Le butadiène et la production fossile industrielle
Le 1,3-butadiène est un monomère de la production de nombreux polymères tels que le polybutadiène, le styrène-butadiène (SBR) et l’acrylonitrile butadiène styrène (ABS) (cf. Figure 1-1). Ceci en fait un cas particulier dans le monde des hydrocarbures C4 car c’est le seul composé à être utilisé exclusivement dans la production pétrochimique quand les autres C4 sont utilisées principalement en tant que carburants [2]. Avec un marché mondial excédant les 12 millions de tonnes par an, le butadiène est une matière première fortement ancrée dans le paysage industriel [3]. Ces nombreuses possibilités pour la synthèse de polymères ont fait de ce monomère un produit phare pour un vaste pan de l’industrie chimique. Il est à noter que le butadiène est principalement valorisé par la synthèse de caoutchouc synthétique destiné à la fabrication de pneus [4]. Le butadiène est majoritairement produit par vapocraquage (> 95%). Or ce procédé a pour objectif principal la production d’éthylène, le butadiène ne constituant qu’un sous-produit. La quantité produite est liée à la nature de la charge utilisée : les charges gaz, plus légères, mènent à de plus faibles rendements en butadiène (cf. Tableau 1-1). Ainsi, la substitution des charges naphta par du gaz de schiste aux Etats-Unis contribue à la diminution de la production de butadiène (cf. Figure 1-2). En effet celui-ci est assez pauvre en hydrocarbures C4+ entraînant une diminution de la sélectivité du procédé en butadiène [7]. Paradoxalement, la demande en butadiène est en pleine expansion sur des marchés en forte évolution tels que la Chine et l’Inde [9]. La combinaison de ces deux phénomènes induit une tension sur le marché du butadiène. De plus, au-delà de ces paramètres directs que sont l’offre et la demande, de nombreux phénomènes (temporels, climatiques, financiers, techniques) rendent son prix extrêmement volatile que ce soit à l’échelle d’un mois [10] ou d’une année (cf. Figure 1-3). Le butadiène connaît ainsi plusieurs cycles avec de véritables flambées des prix [11] (cf. Figure 1-4). Il est donc nécessaire de développer d’autres procédés afin d’éviter une carence en butadiène [12] et de réduire l’incertitude régnant sur le marché du butadiène.
Les procédés alternatifs au vapocraquage
Des procédés autres que le vapocraquage ont été utilisés pour la synthèse de butadiène à partir de matières fossiles : la déshydrogénation réductrice ou oxydante de butane et de butène [4] ou le procédé de Reppe [15]. Ce dernier est un procédé qui consiste à produire du butadiène à parti r d’acétylène et formaldéhyde. Ce procédé allemand est désormais complètement abandonné pour des raisons économiques [16]. Le procédé de déshydrogénation oxydante est plus intéressant que celui de déshydrogénation réductrice principalement en raison des niveaux de conversion plus élevés ce qui réduit les coûts des étapes de purification et de recyclage [17]. Comme dit précédemment, certains composés issus de la biomasse sont de bons candidats pour la synthèse de butadiène. Les principaux d’entre eux sont l’éthanol, les butanols et les butanediols. Les butanols et butanediols présentent l’inconvénient majeur d’être des matières premières produites en quantités limitées [18], à l’inverse de l’éthanol, produit massivement de par le monde. En effet, sa production excède en 2019 les 1,9 millions de barils par jour [19]. Les procédés partant du bioéthanol présentent ainsi de grandes perspectives économiques [20]. Il est à noter que la compétition attendue sur le marché par l’introduction de butadiène biosourcé risque d’entraîner une chute des prix [21].
Deux procédés de formation de butadiène à partir d’éthanol biosourcé ont été développés dans la première moitié du XXe siècle. Le premier dit Lebedev ou procédé en une étape, encore appelé procédé russe, était surtout présent en URSS. Le second dit Ostromislenky ou procédé en deux étapes, encore appelé procédé américain, a été développé par Carbide and Carbon Chemicals Corporation [22]. Ces deux procédés fonctionnent avec un recyclage de la charge non convertie. Le procédé Lebedev est un procédé dont l’exploitation a débuté dans les années 20 en Russie [23]. Il a ensuite connu un pic dans son utilisation et dans la recherche à des fins d’optimisation dans les années 40. Il s’en est suivi une décroissance progressive de son utilisation au profit du procédé de vapocraquage jusqu’à sa disparition [24]. Lebedev [1] a breveté ce procédé en une étape sur un mélange de zinc et d’alumine à 440 °C, avec obtention directe du butadiène avec une sélectivité de 18 % [17]. Depuis, ce procédé a été maintes fois étudié dans la littérature, notamment avec des études focalisées sur la recherche de catalyseurs permettant d’améliorer la sélectivité en butadiène. Ces catalyseurs sont en général basiques de type oxyde mixte Mg-Si (catalyseurs industriels de seconde génération permettant d’atteindre des sélectivités de 60 %) [17, 25, 26, 27, 28], parfois dopés avec un métal oxydé [23, 29, 30, 31] ou des sépiolites [32]. Toutefois d’autres exemples de catalyseurs sont présents dans la littérature. Des études ont été effectuées sur des métaux acides tels que l’oxyde de zinc et d’hafnium sur silice [33] ou encore des mélanges d’oxyde d’acide et de base de type alumine sur oxyde de zinc [34]. Ce procédé est mentionné ici à des fins de contextualisation de la production industrielle du butadiène et ne fait pas partie du périmètre de l’étude.