Le cadre du travail des chargé-e-s de mission DLA

Le cadre du travail des chargé-e-s de mission DLA

Les entretiens réalisés, mais aussi plusieurs observations participantes, vont corroborer les propos de ce chargé-e de mission DLA. Comme nous l’avons vu (Cf. Chapitre 2), le DLA est un dispositif structuré autour du métier de chargé-e de mission DLA : les étapes, les attentes, les objectifs semblent clairs malgré l’architecture complexe du dispositif. Mais si tout semble structuré, organisé, réglé, que les procédures à suivre sont définies et formalisées, nous allons constater en pratique que des « marges » importantes sont laissées et investies par les chargé-e-s de mission. Dans ce chapitre il s’agira de comprendre comment le métier se « fait », plus précisément comment les travailleurs du DLA l’adaptent à leur territoire, le mettent en œuvre en fonction de leur structure porteuse, etc. Ici nous nous intéresserons au travail des chargé-e-s de mission, à ce qu’ils ont « à faire ». « Tout se joue dans le travail » (Jeannot, 2005a, p.62) : nous étudierons comment les chargés de mission prennent en charge l’écart entre la prescription « pérenniser l’emploi » et la réalité du terrain. Dans un premier temps nous observons que, malgré les apparences, ce dispositif dont la mise en œuvre est déléguée aux associations est marqué par une grande souplesse (I). Ensuite, que cette grande souplesse offre d’importantes marges aux chargé-e-s de mission (II). Enfin, nous nous attarderons sur une étape dont l’étude se révèle particulièrement intéressante : le comité d’appui technique (III).

Travailler dans une politique publique déléguée et souple

Si le DLA est une politique publique déléguée et structurée où l’État reste central, cette politique publique est aussi « souple ». Nous verrons ici que cette souplesse tient à l’addition de plusieurs particularités : la diversité des configurations politiques et de gouvernance locale du dispositif, la diversité des structures porteuses, à quoi s’ajoute encore l’aspect généraliste du dispositif. « Quand tu arrives dans le DLA, tu penses arriver dans un dispositif homogène, fixé, mais tu te rends compte que ça va dans tous les sens. Vraiment, c’est l’impression que ça m’a donné, j’ai vu une personne qui travaillait sur les TPE et faisait du DLA en parallèle, il y avait un pré-diagnostic qui était mené par l’assistante d’accueil, et en fait il faisait un diagnostic qui me paraissait superficiel pour ensuite présenter une demande au CAT, mais ça faisait chambre d’enregistrement. L’association demandait, remplissait un document administratif, il la rencontrait et si le CAT était d’accord c’était parti. [Dans mon travail tel que je le perçois et le pratique], il y a cette idée de vraiment aller sur le terrain même si rien ne nous y oblige. » (Chargé-e de mission DLA n°4)

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Dans le numéro de la revue Sociologie du travail de 1994 sur « l’énigme du travail », Christophe Dejours, Pascale Molinier (1994) et Jean-Claude Moisdon (1994) convergeaient sur l’idée que dans un contexte de rationalisation et d’autonomisation croissante des activités productives, le travail est moins défini comme ce qu’il y a à faire (qui peut être pris en charge tendanciellement par la machine) que comme ce qui reste à faire, ce qui résiste aux tentatives d’organisation. Dans le DLA, si les grandes orientations, les grands cadres sont bien donnés au niveau national, ceux-ci sont largement adaptés, appropriés par les acteurs de chaque territoire : c’est la condition de l’effectivité du travail. En nous intéressant à l’activité et non pas seulement à la position dans l’organisation comme nous invite à le faire l’approche crozérienne, nous abordons la question des singularités locales, la nécessité des ajustements pour la réalisation du travail. « On travaille tous très différemment d’un territoire à l’autre, ça dépend des pilotes, des structures porteuses, des formations des chargés de mission, ça dépend aussi des moyens alloués à la structure, il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte. On travaille très différemment et après, tout ce qui est France Active, ils ont souvent la double casquette financement et DLA, donc c’est vrai qu’ils n’ont pas la même approche que nous. » (Chargé-e de mission DLA n°6)

Si le dispositif est encadré par des procédures et très structuré administrativement par le biais de circulaires, ce qui est donné à voir institutionnellement n’épuise pas le sujet. Les chargé-e-s de mission travaillent tous différemment d’un territoire à l’autre. Clairement, il est nécessaire de ne pas arrêter l’étude du dispositif à ses représentations, « la division du travail dans la société n’est pas purement technique comme on le suggère souvent » (Hughes, 1951, p. 89), ce serait passer à côté du fait que l’action de chaque DLA est spécifique. Si le DLA se donne à voir dans ses institutions, dans sa structuration, en pratique des « décalages » (Jeannot, 2007), des marges importantes sont laissées, investies par les attentes singulières des divers pilotes, structures porteuses et chargé-e-s de mission. Il existe un décalage entre le travail « prescrit » et le travail « réel » (Rouvery & Tripier, 1973). « Entre ce qui est prescrit (la tâche) et ce qui est accompli (l’activité) il y a toujours un écart qui loin d’être une dérive est une des conditions premières de l’efficacité » (Jeannot, 2005a, p. 62), cet écart permet que le travail se fasse (Reynaud, 1991 ; Segrestin, 2004).

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