Le concept d’équilibre dynamique des cours d’eau
Le débit et la charge sédimentaire sont donc les deux principales variables influençant la dynamique et l’ évolution morphologique d’un cours d’ eau. Lane (1955) a illustré qu’ un cours d’ eau cherche un état d’ équilibre au travers des fluctuations de ces deux variables. Le schéma de l’ équilibre réalisé par cet auteur résume bien ce concept . Ainsi, d’un côté se trouvent le débit et la pente du cours qui régissent l’écoulement et de l’ autre côté se trouvent le volume et la taille des sédiments qui représentent la charge sédimentaire. Le cours d’ eau sera en équilibre si la puissance de l’ écoulement est en équilibre avec la charge en sédiment qu’ il doit transporter. Dans ce cas, il n’ y a pas prédominance de l’ érosion ou de la sédimentation. Le chenal est donc dans un état de stabilité. S’ il y a perturbation d’ une de ces variables, alors cela occasionnera des processus d’ érosion ou de sédimentation selon le cas. La morphologie du chenal est perpétuellement sous l’ effet de ces fluctuations puisqu’ elle cherche à atteindre un certain équilibre en fonction de ceux-ci.
Le débit à plein bord
Le débit efficace (effective discharge) est celui qui peut transporter la plus grande charge sédimentaire. Wolman et Miller (1960) ont attribué ce type de débit au débit à plein bord puisqu’ils ont établi une relation entre ce dernier et l’évolution morphologique des cours d’eau. Le débit à plein bord (bankfull discharge) est défini comme le débit pour lequel le niveau d’eau atteint la limite supérieure des berges avant d’inonder la plaine inondable (Knighton, 1998). Ce débit est considéré comme morphogène soit celui ayant le plus d’impact sur la morphologie des chenaux. La récurrence d’un tel débit serait d’environ 1 à 2 ans. Cependant, ces deux types de débits ne sont pas toujours équivalents et la récurrence ne correspond pas toujours à cet intervalle (Knighton, 1998). Cumulativement, le débit à plein bord possède la plus grande capacité de transport et par conséquent le plus grand potentiel de changer la forme du chenal (Wolman et Miller, 1960). Individuellement, un débit causant une inondation a un potentiel d’érosion et de transport plus élevé que le débit à plein bord, cependant leur plus faible fréquence résulte en un plus faible effet cumulatif sur la morphologie.
Évolution actuelle des débits de crues
Plusieurs études se sont attardées à vérifier l’influence du climat et de l’occupation du territoire sur l’évolution temporelle des débits. En ce qui a trait aux débits maximums, leur analyse est d’ autant plus importante puisque l’ évolution de ceux-ci peut conditionner un changement dans la morphologie du chenal et avoir des répercussions sur le risque d’inondation. De façon globale, les changements climatiques produiront un climat plus humide et une hausse des évènements de précipitations extrêmes (IPCC, 2013). Cela devrait avoir un impact direct sur l’ évolution des débits maximums et plusieurs études se sont intéressées à leur évolution future (Arnell, 1999, 2014; Milly, 2005). L’ensemble de ces études de même que l’IPCC en viennent à la conclusion que l’impact du réchauffement climatique sur les précipitations et les débits de crues variera spatialement à travers les régions du monde.
L’ évolution temporelle historique des débits de crues a fait l’objet de plusieurs analyses à travers le monde. Kundzewicz et al. (2005) ont analysé l’ évolution temporelle des débits maximums annuels de 195 stations réparties à travers le globe. Cette étude a conclu à l’ absence d’ une tendance généralisée (hausse ou baisse) dans l’ évolution de ce type de débit. Une grande disparité existe à l’échelle mondiale et même régionale, malgré la hausse de température actuelle observée.
Dans un contexte plus régional, une hausse des précipitations extrêmes a été observée en Amérique du Nord (Villarini et al., 2011; Westra et al. , 2013). Au Canada, une hausse des précipitations totales annuelles a été observée depuis le début du dernier siècle (Zhang et al. , 2000). De plus, Yagouti et al. (2008) ont aussi démontré une hausse du nombre de jours de pluie sur le territoire québécois. Cette hausse des évènements de pluie peut provoquer celle de la magnitude et de la fréquence des débits maximums. Selon les études de Villarini et al. (2009, 2010), une dualité existe dans l’ évolution des débits de crues aux États-Unis. Certaines rivières ont subi une diminution de leurs crues alors que d’autres, une augmentation. Dans une étude concentrée sur la côte Est américaine, Villarini et al. (2010) notent d’ailleurs que la majorité des stations ayant subi une augmentation des débits se situent au nord-est du pays. Cependant, ils conclurent qu’il est difficile de statuer si la cause de ce changement est d’origine climatique ou anthropique.
Cundelik et Ouarda (2009) se sont penchés sur l’ évolution des débits de crues au Canada, cependant très peu de stations hydrométriques du Québec ont été analysées dans cette étude. Au Canada, les débits maximums annuels sont principalement causés par la fonte de la neige au printemps. Ces auteurs conclurent que pour certaines rivières, les débits maximums ont subi une baisse de la magnitude, mais une occurrence précoce dans la saison. À l’ échelle du Québec, Assani et al. (2010) ont observé une hausse significative des débits maximums annuels seulement sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent. Quant aux crues printanières, Mazouz et al. (2012) ont noté des changements dans les caractéristiques des débits printaniers sur certaines rivières de la province. Par ailleurs, Assani et al. (20 Il a) ont constaté une hausse des précipitations et des débits maximums en automne dans la partie sud-est du Québec dont font partie les rivières Châteauguay et Bécancour. De plus, Beauchamp et al. (2015) ont remarqué une augmentation quasi généralisée des débits maximums hivernaux dans le sud du Québec en raison probablement de la fonte précoce de la neige vers la fin de la saison hivernale.
Prévision de l’évolution des débits en fonction des changements climatiques
Selon les simulations du Centre d’expertise hydrique du Québec (2013), la magnitude et le volume des crues printanières devraient diminuer dans la partie sud du Québec en fonction des changements climatiques. De plus, la période d’occurrence de cette crue serait devancée d’une à deux semaines. Boyer et al. (201 Oa) ont obtenu des résultats similaires lors de la simulation des débits de quatre tributaires du fleuve Saint-Laurent. Selon ces auteurs, la baisse des débits printaniers serait causée par la diminution du couvert de neige en hiver. D’ autre part, la magnitude des débits hivernaux subirait une augmentation due à la hausse des températures, des épisodes de gel/dégel et des évènements de pluie qui occasionneraient davantage de ruissellement en raison de l’absence d’infiltration durant cette saison (Boyer et al., 201 Oa; Guay et al. , 2015; Verharr et al., 20 Il). Les changements climatiques engendreraient également une hausse de la fréquence et de la magnitude des crues hivernales selon Boyer et al. (201 Oa) et Verharr et al. (2011). Au niveau des crues d’été et d’ automne, bien que le niveau d’incertitude reste élevé, les crues d’une récurrence de 20 ans devraient augmenter sur l’ensemble du Québec et ceux d’une récurrence de 2 ans devraient augmenter dans la partie nord du Québec méridional (CEHQ, 2013, 2015).
CHAPITRE 1 INTRODUCTION |