Le changement global
Le cycle global du carbone
Le cycle global du carbone peut être schématisé par de nombreux réservoirs de stockage reliés entre-eux par des flux d’échange (Figure 1.2). Des mécanismes de contrôle régulent ces flux et stabilisent le cycle du carbone. Aussi, les flux échangés entre les trois principaux réservoirs superficiels que sont l’atmosphère, la biosphère terrestre et les sols, et l’océan avec les sédiments, peuvent être considérés, avant toute perturbation anthropique, comme équilibrés du fait de l’état relativement stationnaire des concentrations en CO2 atmosphérique. Mais, comme l’indiquent les flèches rouges sur la Figure 1.2, les forçages anthropiques induisent un déséquilibre de ces flux. La compréhension du cycle global du carbone et la quantification des flux de carbone entre ces différents réservoirs requiert d’appréhender les différentes échelles de temps associées à ces flux. À des échelles de temps longues (échelle de temps supérieure à 10 000 ans), dans les roches et sédiments, du carbone est stocké sous forme de carbone organique fossile ou de roche carbonatée. Ce carbone, piégé, présente des échanges très faibles et lents avec les autres réservoirs. Ce stockage géologique du carbone à long terme n’est que peu .Le carbone anthropique, noté CANT , réfère à la fraction de carbone inorganique océanique issue du carbone injecté dans l’atmosphère par les activités humaines depuis la révolution industrielle. 20 1 Introduction impacté par les modifications anthropiques des concentrations en CO2 atmosphérique. En revanche, les flux de carbone présentés sur la Figure 1.2 mettent en lumière les événements d’échange rapides (de l’ordre de l’année au millier d’années), et donc impactés par les modifications anthropiques dans l’atmosphère, se produisant entre les différents réservoirs. Figure 1.2 – Schéma simplifié du cycle global du carbone. Les chiffres représentent les stocks de carbone en Pg C et les flux annuels d’échange de carbone en Pg C an−1 (1 Pg C = 1015 g C). Les nombres et les flèches noirs indiquent les stocks de carbone et les flux d’échange estimés pour la période antérieure à l’ère industrielle. Les flèches et les nombres rouges indiquent les flux « anthropiques » annuels en moyenne sur la période 2000-2009. Source : GIEC [2013]. Parmi les trois réservoirs superficiels considérés, l’atmosphère représente le plus petit de ceux-ci avec un stockage de carbone de ∼ 830 Pg C (ce dernier ayant augmenté de près de 40 % depuis le début de l’ère industrielle). La biosphère terrestre et les sols (composés par la végétation, la matière organique séquestrée dans les sols et la litière, et le permafrost) stockent entre 4 000 et 5 500 Pg C. L’océan contient, quant à lui, la plus grande quantité de carbone avec ∼ 40 000 Pg C de carbone qui sont stockés en majorité dans le milieu océanique intermédiaire et profond. Le contenu de ce réservoir est plus de 65 et 8 fois supérieur à ceux des réservoirs atmosphérique et terrestre, respectivement. 21 1 Introduction Avec l’atmosphère, l’océan échange environ 80 Pg de carbone par an (Figure 1.2). Via ces échanges, l’océan contribue à atténuer le réchauffement en diminuant le taux de CO2 émis dans l’atmosphère [GIEC, 2013]. Entre 1750 et 2011, il a été estimé que sur les 555 Pg de carbone anthropique émis vers l’atmosphère, 240 ± 10 Pg C, 160 ± 90 Pg C et 155 ± 30 Pg C avaient été stockés dans l’atmosphère, la biosphère terrestre et l’océan, respectivement [GIEC, 2013]. Également, il a été estimé que pour un flux de 8,9 ± 1,3 Pg C a−1 de CO2 anthropique émis dans l’atmosphère, l’océan global aurait absorbé 2,3 ± 0,7 Pg C a−1 , soit environ 25 % des émissions globales pour la période 1750-2011 (Figure 1.2 ; GIEC [2013]). Ainsi, l’océan joue un rôle clé dans la régulation du CO2 atmosphérique à l’échelle globale à travers un mécanisme d’absorption de CO2 atmosphérique à l’interface air-mer, et le transfert du CO2 absorbé dans les profondeurs océaniques. Ce mécanisme est schématiquement décrit comme la « pompe océanique de carbone ». Cette pompe décrit les processus physique et biologique qui permettent d’établir, de manière concomitante, un gradient vertical de carbone [Sarmiento et Gruber, 2006 ; Volk et Hoffert, 1985]. Comme illustré en Figure 1.3, on distingue la pompe de solubilité de la pompe biologique.
La pompe de solubilité
La pompe physico-chimique, ou pompe de solubilité, décrit les processus inhérents à la solubilité et à la circulation océanique qui permettent l’établissement d’un gradient vertical de carbone inorganique dans l’océan. La circulation thermohaline grande échelle est régie par la plongée, aux hautes latitudes, d’eaux froides et denses vers l’océan profond. La solubilité des gaz dans l’eau augmentant inversement avec la température, les eaux froides de surface aux hautes latitudes permettent de dissoudre plus de CO2. La plongée (ou subduction) des eaux froides, denses et capables de dissoudre de plus grandes quantités de CO2 dans certaines zones océaniques, tel que l’Atlantique Nord par exemple, va permettre de transporter et transférer vers les couches plus profondes de l’océan de grandes quantités de carbone atmosphérique. Ces zones constituent donc des puits de CO2 pour l’atmosphère. Inversement, aux latitudes tropicales et équatoriales ou au niveau des zones d’upwelling (basses latitudes), les remontées (ou obductions) d’eaux sursaturées en CO2 à la surface provoquent un dégagement de CO2 vers l’atmosphère. La pompe physique de solubilité expliquerait 90 % du transfert de carbone hors de la couche de mélange [Levy et al., 2013]. Toutefois, le réchauffement des eaux de surface tend à réduire la solubilité du CO2 et à augmenter la stratification. Ces processus ont pour conséquence une réduction du transfert de CO2 vers l’océan profond [Le Quéré et al., 2010]. D’autre part, les transferts air-mer étant liés aux différences de pression 22 1 Introduction partielle de CO2, l’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique (liée à l’activité anthropique) pourrait conduire à un renforcement du puits de carbone dans les zones puits de CO2, et inversement à une atténuation de la libération du CO2 dans les zones sources.
La pompe biologique
La pompe biologique de carbone réfère aux processus de transfert de carbone, de la surface vers le fond, par le biais de la production primaire. La photosynthèse du phytoplancton s’effectue dans l’océan de surface et transforme le carbone inorganique dissous en carbone organique particulaire et dissous. Ce processus dépend de facteurs tels que la disponibilité en lumière, la température, la profondeur de la couche mélangée, la disponibilité en ressource nutritive mais aussi la pression induite par les organismes environnants et la composition de la communauté. Une partie de la matière organique formée est exportée de la couche euphotique 3 vers le fond où elle est reminéralisée en carbone inorganique dissous par des organismes hétérotrophes : c’est la « soft-tissue pump » [Bishop, 1989]. Une partie de la matière organique produite en surface est transférée vers l’océan profond sous forme de carbone organique dissous et particulaire (tel que les pelotes fécales, les détritus planctoniques ou les cellules planctoniques) ce qui permet de transférer une partie du carbone inorganique de la surface vers le fond (Figure 3. La couche euphotique est définie comme la zone de surface des océans où la lumière pénètre, permettant ainsi aux processus photosynthètiques d’avoir lieu. Introduction 1.3). Ainsi, l’efficacité de la pompe biologique de carbone est relative à la fraction de production primaire exportée depuis la zone euphotique vers l’océan profond. Dans un océan où la pompe biologique ne fonctionnerait plus, aussi appelé théorie du « Strangelove Ocean » [e.g. Hsü et McKenzie, 1985], la concentration atmosphérique en CO2 tendrait à augmenter de près de 200 ppm [Boyd et Hurd, 2009]. Outre les organismes photosynthètiques, des organismes phytoplanctonique et zooplanctonique développent dans l’océan de surface des coquilles et squelettes (aussi appelés « tests ») calcaires formés de carbonate de calcium (CaCO3 ; voir Encadré 2.1). La sécrétion de carbonate de calcium consomme des ions bicarbonates HCO− 3 . Pour chaque molécule de CaCO3 précipitée, deux ions bicarbonates sont consommés et une molécule de CO2 est produite. Ainsi, la formation de CaCO3 va induire une baisse du carbone inorganique total dissous dans le milieu (voir section 2.1.4) et être source de CO2. Ce processus de formation va donc agir contre la pompe de carbone organique précédemment exposée. Pour cette raison, ce mécanisme est appelé « contre-pompe des carbonates » (Figure 1.3). L’importance de la pompe biologique est moindre que celle de la pompe physique de solubilité : seuls 0,2 Pg C de carbone sont exportés annuellement de la surface vers les fonds marins par ces deux processus biologiques. Toutefois, dans les sédiments, ce carbone sera stocké durant plusieurs millénaires [GIEC, 2007].