Le Burkina Faso de 1991 à nos jours : entre stabilité
politique et illusionnisme démocratique
L’émergence des autoritarismes africains
Les régimes autoritaires ne sont pas l’apanage des seuls Etats africains. Ils existent dans d’autres contextes suivant l’évolution historique de ces sociétés. Le s chercheurs en science politique ont pris le soin de les déconstruire afin de mieux saisir ses traits dominants. Tout d’abord, la notion de régime politique renvoie à « L’aménagement constitutionnel du pouvoir et des rapports entre les institutions5 ». Elle se confond très souvent à celle de système politique qui est plus large. Ainsi, « Le système renvoie non seulement à l’ordre constitutionnel et aux formes de gouvernement (donc au régime), mais aussi à l’environnement, c’est-à-dire qu’il inclut les interactions avec les autres composantes de la communauté politique, les formes économiques et les traits culturels 6 ». Le système politique englobe donc le régime politique. Trois grands systèmes ou régimes politiques ont retenu l’attention des analyses ou réflexions scientifiques. Les systèmes totalitaire, autoritaire et démocratique. Les systèmes totalitaire et autoritaire semblent de la même nature car caractérisée par le « pluralisme limité ». Cependant, « La différence entre le système autoritaire et le système totalitaire relève d’une différence de ressort. Les deux systèmes sont généralement très enclins à recourir à la force, mais le système totalitaire utilise aussi des moyens plus subtils7 » pour s’imposer à la société. Il recourt à un verrouillage de la société, les individus étant soumis à un contrôle réel ou virtuel de la police politique, une action est menée sur l’esprit des individus dont le résultat est de rechercher à les discipliner sans recourir nécessairement à la violence physique8 . Le concept d’autoritarisme est conceptualisé par Juan José Linz dans son célèbre ouvrage « Régimes totalitaires et autoritaires9 ». Le concept clé de son analyse repose sur la notion de « pluralisme ». Le critère déterminant du régime autoritaire est le « pluralisme limité ou monisme limité ». Le totalitarisme s’identifie quant à lui au « monisme » et le libéralisme au « pluralisme » avec l’affirmation d’un ensemble de droits et libertés individuels et collectifs. Les régimes autoritaires semblent se positionner entre le régime totalitaire et le régime libéral ou démocratique. Deux dimensions principales se dégagent de sa tentative de définition du régime autoritaire. Un régime autoritaire se caractérise par sa tendance à se fonder soit sur l’apathie et la démobilisation de la population soit sur des mobilisations contrôlées. Les régimes autoritaires sont considérés comme « Des systèmes politiques caractérisés par un pluralisme politique limité, non responsable, dépourvus d’idéologie directrice élaborée mais reposant sur une mentalité caractéristique, sans volonté de mobilisation extensive aussi bien qu’intensive si ce n’est à certains moments de leur développement, et dans lesquels un leader ou parfois un petit groupe exercent un pouvoir dont les limites formelles sont mal définies bien qu’elles soient en fait très prédictibles 11 ». Cette définition linzienne de l’autoritarisme, fait fi du contenu matériel du régime ainsi qualifié, et s’intéresse plutôt à un certain nombre de critères dont le mode d’exercice du pouvoir, son organisation, ses liens avec la société, la nature des systèmes de croyance et le rôle des citoyens dans le processus politique. Aussi, « Le système autoritaire est par essence arbitraire, mais non totalisant. En ce sens, des pans entiers de la société peuvent rester en dehors de l’intrusion du pouvoir autoritaire tant qu’ils n’ont pas d’activité politique que celui-ci perçoit comme menaçante ». Les régimes autoritaires ont connu en Afrique un développement substantiel même si la nature et le degré d’autoritarisme varient d’un régime à l’autre : ainsi, le régime autoritaire de Feu Félix Houphouët Boigny n’est pas le même que celui instauré par Feu Gnassingbé Eyadéma, qui diffère à son tour de celui de Feu Sékou Touré en Guinée, etc.. Le choix de ces régimes autoritaires par les élites politico-militaires des Etats africains nouvellement indépendants est justifié par leur désir de promouvoir l’unité nationale et le développement économique et social. Le pluralisme est dans cette optique considéré comme inapte à promouvoir ces objectifs car caractérisé par la division, l’exacerbation des inégalités et des conflits de classe contraires au projet de construction nationale. L’absence de pluralisme se matérialise par l’instauration de partis uniques dans les États, censés fédérer toutes les sensibilités pour la construction de l’État-nation. Cette perception du développement et de l’édification de la nation, réductrice des libertés, œuvre des dirigeants africains postcoloniaux, trouve une source de compréhension dans la théorie politique.
Les régimes politiques africains dans la théorie politique : une prime aux autoritarismes africains
La compréhension des régimes autoritaires en Afrique peut épouser les idées des théoriciens du développement ou de la modernisation politique qui lient le développement économique à la construction d’un centre politique fort. Cette théorie, comme bien d’autres illustrées ci-dessous, a longtemps servi de prisme d’analyse du politique dans les sociétés du Sud. Elle connait cependant de nombreuses limites dans la compréhension des déterminants du politique dans une Afrique hétérogène. Elle postule en général des pré-conditions politiques, sociales et économiques indispensables à l’instauration de régime démocratique en référence au modèle occidental. La théorie du développement politique a un double objectif : d’une part, proposer des outils permettant de comparer l’Afrique (prise comme un ensemble homogène) au monde occidental et, d’autre part, prédire les chances de l’Afrique de réaliser le développement économique et d’accéder à la démocratie15. Cette approche, empreinte d’une dose culturaliste tendant à donner valeur universelle aux expériences historiques des nations occidentales, cherche à déterminer des lois qui s’appliquent à tous les Etats du monde et explique leurs transformations passées et futures. Elle postule l’identification d’étapes dans le processus de construction d’un Etat moderne qui va dans le sens d’une complexification croissante. La modernité est incarnée par le couple démocratie-marché prégnant dans les sociétés évoluées occidentales. Dans la logique des théories développementalistes, les systèmes politiques africains sont considérés comme au bas de l’échelle du progrès étatique. Les institutions politiques reflètent à leur façon le degré de développement économique et social. Autrement dit, l’édification d’institutions politiques fortes et viables, la construction d’un Etat dont l’autorité politique s’impose à la société globale, sont la résultante du développement économique et social. Les théories du développement politique se sont inspirées des théories économiques du développement en considérant que les sociétés du tiers-monde s’acheminent vers un bien-être inhérent à toute organisation sociale. En effet, la théorie économique a « Contribué à lier la notion de développement à celle d’immanence, à accréditer l’idée que toute société possède en son sein les germes de sa propre croissance ». Cette notion d’immanence qui a suscité celle d’étape a permis à Rostow de dégager cinq étapes favorisant l’épanouissement successif des sociétés : la société traditionnelle, les conditions préalables au démarrage, le démarrage, la marche vers la maturité et l’ère de la consommation de masse 17 . Ainsi, chaque étape ou phase suppose une forme de régime politique et le tiersmonde se retrouve à cette période à la seconde phase (les conditions préalables au démarrage), et c’est seulement la dernière étape qui correspond à une démocratie de type pluraliste avec une implication des masses. Cette théorie économique a inspiré la science politique à l’époque marquée par l’utilisation des concepts d’origine et de fin, de réalisation progressive et d’étape. La théorie développementaliste est considérée comme la théorie du changement du fait de « L’existence de mécanismes internes de changement auxquels obéissent nécessairement toutes les sociétés, quelle que soit leur situation dans l’espace et dans le temps, et qui aboutissent à la réalisation finale d’un modèle donné de société, déjà présent en germes en tout point du globe18 ». En somme, pour les tenants du développement politique, il existe « Une corrélation entre indices de développement économiques et indices de concurrence politique19 ». En clair, un régime politique démocratique est considéré comme le corollaire des économies industrialisées à hauts revenus, des économies capitalistes. L’autoritarisme est perçu comme une étape dans cette évolution institutionnelle et politique vers l’Etat moderne : la dictature est un instrument de modernisation de l’Etat20. Empreinte d’une dose d’ethnocentrisme, car fortement liée à l’évolution des contextes politiques en Occident, cette théorie a implicitement justifié l’émergence de régimes autoritaires en Afrique comme une étape de l’évolution vers le couple développement économique et social/démocratie pluraliste. La théorie du développement politique trouve un prolongement dans le modèle explicatif centre/périphérie avec la construction de l’Etat en Occident. Elle partage la même vision d’autonomisation politique dans l’analyse du processus d’étatisation en Afrique. Ces théories de la modernisation et du développement politique, préexistantes aux indépendances africaines, sont instrumentalisées pour justifier l’instauration des autoritarismes dans la plupart des sociétés africaines. Pour les théories développementalistes, la nature autoritaire des régimes politiques en vogue dans les Etats africains entre 1970 et 1980 peut contribuer au développement économique de ces pays et aboutir de façon progressive vers un élargissement des libertés, vers plus de droits politiques, vers la démocratie pluraliste. Cependant, il n’y a pas de lien étroit entre le développement d’un centre politique fort et le développement économique et social. L’évolution ultérieure des Etats africains, sur les plans politiques et économiques, exige de nuancer cette idée. La théorie de la dépendance constitue une critique d’inspiration marxiste adressée à la théorie de la modernisation politique ou du développement politique. Pour celle-ci, le sous-développement des Etats africains ne s’explique pas en termes de retard culturel mais d’organisation structurelle de l’économie mondiale. Si ces Etats demeurent dans un état de sous-développement chronique, c’est parce que les Etats occidentaux les maintiennent dans un état de dépendance économique, politique et technologique, via des échanges inégaux, historiquement instaurés par l’impérialisme et le colonialisme. La théorie de la dépendance « Considère le passé colonial comme la manifestation première de l’impérialisme et d’un redéploiement du capitalisme européen au-delà de sa sphère géographique originelle. L’assujettissement des sociétés africaines obéit ainsi prioritairement à une logique économique imposée par l’extérieur et qui participe de la domination du Nord sur le Sud21 ». Cependant, cette analyse est marquée par un certain déterminisme économique qui masque la complexité des sociétés et systèmes politiques africains et nie toute autonomie du politique. De plus, l’analyse ne prend pas du tout en compte la diversité des Etats africains : la multiplicité des héritages coloniaux et postcoloniaux et les singularités historiques. Cette théorie nie également toute autonomie aux sociétés africaines et les considère toutes comme passives en ce sens que l’accent est mis sur l’influence des facteurs internationaux, sur la formation et la consolidation des régimes et leur transition. Les théories du développement politique ont fait l’objet de critiques. L’évolution des sociétés du tiers-monde, surtout celles de l’Afrique subsaharienne, semble avoir mis à nu les limites de cette théorie, car l’évolution de ces sociétés ne s’est pas déroulée de manière linéaire obéissant à un certain déterminisme. En somme, c’est l’échec de l’ensemble des théories qui ont mis l’accent sur l’existence de pré-conditions à la démocratie. Dans la mesure où l’évolution politique n’est pas linéaire, une situation socio-économique favorable n’est pas un 21 Consulter : http://nouvellesociologie.over-blog.org/article-la-politique-du-ventre-de-jean-fran-ois-bayart79493938.html; Voir dans la même logique de compréhension de cette théorie, Mamoudou Gazibo, Introduction à la politique africaine, op. cit., p.44-45 ; également Samir Amin, Le développement inégal : essai sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris, Edition de Minuit, 1978 ; Samir Amin, La faillite du développement en Afrique et dans le Tiers-monde : une analyse politique, Paris, L’Harmattan, 1989 ; NATIELSE Kouléga Julien | Thèse de science politique | 2013 20 pré-requis de la démocratie. Les transitions politiques qu’a connues le monde au cours des dernières années démontrent l’inapplicabilité de cette thèse surtout dans les Etats de l’Afrique subsaharienne. Le passage progressif à la démocratie ne constitue pas une réalité dans les sociétés africaines post-transition. En effet, le développement économique et l’édification de l’État-nation tellement recherchés n’ont été qu’un leurre dans les espaces africains au Sud du Sahara. Les États sont sortis de cet épisode autoritaire plus que jamais endettés économiquement et divisés sur le plan social avec l’aggravation des clivages sociaux marqués par les conflits ethnico-religieux. Le modèle autoritaire considéré par les théories du développement politique et de la modernisation politique comme une étape possible vers l’ouverture démocratique a produit des effets contraires et l’Etat africain a montré toute son incapacité à promouvoir le développement et l’unité nationale. Face à l’échec de l’Etat africain, émergent d’autres tentatives d’explication et de compréhension des déterminants du politique, des relations de pouvoir en Afrique avec les écrits des africanistes. L’essentiel de leur théorie tourne autour de la notion de « patrimonialisme ou de néopatrimonialisme».
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