Rendre visible le rendre visible : l’évaluation d’impact des entreprises face au défi de la communication
Médiatisation du calcul d’impact et confusions sémantiques
Il n’est possible de répondre à la question des logiques actives et du dispositif de communication autour du calcul d’impact pour les entreprises, objet de ce travail de recherche, sans réellement comprendre le sens que revêtent ces notions et sans saisir les nuances qu’il peut exister entre les différents acteurs et référentiels existants. Cette partie s’attachera donc, dans un premier temps, à dresser un état des lieux des référentiels, méthodes et acteurs impliqués dans le calcul d’impact, après quoi elle tentera d’explorer au mieux la notion-même d’impact, notion centrale et se trouvant au cœur des dispositifs de communication employés par les deux entités dont nous analysons ici l’expression des campagnes de communication. Enfin, un troisième temps sera consacré à l’analyse du traitement médiatique résultant de la parution de ces deux outils. Ce premier temps de notre réflexion tentera de vérifier, ou non, la première hypothèse précédemment exprimée en introduction. A) Engagement des entreprises : y voir plus clair dans la nébuleuse Le lancement des plateformes Impact.gouv et du Tech For Good Score ne constitue pas une révolution à proprement parler pour le monde de l’entreprise au niveau national, européen ou international dans la mesure où de nombreuses entreprises et structures proposent des services similaires. Peut-être que ce lancement constitue davantage la preuve de la prise de conscience de la nécessité grandissante pour la sphère économique française de réaliser une introspection et d’en rendre compte à la société. Cette partie tentera de définir plusieurs notions-clefs qui pourront être mobilisées tout au long de cet exercice, d’expliquer la manière dont fonctionnent ces plateformes et de dresser un panorama des parties prenantes et initiatives existantes de ce secteur.
1) La notion de RSE
La notion de RSE (ou CSR en anglais pour Corporate Social Responsibility) signifie Responsabilité Sociétale des Entreprises. Elle est probablement la plus utilisée et la plus (re)connue lorsqu’il s’agit d’évoquer l’éthique et l’engagement des entreprises. La notion de RSE est apparue dès les années 1960 dans les travaux de chercheurs tels que Howard Bowen ou George Goyder. Elle est définie par la Commission européenne comme « un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »30 et par le Ministère de l’économie comme « la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable »31 . Une norme ISO (ISO 26 000)32 a été établie pour désigner la RSE. Toutefois celle-ci n’établit pas une liste d’exigences comme c’est parfois le cas mais “contient des lignes directrices” 33 à destination des entreprises et des institutions. Elle découpe la notion de RSE en sept grandes thématiques34 : ● la gouvernance de l’organisation ● les droits de l’homme ● les relations et conditions de travail ● l’environnement ● la loyauté des pratiques ● les questions relatives aux consommateurs ● les communautés et le développement local. Pour pouvoir être communiquée largement, la RSE doit être transcrite sous forme d’un rapport à échéance fixe. Ce rapport est d’ailleurs obligatoire pour certaines entreprises depuis la directive européenne du 22 juillet 201435 transposée par les articles L. 225-102-1, et R. 225-104 à R. 225- 105-2 du code de commerce en 2017. Ces entreprises sont celles atteignant 20 millions d’euros de bilan ou 40 millions de chiffre d’affaires et employant 500 personnes pour les sociétés cotées et toutes celles atteignant 100 millions d’euros de bilan ou 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et employant 500 personnes pour les sociétés non cotées. Du point de vue de la communication, la RSE peut être considérée comme « un outil de mobilisation interne permettant d’accroître la fierté d’appartenance, de renforcer la culture d’entreprise, d’augmenter la motivation des salariés et, au final, leur rendement. »36 La RSE tend à devenir un enjeu stratégique important pour les entreprises, du point de vue de la réputation, du marketing, de l’influence (notamment à travers des fondations ou actions caritatives) que de la gestion des risques.
Les critères ESG et la labellisation ISR
La notion d’ESG, est une notion voisine de celle de responsabilité sociétale des entreprises. Plus technique et tangible que celle de RSE, elle renvoie aux « critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance qui sont utilisés pour analyser et évaluer la prise en compte du développement durable et des enjeux de long terme dans la stratégie des entreprises. »37 La mesure ESG est principalement utilisée par les investisseurs et acteurs économiques pour mesurer et désigner l’engagement des entreprises dans la transition sociale et écologique en vue de potentielles opérations. Elle est notamment très utilisée pour l’obtention de la labellisation ISR de fonds à destination des investisseurs. Ces initiales signifient « Investissement Socialement Responsable », ce label qui les porte est une initiative du Ministère de l’Economie et des Finances ayant été instaurée en 2016. Le principal objectif poursuivi par ce label est de faciliter l’identification de produits financiers responsables pour les investisseurs et, ainsi, d’inciter leur développement à grande échelle. La notion d’ESG, nous y reviendrons, est largement employée par les acteurs institutionnels et fréquemment utilisée par la plateforme Impact.gouv développée par le Secrétariat d’Etat à l’économie sociale, solidaire et responsable. Le principal objectif poursuivi par ce label est de faciliter l’identification de produits financiers responsables pour les investisseurs et, ainsi, d’inciter leur développement à grande échelle. 3) Impact.gouv et Tech for Good Score Principal objet d’étude de ce travail de recherche, les plateformes Impact.gouvet Tech For Good Score sont deux plateformes de calcul d’impact dont le fonctionnement est proche, si ce n’est identique. La plateforme gouvernementale Impact.gouv est une plateforme ayant été élaborée par la puissance publique en concertation avec différents acteurs économiques et institutionnels. Elle a été révélée au grand jour par Olivia Grégoire le 27 mai 2021 dans le cadre du salon Change Now, lors de son ouverture. Le référentiel et les indicateurs proposés aux entreprises sont d’ailleurs toujours en discussion et sont susceptibles d’être modifiés, comme l’indique la rubrique « Je propose un nouvel indicateur » de la plateforme, ajoutant à celle-ci un caractère collaboratif, presque horizontal. Cette plateforme est constituée de 46 indicateurs divisés en trois parties : « Environnement », « Social » et « Gouvernance »’. Au moment du lancement de cette plateforme, cent quinze entreprise ont accepté de tester la plateforme et de publier leurs résultats. Cette plateforme a pour objectif d’aider les entreprises à “faire savoir” leurs engagements à leurs parties prenantes et à anticiper au mieux le durcissement de la législation européenne concernant le reporting extra-financier. La plateforme Tech For Good Score du Mouvement Impact France est une plateforme permettant aux entreprises de l’écosystème des nouvelles technologies et du numérique de mesurer leur degré de maturité dans la transition sociale et écologique et d’identifier les domaines dans lesquels ils pourraient encore progresser, et la façon de procéder. Cet outil a été dévoilé par les co-présidents du Mouvement Impact France Eva Sadoun et Jean Moreau lors d’une conférence de presse à l’édition 2021 du salon Viva Tech42. Cet outil est composé de 21 indicateurs43 divisée en deux parties, sélectionnés en concertation avec différents acteurs économiques44, néanmoins aucune proposition de modification n’est faisable en ligne. Au moment du lancement de cette plateforme 4 entreprises45 avaient accepté de tester la plateforme et de publier leurs résultats. Cet outil arrive en amont, et en complément, de la plateforme Impact Score dont la version bêta fut présentée à l’été 2020 et dont la version finale semble disponible sur le site mais n’a pas encore été officiellement46 dévoilée. Contrairement à la plateforme du gouvernement, la plateforme Tech for Good Score a vocation à être transposée dans la réglementation nationale. Elle vise également à éviter les démarches de green washing de la part des acteurs du numérique et des nouvelles technologies (dits acteurs de la « tech ») et à mettre en avant les entreprises les plus vertueuses. Les deux plateformes sont gratuites, en accès libre et nécessitent uniquement une inscription pour être utilisées. Elles ne nécessitent pas l’action ou le contrôle d’un tiers externe ou d’un auditeur car elles fonctionnent sur le modèle déclaratif. Les similitudes flagrantes entre ces deux plateformes pourraient nous pousser à nous demander si celles-ci n’ont pas émergé d’une initiative commune, ou ne sont pas issues d’une source d’inspiration identique. Ces questionnements peuvent peut-être être étayés par certaines déclarations de la Secrétaire d’Etat Olivia Grégoire à propos de la création d’un “Impact Score” aux Universités d’Été de l’Économie de Demain et au Parlement lors de l’examen du projet de loi de finances 2021, disposant notamment des crédits alloués aux entreprises issues des fonds du plan de relance européen.
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