Le Condor au sommet de sa popularité (1970-1973)
Entre 1970 et 1973 le phénomène associé aux MIA en France sera marqué par la généralisation et la stabilisation de leur succès commercial, avec la multiplication de groupes et des disques « andins » mettant généralement en avant les sonorités des flûtes andines qui exploiteront souvent la popularité du thème El Condor pasa. C’est ainsi que des groupes de MIA, jusqu’alors restés quasiment dans l’anonymat, comme Los Chacos ou de Los Condores – constitués d’ailleurs uniquement de musiciens français – atteindront en France une notoriété inattendue, tandis que Los Calchakis et Los Incas pourront capitaliser leur carrière au niveau international. En guise d’exemple, nous pouvons signaler que Los Chacos obtiendront en 1970 le Grand Prix International du Disque de l’Académie Charles Cros pour son album « El Condor pasa »1, et l’année suivante, ce sera le tour de Los Calchakis pour son album « Les Flûtes Indiennes vol. IV : Mystère des Andes »2. A noter également que dans cette même année trois albums de MIA seront présents dans le Hit-Parade National du Disque, toutes catégories confondues : « La Flûte Indienne » (vol. 1) de Los Calchakis et Guillermo de la Roca (n°26), »Flûtes des Andes » de Los Incas (n°55) et « El Condor pasa » de Los Chacos (n°63); et en 1971 non seulement Los Calchakis atteindra la cinquième place du classement avec son album « Les Flûtes Indiennes vol.3 » 3, mais cette année-là il y sera présent aussi avec « La Flûte Indienne vol.2 » (n° 20, avec Guillermo de la Roca), « La Flûte Indienne vol. 1 » (n° 29), et avec « Les Flûtes Indiennes vol. 4: Mystère des Andes » (n° 33).
Un autre exemple de la consolidation du succès commercial des MIA et en général des musiques latino-américaines en France est la série de concerts (avril – juin) organisés en 1971 par Los Machucambos4 à la Gaité Montparnasse et à La multiplication de ces concerts illustre l’importance que l’association entre ces musiques et un imaginaire « révolutionnaire » avait pris à l’époque : les soirées étaient présentées sous le titre « Chants de liberté » et on peut lire dans un des articles de l’Olympia Magazine que « la sympathie du public va droit vers les peuples opprimés » et que si cette musique connaît à cette époque un « engouement certain » c’est « sans doute parce qu’elle colle avec son temps »1. Dans le texte qui sert d’introduction à ce magazine, cette filiation apparaît de manière encore plus explicite, car on y insiste sur le fait que si cette musique reste un « fleuve profond, gonflé par les traditions des peuples qui s’y sont mélangés depuis des siècles », elle constitue aussi « un chant à la gloire des guérilleros, de ces hommes opprimés par des gouvernements totalitaires et qui ne vivent que dans l’espoir d’une liberté […] qu’ils veulent obtenir un jour »2. Cela dit, malgré ce nouveau et solide rapprochement, les MIA vont continuer à être associées souvent aux représentations de la « tristesse » andine.
Ainsi, par exemple, dans le même texte cité ci-dessus, ces musiques auront « la noblesse, la nostalgie, la mélancolie le mystère de ces indiens impénétrables » et on peut lire également, dans la chronique de Norbert Lemaire dans l’Aurore du 8 avril 1971, consacrée à la soirée « Chants de liberté », que « s’ils viennent des haut plateaux de la Cordillère des Andes » les chants proposés par ces musiciens – dans ce cas, Guillermo de la Roca et Los Chacos – « sont souvent tristes et nostalgiques ». Cela dit, il faut bien souligner qu’aucun des groupes participant à ces concerts ne proposaient de musiques aux textes « engagés ». En revanche, c’est surtout dans les reprises de MIA réalisées par des artistes français que ces musiques commenceront à apparaître explicitement associées aux revendications de mouvements de gauche. Un des exemples les plus clairs de cette tendance est la reprise de ces musiques, réalisée par Maurice Dulac et Marianne Mille qui ajouteront des paroles plus en consonance avec l’ambiance contestataire de certains secteurs de la société française de l’après Mai 68. Des chansons comme Dis à ton fils (1970), Libertad (1970) ou Ton Amérique est aussi à Paris (1972), ne laisseront pas de doutes quant au sentiment de solidarité de ces auteurs vis-à-vis les mouvements de révoltes latino-américaines, sentiment qui se traduira souvent, au niveau de paroles, par la personnification de paysans bien déterminés à prendre les armes pour bouleverser un statu quo oppressant. La chanson Dis à ton fils, par exemple, avait été publiée par Los Calchakis dans le disque « En Bolivie » (1963) puis dans « La flûte indienne » (vol. 1, 1966) sous le titre Quiqueñita1. Or, cette mélodie instrumentale traditionnelle bolivienne deviendra chanson dans la version de M. Dulac et M. Mille, dont les paroles seront présentées comme un dialogue entre un père qui réclame son fils pour l’initier à la guérilla .