En 1918, vers la fin de la Première Guerre mondiale, Ernest Hemingway, le fameux écrivain américain, séjournait trois mois dans un hôpital milanais, suite à une blessure, où il rencontra une infirmière américaine dont la personnalité imprégna l’esprit du futur prix Nobel de littérature, à tel point qu’elle lui inspira, quelques années plus tard, l’Adieu aux armes. Ce roman est considéré comme l’un des plus grands succès de l’idiome de Shakespeare au XXe siècle.
Helen Wells et Julie Tatham, deux romancières américaines, publièrent, durant les années quarante et cinquante, une série de vingt-sept romans dont le personnage principal était une infirmière nommée Cherry Ames. Ces romans ont été conçus dans le but de susciter, chez les jeunes américaines, la vocation de ce métier. Nous traversons l’Atlantique, Suzanne Pairault, romancière française, qui s’est servie de son expérience d’infirmière pour écrire Jeunes filles en blanc ; une série de vingt trois romans dédiés aux adolescentes d’une époque, en l’occurrence les années soixante-dix et quatre-vingts, où la profession d’infirmière était encore fraîche et connotait de hautes valeurs morales et humaines.
Toutes ces histoires littéraires en prose, et bien d’autres, nous dépeignent le profil d’un métier de gens dévoués, consciencieux, scrupuleux, disponibles et très appréciés. Or, le vécu de l’infirmière et de l’infirmier n’est pas pour autant aussi fascinant. En fait, ils pâtissaient et pâtissent du stress et de la fatigue au travail. Mais le soignant est souvent le premier à nier sa souffrance, alors que celle-ci est une réalité avérée.
En 1959, Claude Veil, psychiatre français et pionnier de la psychopathologie du travail, décrit dans le Concours Médical les états d’épuisement au travail. L’épuisement est dû à la poursuite d’un effort, notamment professionnel, sous une contrainte externe ou interne.
« Il est le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes, et l’on doit se garder des simplifications abusives. (…) La prévention de l’état d’épuisement tient en trois termes : éducation du public, hygiène du travail, mesures sociales ».
C’est en 1974, aux Etats-Unis, que le psychanalyste allemand Herbert J. Freudenberger utilise pour la première fois le terme de burnout, pour décrire un état que lui-même, ainsi que d’autres jeunes bénévoles travaillant dans une clinique gratuite pour toxicomanes ont vécu.
« Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous l’effet de la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte ».
Il se réfère de façon précise à la définition du dictionnaire : le verbe « to burn out » signifie « échouer, s’user ou devenir épuisé devant une demande trop importante d’énergie, de force ou de ressources. Freudenberger qui est considéré comme « le père spirituel » du syndrome, pense que le burnout est le résultat de la lutte constante que nous menons pour donner un sens à notre vie.
« Au sein de la société actuelle, où les dieux ont été mis à mort, les fantômes exorcisés, les liens avec l’ancienne génération coupés et les relations de voisinage oubliées, il ne reste plus d’éléments sur lesquels on aurait pu s’appuyer. (…) La vieille tradition de la récompense-punition a maintenant disparu et nous ne devons plus compter que sur nous-mêmes pour distinguer le bien du mal ».
A cette époque le but du rêve américain était de faire atteindre à la société un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents. Il fallait travailler énergiquement pour obtenir le confort matériel, le respect de la communauté, une bonne position, du prestige, des louanges, une certaine sécurité et un statut. Le monde a donc commencé à consacrer toute son énergie à construire un monde de perfection. Freudenberger observe que ce sont surtout les gens engagés, ambitieux et idéalistes qui sont sujets au burnout. Ils sont devenus victimes d’une philosophie dans laquelle l’échec n’a plus sa place.
CADRE NOSOLOGIQUE
Termes
Burnout
Ce terme s’origine dans l’aéronautique vers les années quarante, utilisé pour décrire une fusée ou un moteur à réaction cessant de fonctionner en raison de l’épuisement de l’approvisionnement en carburant à cause de la chaleur. La désignation a été adaptée à l’homme par Freudenberger, remplaçant ainsi des termes comme «dépression» et «dépression nerveuse» pour décrire ce phénomène. [2] Et depuis, les dictionnaires anglais (Webster, Oxford, Cambridge…) donnent au mot burnout la signification de la fatigue et du stress chroniques au travail comme l’avait présentée Freudenberger en 1974.
Syndrome d’épuisement professionnel
Aussi vague qu’il peut paraitre pour certains, du fait qu’il semble couvrir tous les effets néfastes du travail sur l’individu, le terme en français qui traduit le mieux « burnout » est certes « épuisement professionnel ». Pour C. Chazarin le terme « usure professionnelle » est préféré à celui d’épuisement.
Définitions
Au fil des années, plusieurs tentatives ont été faites pour définir le burnout. En 1974, Freudenberger propose une première définition : « L’épuisement professionnel est un état causé par l’utilisation excessive de son énergie et de ses ressources, qui provoque un sentiment d’avoir échoué, d’être épuisé ou encore d’être exténué ». [2,8] En 1976, Maslach décrit l’épuisement professionnel des professions d’aide comme « une incapacité d’adaptation de l’intervenant à un niveau de stress émotionnel continu causé par l’environnement de travail ». [9] En 1985, avec North, Freudenberger le présente comme un « processus évolutif ». Une notion importante qui sera par la suite développée par plusieurs auteurs pour dire que c’est un phénomène cyclique évoluant en quatre phases. [10] En 1988, Pines et Aronson le définissent comme « un état d’épuisement physique, émotionnel et mental causé par l’implication à long terme dans des situations qui sont exigeantes émotionnellement». D’après Pines, ces situations exigeantes ne se rencontrent pas seulement au travail, c’est pourquoi elle a également recherché le burnout dans les relations de couples et au cours de conflits politiques. Il peut alors être considéré comme le résultat d’un échec dans la quête existentielle (qui est la relation d’aide pour le soignant). Pour être « consumé », dit-elle, il faut d’abord avoir été enflammé.
Pour Canouï et Mauranges, le burnout est aussi « un phénomène d’ordre existentiel, puisque le soignant recherche l’épanouissement dans la relation avec un être en souffrance. Ce syndrome résulte alors de la relation d’aide qui « tombe malade ». [8] Ces définitions se complètent plus. Elles révèlent la complexité du burnout, qui peut effectivement s’expliquer par plusieurs modèles et résulter de nombreuses causes intriquées. Pour autant, la définition sur laquelle la très grande majorité des chercheurs s’accordent reste celle de Maslach et Jackson, qui conçoit le syndrome complet dans ses trois dimensions fondamentales. Elles définissent le burnout comme « un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de diminution de l’accomplissement personnel qui apparait chez les individus impliqués professionnellement auprès d’autrui ».
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