Les premiers congrès de cinéma

Les premiers congrès de cinéma

D’une mentalité technocratique, industrialisante et universaliste qui cherchait à reproduire, dans sa tentative de conquête du marché extérieur, le modèle cinématographique américain basé sur des productions réalisées quasi entièrement dans les studios, allait émerger un cinéma indépendant, critique de la situation politico-sociale brésilienne et valorisant, au moins initialement, davantage le contenu que la forme du film. En s’inspirant du néo-réalisme italien, ce cinéma indépendant devait produire des films réalistes, tournés presque entièrement en extérieur ou dans des lieux originaux et représenter le peuple brésilien. Par peuple, les défenseurs de ce nouveau cinéma brésilien comprenaient la classe des défavorisés. Mais cette réalité (dans ce qui constituerait par la suite la coutume du cinéma politiquement engagé) « sous-développée devrait être filmée ‘sans déguisements’. Cependant ce ‘portrait’ devrait être, en même temps, véritable et élaboré, en soumettant cette réalité à un traitement intellectuel raffiné, en se transformant en œuvre d’art. Devrait être transposé à l’écran le roman brésilien postérieur au modernisme492». C’est nous qui soulignons afin de mieux démontrer l’aspect légèrement construit de la représentation de cette réalité qui deviendrait l’identité de ce nouveau cinéma. Ainsi, fleurissait au début des années 1950, de manière encore peu organisée, l’idée d’instrumentalisation du cinéma, qui serait mieux conceptualisée vers la fin des années 1950 en devenant par la suite le pilier du théâtre et du cinéma produits au Brésil à partir de la fin des années 1950 et cela jusqu’au coup d’État perpétré par les militaires en 1964. Ce type de cinéma, base du futur cinéma novo, a commencé à prendre forme dans les congrès de cinéma organisés au début des années 1950 à Rio et à São Paulo afin de discuter des problèmes et des voies possibles du cinéma brésilien. Tout d’abord, les participants à ces congrès avaient constaté qu’ils ne pourraient rien faire sans l’aide du gouvernement. Sans une législation protectrice, rien ne pourrait être fait pour renverser la primauté du cinéma qui dominait le marché cinématographique brésilien et, de manière générale, du monde. Parmi les mesures que le gouvernement brésilien pouvait adopter, il y avait l’annulation de certains accords bilatéraux entre le Brésil et les Etats-Unis qui facilitaient l’importation de films étrangers au détriment de la production nationale, la limitation de l’entrée de films américains, la suspension de l’imposition faite par les entreprises américaines de distribution qui obligeaient l’exploitant brésilien à accepter quelques navets en échange d’un bon film, ainsi que l’abrogation de la loi amplement favorable aux entreprises étrangères qui leur permettait d’envoyer jusqu’à 70 % des profits obtenus sur le marché brésilien en dollars achetés au taux officiel par 18,80 cruzeiros (le nom de la monnaie de l’époque), tandis que sur le marché parallèle le taux de change de la monnaie américaine était de 100 cruzeiros493, une différence de plus de 400 %. Une différence qui permettait aux entreprises étrangères d’augmenter leurs recettes affaiblies par un prix d’entrée sous-évalué, ce qui n’arrivait jamais avec le producteur local. Les congrès ont eu un ancêtre dans le symposium organisé par l’Association Paulista de Cinéma (l’APC) entre le 30 août et le 1er septembre 1951 afin de discuter de la voie du cinéma brésilien, mais surtout l’avant-projet de création de l’Instituto Nacional de Cinema (L’Institut National de Cinéma, l’INC) par Alberto Cavalcanti à la demande de Getúlio Vargas. La plupart des participants étant de gauche, liés majoritairement au PCB qui détestait Getúlio Vargas et les populistes, il semblait presque naturel que l’avant-projet fût violemment critiqué. 

Le proto-cinéma novo

Ici nous analyserons quelques films réalisés avant l’émergence du cinéma novo et qui ont servi de modèle aux jeunes cinémanovistes. 

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La fiction

 Nous avons vu comment les congrès et les articles de Nelson Pereira dos Santos et d’Alex Viany, entre autres, pour la revue communiste Fundamentos ont attaqué le cinéma industriel symbolisé par les grands studios et ont ouvert la voie à un cinéma indépendant et  »authentiquement » brésilien très influencé par le néo-réalisme. On croyait à l’époque que seul un système de production indépendant pourrait assurer l’autonomie nécessaire au réalisateur en quête d’une authenticité (qui passait par la représentation critique de la réalité du peuple brésilien) afin qu’il puisse finalement créer une œuvre typiquement brésilienne en totale opposition au cosmopolitisme bourgeois et aliéné, inauthentique, des films commerciaux. Commençait à se mettre en place, de manière progressive et pas encore théorisée, l’idée d’un cinéma indépendant et d’auteur qui aurait une forte influence sur les membres du cinéma novo. L’authenticité expliquée, essayons de voir ce qu’on entendait par cinéma indépendant à l’époque. D’après Maria Rita Galvão, pour être considéré comme producteur indépendant il fallait respecter certaines règles qui n’étaient pas forcément liées à la production cinématographique. D’abord, il fallait avoir une « thématique brésilienne, une vision critique de la société, l’approximation de la réalité quotidienne de l’homme brésilien» et, « mélangées aux problèmes de production», il y avait 316 aussi « les questions d’art et de culture, de technique et de langage, de création auteuriste, et la brésilité508». Mais pour Nelson Pereira dos Santos, ainsi que pour les autres sympathisants du PCB qui militaient pour le cinéma, le mot indépendant avait un sens plus large qui dépassait le sens cinématographique. Essentiellement d’ordre politique et anti-impérialiste, lié à la situation de dépendance économique du Brésil, le mouvement pour un cinéma indépendant (dont Santos faisait partie) exigeait du gouvernement l’instauration d’un système protectionniste visant à supprimer tous les obstacles au développement et à l’autonomie de l’industrie cinématographique de manière que les productions brésiliennes soient majoritaires sur le marché interne. D’après Santos, « le cinéma brésilien deviendra libre et indépendant le jour où, au lieu d’un film brésilien pour chaque huit programmes étrangers, la proportion sur le marché sera inversée509». Voyons à présent ce que devraient être ces films indépendants. Le contenu devrait être  »typiquement brésilien », ce qui signifie que le film devrait représenter le quotidien du peuple brésilien, celui des plus démunis, de façon critique, de manière à dévoiler la réalité telle qu’elle était (ou telle que les cinéastes la voyaient, la concevaient), avec tous les problèmes que les pauvres vivaient, mais qu’ils étaient incapables de voir dans leur totalité. Cette instrumentalisation du cinéma à travers la représentation du peuple avait une préoccupation aussi solidaire que mercantile. On croyait que c’était la meilleure façon d’établir un dialogue avec le public et conquérir le marché, tout en affirmant pour le cinéma brésilien une identité différente de celle du cinéma commercial. Selon Nelson Pereira dos Santos, « nous avions la certitude que, si le cinéma parvenait à occuper la position d’un instrument culturel, il permettrait une meilleure ‘communication’, jetant les bases d’un cinéma brésilien tant comme expression d’une culture comme expression d’une économie510 ». Il était clair pour les futurs cinéastes qu’un nouveau cinéma devrait reposer sur une nouvelle forme de production. Et cette nouvelle forme devrait être en totale opposition au modèle américanisé et internationaliste des grands studios de São Paulo qui, sans aucune représentativité culturelle, ne faisaient que singer la réalité en la rendant fausse et aliénante, genre de cinéma que les futurs cinéastes exécraient. 

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