L’introduction du modèle de point chaud, il y a plus de 40 ans (Wilson 1963), a joué un rôle important dans les sciences de la Terre modernes. Utilisée initialement pour expliquer le volcanisme des chaînes d’îles océaniques (Morgan 1971), la notion de plume mantellique est maintenant considérée comme un phénomène majeur dans les processus de refroidissement d’une planète (Davies 1999). La cartographie détaillée de la surface de Mars et Vénus lors des missions Pathfinder et Magellan a permis d’observer des images montrant la présence de volcans gigantesques, rifts et bombements lithosphériques. À l’aide des données géophysiques et géomorphologiques, des chercheurs ont démontré que ces phénomènes sont l’expression superficielle de plumes manteîliques tant sur Mars (Fuller et Head 2003; Redmond et King 2004) que sur Vénus (Stofan et al. 1992; Krassilnikov 2002; Emst et Desnoyer 2003). La nature mantellique des magmas produits dans les points chauds introduit un débat quant à la source du réservoir. Plusieurs idées s’affrontent et le débat persiste actuellement. Certains soutiennent une remontée mantellique provenant de la limite manteau inférieur-noyau exteme (Cambell et Griffiths 1990; Thompson et Tackley 1998), d’autres de la zone de transition entre le manteau inférieur et supérieur (White et Mckenzie 1989) ou encore du manteau supérieur (Anderson 1995; King et Anderson 1998; Sheth 1999; King 2007).
Des études sur les isotopes d’hélium, de néon et d’osmium (Walker et al. 1995; Farley et al. 1998) appuient l’hypothèse d’une source très profonde provenant du noyau exteme. Cependant, les travaux récents de Schersten et al. (2004), montrent, par les isotopes de tungstène, l’absence de contribution du noyau externe dans les plumes manteîliques et suggèrent plutôt un apport provenant d’une croûte recyclée. Emst et Desnoyers (2003) arrivent à la même conclusion avec les isotopes d’hafhium alors que différents modèles, s’appuyant sur des mécanismes de fracturation lithosphérique, de contrôles structuraux et d’instabilités convectives peu profonde, supportent une origine purement asthénosphérique (Sykes 1978; McHone 1996, 2000; Anderson 2000; Bailey et Woolley 2005). Courtilïot et al.
(2003) proposent pour leur part un modèle unificateur comportant trois différents types de points chauds issus de trois sources de différentes profondeurs.
L’intérêt de l’étude des points chauds n’est pas seulement d’ordre scientifique mais aussi économique. Le magmatisme alcalin qu’ils produisent, présente un grand intérêt économique. Il est responsable de nombreux gisements tels que diamants, niobium, uranium, terres rares, etc. (Pirajno 2004). La compréhension de leur mode de mise en place revêt donc une importance toute aussi significative que leur source mantellique. On sait que la distribution géographique, la répartition dans le temps ainsi que l’association avec certains phénomènes géologiques ne sont pas laissées au hasard dans l’étude des intrusions alcalines (Woolley 1989). Ces derniers se trouvent généralement associés aux tracés de points chauds, sutures de plaques, zones de rifting, bordures de craton, points triples, accidents structuraux importants, etc. Ces zones favorables expliquent d’ailleurs l’aspect « grégaire » des manifestations alcalines. En effet, on les retrouve souvent en amas, alignées ou bien concentrées sur une zone géologique favorable.
L’origine d’un complexe alcalin isolé
II existe cependant quelques cas où l’on retrouve des complexes alcalins isolés, loin de toute évidence de point chaud et dans un environnement géologique qui ne semble pas propice à leur mise en place. Ces phénomènes sont mal compris et constituent un type d’intrusif rare et peu documenté. La problématique est donc de connaître la signification et l’origine d’un complexe alcalin isolé. Quels sont les processus de mise en place? Pourquoi se trouve-t-il à cet endroit précis? Quelle est l’origine et l’évolution des magmas? À quel type de point chaud est apparenté ce phénomène (superficiel, intermédiaire, profond)? Répondre à ces questions permettrait de mieux comprendre un certain type de point chaud et entraînerait des conséquences sur la connaissance actuelle de la géodynamique du manteau. La résolution de cette problématique pourrait aussi se reporter aux planètes teîluriques telles Mars et Vénus, qui ne possèdent pas de tectonique des plaques et donc peu de caractères propres aux modèles actuellement acceptés sur Terre.
L’étude du Richat permet également d’inclure une sous-problématique liée à l’étude des complexes alcalins. Initialement interprétée comme le résultat d’un impact météoritique, la structure du Richat, et principalement la brèche centrale qu’elle renferme, pose une véritable énigme quant à son origine. Plusieurs chercheurs ont étudié cette structure mais sa compréhension demeure faible (Destombes et Plote 1962; Bardossy et ai. 1963; Cailleux et al. 1964; Dietz et al. 1969; Fudali, 1973; Monod et Pomerol, 1973; Boussaroque 1975; Woolley et al. 1984). Les phénomènes de dissolution et de fracturation au sommet d’un pluton alcalin sont rarement documentés et ce dôme structural, avec sa brèche centrale et sa surface d’érosion, constitue un endroit extraordinaire pour étudier ces phénomènes. De plus, le Richat présente une rare exposition de phénomènes magmatiques peu profonds où se côtoies des roches intrusives et extrusives indiquant un contraste d’érosion et une mécanique particulière de mise en place. Cette exposition fournie un aperçu unique de l’évolution dynamique volcanique et magmatique d’un complexe alcalin. Résoudre l’énigme du Richat permettrait de mieux comprendre ces structures.
Le contexte géodynamique péri-Atiantique
Des datations sur les carbonatites du Richat ont donné un âge Crétacé (99 Ma) à cet épisode magmatique (Poupeau et al. 1996). La période de mise en place du Richat se situe donc en plein cœur de l’ouverture de l’Océan Atlantique, au moment de la séparation finale entre la plaque africaine et sud-américaine vers -10 0 Ma (Mascle et al. 1988; Nûmberg et Muller 1991; Torsvik et al. 2006). Cette période, mid-Crétacé, est également le théâtre d’un puise important de l’activité magmatique alcaline sur les bordures continentales de la zone péri-Atlantique. En effet, l’intrusion simultanée et soudaine d’une multitude de complexes alcalins sur les marges continentales éloignées de l’est de l’Amérique du Nord, d’Iberia, de l’Afrique de l’Ouest, de même que sur les marges accolées de l’Afrique et de l’Amérique du Sud est reportée par plusieurs auteurs de travaux de synthèse (Marsh 1973; McHone 2000; Woolley 1987; 1989; 2001).
Cependant, les études traitant de ces événements alcalins font l’objet d’interprétations locales où chaque groupement de roches alcalines (le terme «district alcalin » sera utilisé ici) est abordé de façon indépendante (Foland et Faul 1977; Rock 1982; Eby 1984; Rahaman et al. 1984; Byerly 1991; Comin-Chiaramonti et Gomes 1996; Baksi 1997; Bernard-Griffiths et al. 1997; Alberti et al. 1999; Gomes et al. 2004; et autres). Cette approche conduit généralement à l’association directe entre l’éruption d’un district alcalin et le passage audessus d’une plume mantellique et conséquemment, à invoquer une multitude de points chauds indépendants et répartis un peu partout autour de l’Océan Atlantique au Crétacé. Toutes ces manifestations de plumes mantelliques s’inscrivent alors au sein d’une période définie comme un grand événement de superplume {Superplume Event; 120-80 Ma; Larson, 1991).
Lorsque l’on considère l’étendue de la zone, la multitude de points chauds à invoquer et le court laps de temps enjeu, on peut s’interroger sur la nécessité de faire appel à ce modèle pour expliquer les différentes manifestations péri-Atlantique de ce puise alcalin et si les conclusions seraient les mêmes en utilisant une approche plus globale. Il y a donc lieu de se poser certaines questions : y a-t-il un lien entre les différents événements dispersés sur la bordure Atlantique? Est-ce que le modèle classique du point chaud issu d’une plume mantellique profonde est aussi convaincant en traitant tous les intrusifs globalement? L’ouverture de l’Atlantique peut-elle avoir joué un rôle? Bref, que s’est-t-il passé aux environs de 100 Ma?
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