrouvait à ne pouvoir rien faire. Une des questions pour la nouvelle organisation fut donc de réduire ce pouvoir de véto afin de ne pas la paralyser. Les articles de la future charte des Nations unies furent donc préparés avec soin à la conférence de Dumbarton Oaks, près de Washington DC, d’août à octobre 1944, où seules la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Union soviétique mirent au point le contenu des futurs articles de la Charte de l’ONU, particulièrement ceux ayant trait au Conseil de sécurité. Pour éviter une paralysie similaire à la SDN, la Charte des Nations Unies créa un Conseil de sécurité de 11 membres, qui passera à 15 membres en 1966, qui déciderait des questions de sécurité et de menaces contre la paix. Ce conseil, comme celui de la SDN, est composé de membres élus et de membres permanents du fait de leur prééminence dans les relations internationales : la Chine, les États-Unis d’Amérique, la France, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique, remplacé ultérieurement par la Russie. Cette liste n’a d’ailleurs pas été de soi. À l’origine, seuls les trois participants de la conférence de Dumbarton Oaks devaient manifestement en être, car comme le rappelle Boyd192: Arguing with the Three at San Francisco meant standing up against a group of powers whose armies had already occupied, re-occupied or liberated twenty-eight countries in Europe, Africa and Asia – countries ranging from Norway to Greece to Ethiopia to Iraq to Burma to the Philippines – and were still on the move. La Chine s’associera aux trois puissances en acceptant d’être également l’une des puissances invitantes de la conférence de San Francisco. Le problème de la place de la Chine était surtout dû à la situation de l’URSS vis-à-vis du Japon en 1944 au moment de la conférence de Dumbarton Oaks : les Soviétiques restèrent neutres dans le conflit contre les Japonais jusqu’à la bombe sur Nagasaki, et l’URSS n’entra en guerre en envahissant la Mandchourie que le 9 août 1945, bien après la conférence préparatoire de celle de San Francisco. L’URSS, toute entière occupée sur le front de l’Est du théâtre européen, ne pouvait pas alors se mettre dans une position délicate avec le Japon sur sa frontière orientale – le Japon occupant une partie de la Chine – en participant ostensiblement avec la Chine à la conférence de Dumbarton Oaks.
Interprétation de textes à l’ONU
Cette dispute historique montre que depuis le début de l’existence de l’ONU, la compréhension des textes a des conséquences pratiques sérieuses. Dans ce cas précis, la question que le linguiste peut se poser alors est : existe-t-il un sens linguistique sur lequel peut reposer l’interprétation du Conseil de sécurité de l’article 27 de la charte des Nations Unies ? En prenant en compte les débats traductologiques exposés supra, on peut d’emblée remarquer un fait intéressant : l’alinéa 3 de la version française de l’article 27 de la Charte n’est pas une traduction mot-à-mot de celle de l’anglais. Rappelons que les articles concernant le Conseil de sécurité adoptés à San Francisco ont été ceux établis lors de la conférence de Dumbarton Oaks, sans nul doute en anglais originellement : Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents Decisions of the Security Council on all other matters shall be made by an affirmative vote of nine members including the concurring votes of the permanent members. (Nous soulignons) Une traduction mot-à-mot aurait donné : Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf membres y compris les votes concordants des membres permanents On voit que le mot « concurring » n’a pas été traduit en français, probablement jugé superflu par le traducteur, alors qu’il peut pourtant changer le sens de la proposition : dans sa version française, les voix des membres permanents, c’est-à-dire leur opinion, doivent être au nombre des neufs votes affirmatifs, et ces voix doivent donc être des votes affirmatifs. La version anglaise laisse une échappatoire puisque les votes des membres permanents doivent être inclus s’ils sont « concurring », c’est-à-dire 119/420 « concordants ». Or rien n’oblige un vote à être un vote identique pour être considéré comme un vote concordant205, ce qui laisse donc la possibilité à une abstention d’être considérée comme un vote concordant à un vote positif pour un membre permanent. On voit ainsi que l’interprétation de textes importe au Conseil de sécurité dès ses débuts, et que cette institution n’ignore pas l’importance de la justesse d’un texte. Cette attention aux textes qu’il produit ou dont il dépend est certainement due aux fonctions très importantes exercées par le Conseil dans le système des relations internationales. Ces fonctions sont ainsi décrites par la charte, dans son chapitre V qui est entièrement consacré au Conseil de sécurité : Article 24 1. Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom. 2. Dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité pour lui permettre d’accomplir lesdits devoirs sont définis aux Chapitres VI [Règlement pacifique des différends], VII [Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression], VIII [Accords régionaux] et XII [Régime international de Tutelle).