Cours le catholicisme cubain face à Vatican II, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.
Deuxième acte : une Église privée de médias
S’il y a eu un secteur où le catholicisme cubain fut fortement touché. Ce fut dans le domaine des médias. L’interdiction d’utiliser les moyens de communication réduisit considérablement la capacité d’interaction de l’Église avec le peuple. Cela eut une incidence fortement négative sur l’information concernant Vatican II.
Comme nous l’avons dit précédemment, dans les années 60, l’Église maintient une activité intense en ce qui concerne sa présence dans les médias369. L’Église catholique possédait un vaste éventail de publications et sa participation dans des programmes de télévisions était intense370. En plus de cela, d’autres moyens de communications constituaient d’importantes plateformes pour faire entendre la voix du catholicisme cubain. La revue « Bohemia », la principale publication de l’île et le journal « El entre motion et tradition, Montréal, Fides, 2004, p. 27. Par contre, Lénine aborde la question dans une perspective plus profonde : « Passons maintenant aux conditions qui ont donné lieu, en Occident, à l’interprétation opportuniste de la thèse « la religion est une affaire privée ». Évidemment, il y a là l’influence de causes générales qui enfantent l’opportunisme en général, comme de sacrifier les intérêts fondamentaux du mouvement ouvrier à des avantages momentanés. Le parti du prolétariat exige que l’État proclame la religion affaire privée, sans pour cela le moins du monde considérer comme une « affaire privée » la lutte contre l’opium du peuple, la lutte contre les superstitions religieuses, etc. Les opportunistes déforment les choses de façon à faire croire que le parti social-démocrate tenait la religion pour une affaire privée ! » Vladimir Lénine, De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1909/05/vil19090513.htm], (consulté le 1er juin 2016).
Diario de la Marina » en constituent de bons exemples. L’article « Évolution de la pensée catholique à Cuba, des origines jusqu’à 1959 », écrit par le Vicaire de l’archidiocèse de La havane, Monseigneur Carlos Manuel de Céspedes, souligne le rôle des publications catholiques comme catalyseur des idées catholiques à Cuba. De cet article, nous reproduisons les fragments suivants :
Je ne veux pas omettre de mentionner trois publications qui, dans ce XXe siècle, dans la période antérieure à 1959, ont été, chacune selon leur propre profil, l’expression de la présence constante de la pensée catholique dans des domaines différents. En ce qui concerne le fait de donner témoignage de vie de la pensée catholique, elles ne portent pas le titre d’exclusivité, mais, selon moi, elles sont les plus significatives et celles qui, dans leur propre domaine, ont plus d’espace. Je fais allusion à Orígenes, La Quincena et à Guía de Cine371.
Bien que les revues Orígenes et Guía de Cine traitent davantage de questions concernant la culture, le revue La Quincena orienta le contenu de ses articles vers le social. Pour citer Monseigneur Carlos M. de Céspedes :
[…] cette revue fut la meilleure fenêtre sur la modernité catholique pour notre Église dans ce siècle. N’oublions pas que notre Église a toujours lutté contre l’enfermement de l’intégrisme catholique propre du national-catholicisme espagnol. Les prêtres vasques de La Quincena et les laïcs qui bougent autour d’eux devinrent un vaccin contre ce virus-là dans certains espaces de notre Église. Malheureusement, ce ne sont pas tous les catholiques cubains qui furent immunisés. J’ose affirmer que peu de réalités comme La Quincena, ont facilité la réception du Vatican II dans les secteurs les plus instruits de notre Église, ainsi que la compréhension la plus correcte du mouvement révolutionnaire marxiste et l’adoption d’une attitude évangélique de dialogue par rapport à lui. Les affrontements violents et stériles, survenus à l’intérieur de l’Église, sont venus d’autres secteurs, mais jamais des cercles de La Quincena. Non plus de ceux d’Origenes, soit dit en passant372.
Monseigneur Carlos M. de Cépedes, ordonné prêtre en 1963 et recteur du Séminaire « El Buen Pastor » jusqu’à sa confiscation au profit du MINFAR (Ministère des forces armées) en 1966373, reconnait la revue La Quincena comme un véhicule de la réception de Vatican II374. Or, quel a été le futur de cette si importante revue, et de bien d’autres publications ?
La revue La Quincena, qui n’est pas une publication officielle du catholicisme cubain, devint l’une des revues les plus lues à cause de l’exceptionnelle qualité des auteurs qui y publiaient. Compte tenu de cette circonstance, elle deviendra sinon la voix officielle du catholicisme de l’époque, la voix la plus entendue dans le contexte de l’époque. La revue se transformera en une source importante de réflexion sur divers problèmes touchant la nation, mais aussi, pour divulguer l’interprétation faite par l’Église des événements y ayant lieu. Des trois revues susmentionnées, il appartenait à la Quincena, grâce à son profil socio-humanistique, de se placer à l’avant-garde dans le défi d’interpréter le moment à la lumière de la pensée catholique.
Selon le co-fondateur de la revue, Manuel Fernandez Santalices375 (décédé en 2013), la revue traversera plusieurs crises jusqu’à sa disparition, survenue en 1961. Si nous analysons la raison pour laquelle la revue est apparue, nous comprendrons pourquoi, dans les années 1959 et 1960, la publication fut victime d’un feu croisé. La revue fut la troisième rénovation d’une publication éditée par les prêtres franciscains : San Antonio (1910 – 1938), Semanario Católico (1938 – 1955) et finalement La Quincena (1955 – 1961)376. Sa devise : une réponse chrétienne aux problèmes d’aujourd’hui, l’amena à affronter tant les critiques du catholicisme le plus conservateur que le gouvernement révolutionnaire377. En 1960, la hiérarchie jésuite à Cuba interdit à son directeur de prêcher. Par cette action il sera écarté de la direction de la revue378. Cependant, le déclin final de la revue sera causé par l’affrontement avec le gouvernement. À la suite d’un affrontement verbal avec le journal porte-parole des révolutionnaires Lunes de revolución (Lundi de révolution), le siège de la revue sera pris par les milices révolutionnaires en janvier 1961379.
Dans la même période, d’autres publications et journaux furent fermés. En janvier 1959, disparaissent les journaux soutenant la dictature de Fulgencio Batista380, en même temps en apparaissent d’autres à caractère éminemment politique créés dans les imprimeries du nouveau gouvernement. Ainsi, nous pourrions mentionner : Verde olivo (revue) ; Combate (revue) ; INRA (revue) ; Cuba socialista (revue). Dans le même sens, les maisons éditoriales soviétiques Raduga, Progress et Mir envahissent pour la première fois le spectre de la littérature scientifico-éducative de l’île. Quelques années plus tard s’ajouteront des revues soviétiques telles qu’Union soviétique, Nouveautés de Moscow, La femme soviétique et Sputnik, cette dernière considérée comme étant la version soviétique du Reader’s Digest.
La clôture de la revue La Quincena, la plus importante du spectre catholique de la république, ne constitue pas un fait isolé. Elle répond à une politique bien pensée de nationalisation des médias visant deux objectifs, l’un à court terme ayant pour but de se débarrasser des réactions critiques soulevées par les abus et les violations commises par le gouvernement communiste, et l’autre à long terme visant à éliminer toute possibilité de communication et de dialogue entre les autres institutions porteuses de pensées et d’idées autres que celles adoptées de manière officielle par le gouvernement et la société ; autrement dit, rendre la communication avec le peuple un monopole exclusif de l’État communiste. À mesure que disparaissent une grande variété de revues, portant sur une diversité de questions sociales, économiques, politiques, mais aussi sur la mode, et bien d’autres sujets, en apparaissent d’autres monopolisées par le contenu politique. Selon Abel R. Castro Figueroa : « Tous les moyens de communication et d’enseignement étaient entre les mains de l’État et ils exprimaient la position du gouvernement concernant toutes les questions. Il n’y avait plus d’autre option informative ni interprétative des faits, que ce soit national ou international »381.
La politique éditoriale tombe progressivement entre les mains du gouvernement, et celui-ci lui rend son bras idéologique. Dans le champ des médias, le catholicisme se vit privé de toute façon de communiquer avec le peuple.
À partir de ce moment-ci il ne subsiste que, comme le dit la chanson populaire, « une lumière dans l’obscurité » de la presse catholique cubaine, la populaire petite feuille de Vida Cristiana, fondée à Sancti Spiritus, en 1962 qui rapidement deviendra une publication nationale. Désormais seuls, ses responsables connaissent bien les difficultés pour la publier dimanche après dimanche.
C’est l’époque des bulletins dans les paroisses et congrégations religieuses ; des pastorales spécifiques ; des ronéos, des bulletins tachés par l’encre inventée; et des feuilles de papier trouvées, seul Dieu connaît par quels moyens. Époque heureuse où on faisait beaucoup avec très peu de ressources. Époque où tout était très bien fait, car le comment n’importait pas, mais le fait en lui-même382.
Parallèlement, les programmes catholiques présentés dans les chaînes de télévision seront fermés. Ainsi, des programmes tels que « Un message pour tous », émis par la CMQ; « Pour un monde meilleur », dirigé par la Agrupación católica universitaria; et bien d’autres de l’intérieur du pays, disparaissent de la télévision nationale jusqu’aujourd’hui383.
Troisième acte : une Église persécutée
Un autre élément qui affaiblira considérablement la capacité du catholicisme de s’impliquer plus activement dans le concile et rendra la réception et mise en œuvre un fait plus fécond sera la dispersion dont un nombre important d’évêques, de prêtres et de religieux en général feront l’objet. Cette dispersion sera conditionnée par le poids de l’État communiste sur les institutions catholiques, qui cherchera à réduire par n’importe quel moyen l’influence du catholicisme dans la nouvelle société en formation. Les façons pour y parvenir seront diverses. Le gouvernement utilisa les méthodes les plus discrètes jusqu’aux plus grossières. Cela constitue l’un des plus obscurs passages de l’histoire de Cuba communiste. Le gouvernement, très conscient de l’utilisation des méthodes de persécution contraires aux principes des droits de l’homme maintint, dans le plus grand secret les opérations contre les églises, aujourd’hui, toute l’information concernant cette époque est maintenue sous la plus stricte surveillance de l’État aux archives du Conseil d’État. En fin de compte, le gouvernement d’hier est le même qu’aujourd’hui384, et le fait que cette information soit dévoilée au public peut ouvrir une boîte de Pandore.
La campagne contre l’Église s’est effectuée sous la supervision des spécialistes soviétiques, d’origine espagnole385. À la suite de la visite du premier ministre de l’URSS Anastas Mikoyan, 120 agents du KGB arrivent à La Havane sous les ordres du colonel Ulianov386. Selon le chercheur et spécialiste cubain Pablo M. Alfonso, en citant Juan Vives, il s’agissait de la Division de désinformation et agitation. La division sera chargée de planifier l’itinéraire vers l’élimination de l’influence catholique sur la société cubaine ou d’éliminer le catholicisme de la nation.
Au cours de l’année 1960, le catholicisme cubain a dû faire face à une tentative dangereuse de division. Cette année-là, le groupe « Avec la croix et la patrie » voit le jour, un groupement séditieux formé majoritairement par des femmes. Les dissidents comptèrent sur l’appui d’un prêtre, German Lence, qui, par la suite, serait écarté du ministère pastoral. Le groupe fut une menace, non pas tant par sa force morale et par son nombre, mais pour l’époque où il est apparu. Les auteurs Abel R. Castro et Pablo M. Alfonso387 signalent que ce groupe fut fomenté par le gouvernement, et pour sa part le vicaire de l’archevêché de La Havane exprime que (Le groupe) n’était soutenu par presque personne ; ni par les révolutionnaires, ni par les catholiques. C’était un mouvement, dès lors, le nom de « Avec la croix et avec la patrie », il regroupait des gens qui maintinrent ouvertement la foi chrétienne tout en maintenant leur attachement à la révolution. Cela a causé beaucoup de problèmes dans certaines zones. Lula Hoffman était le prénom de la femme qui le dirigeait388.
L’année 1961 sera une année critique en ce qui concerne les relations de l’Église catholique avec le gouvernement, non seulement à cause de la montée en puissance de la rhétorique anticatholique du leader de la révolution, élément déjà jugé, mais aussi à cause des conséquences de l’invasion de la Baie des Cochons. En avril 1961, le lendemain de la déclaration du caractère socialiste de la révolution, le sud de la province de Las Villas fut ébranlé par une invasion de Cubains provenant des États-Unis. Ils étaient des Cubains ayant fui aux États-Unis, les uns à cause des expropriations, les autres mécontents du chemin pris par la révolution. L’incident sera retenu par l’histoire comme l’invasion de la Baie des Cochons, et l’historiographie cubaine révolutionnaire lui donnera un nom triomphaliste : la Victoire de Playa Girón. L’attaque avait été planifiée par la CIA et elle fut l’un des projets que le président J. F. Kennedy hérita de son prédécesseur le général Eisenhower. La Brigade d’invasion 2506 fut entraînée en Amérique Centrale et, tout au long de sa course, elle fut escortée par la marine étasunienne.
L’invasion fut un échec, les envahisseurs furent abattus dans les soixante-douze heures qui suivirent le débarquement. Mais, ce qui est le plus important pour notre recherche, parmi les expéditionnaires il y avait trois prêtres389 venus en tant qu’aumôniers; le grand péché capital : tous les trois d’origine espagnole. Dans le sac à dos du père Ismaël de Lugo, les autorités trouvèrent un document plutôt politique que religieux : Appel au peuple chrétien de Cuba390. Le document, qui serait lu après la victoire des expéditionnaires, est en soi un appel aux chrétiens à appuyer l’invasion. Il ressort de cela que les prêtres enrôlés dans l’expédition mirent à l’avant-plan leurs passions politiques, en reléguant au second plan leurs fonctions d’aumôniers. C’est à ce moment que le discours susmentionné de Fidel Castro devient clair en menaçant d’expulser du pays tous les prêtres. Par la voie d’une action passionnée et non pensée, la responsabilité de ces trois prêtres et non de l’Église cubaine, le gouvernement communiste a désormais une bonne excuse pour donner le coup de grâce au catholicisme cubain.
Le 8 septembre, le jour de la fête de la sainte patronne de Cuba, la vierge de la charité du cuivre, le gouvernement interdit la procession traditionnellement effectuée. Le peuple, ne respectant pas l’autorité, prit l’image de la vierge patronne pour l’emmener vers le Palais présidentiel. L’incident provoqua une forte réaction de la part du gouvernement, l’affrontement fut inévitable, le résultat le plus lamentable fut la mort d’un jeune, Armando Socorro, membre du regroupement Jeunesse ouvrière catholique391. La presse officielle divulgua la version selon laquelle les coups de feu étaient partis du clocher de l’église, affirmation refusée à plusieurs reprises par l’Église392. Cet événement, s’ajoutant à l’invasion de la Baie des Cochons, rendit l’année 1961 la plus critique pour l’évolution du catholicisme cubain.
Pendant l’été 1961, le gouvernement entama une campagne contre les prêtres, notamment contre ceux d’origine espagnole, mais d’une façon générale, la campagne toucha d’autres prêtres de provenances différentes, voire d’origine nationale393. En effet, environ 130 prêtres furent subitement expulsés du pays, la plupart étant d’origine espagnole, mais dans le bateau « Marqués de Comillas » il y en avait d’origine cubaine. Selon le professeur Manuel de Sánchez-Paz, l’importante revue du catholicisme espagnol Ecclesia, retint l’événement dans ces termes :
Maintenant, disait l’un des rédacteurs de Ecclesia l’on peut affirmer que l’Espagne a été expulsée de Cuba. Mardi dernier, l’Espagne fut injuriée dans la portion la plus sacrée de ses fils […]. On indiquait, par ailleurs, que la plupart des expulsés étaient d’origine espagnole, mais dans le bateau il y en avait d’origine nationale. Le gouvernement de Castro, à travers son Ministère de relations extérieures, affirme que personne n’a été expulsé de Cuba, mais la réalité est que le G-2, c’est-à-dire la police politique qui équivaut à la NKVD, en visitant le religieux ou le prêtre, lui a dit qu’il n’avait que 5 jours pour abandonner le pays. Par ces jeux, Castro prétend qu’il n’y ait pas de campagne internationale contre lui, et de même, il tente de faire croire la Nonciature et offrir des garanties qu’il ne respecte pas.