L’atteinte en droit penal

La notion d’atteinte en droit pénal n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie, sans doute parce qu’on la considère comme évidente. Pourtant, il n’en est rien.

Il faut partir du constat que l’atteinte est une notion souvent utilisée par la doctrine, ainsi que par le législateur, sans que l’on en connaisse réellement le sens. Dans le code pénal d’abord, on distingue trois types d’atteintes : les atteintes à la personne humaine, les atteintes aux biens, et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et à l’autorité de l’Etat. L’atteinte est ici un « terme générique permettant, dans la classification légale des infractions, de regrouper les crimes et délits par catégorie, en spécifiant, pour chacune, ce à quoi portent préjudice les infractions qui y appartiennent » . L’atteinte ainsi visée, dans un sens très large, ne désigne rien d’autre que l’infraction elle-même. Si on prend l’exemple des atteintes à la personne humaine, cela comprend les atteintes à la vie, les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne, les atteintes aux libertés de la personne, à sa dignité, etc. Dans la doctrine ensuite, les auteurs parlent d’« atteinte à une valeur sociale essentielle », d’« atteinte à un intérêt pénalement protégé », ou encore de « trouble social », de « dommage », sans que l’on sache si toutes ces notions sont des synonymes ou non. Pour qu’elle ait un intérêt, il est nécessaire de cerner la notion d’atteinte avec davantage de précision.

La plupart des infractions provoquent un résultat. Ce résultat, qui commande la consommation des infractions dites « matérielles », se confond avec ce que l’ancien Code pénal appelait quelquefois « les suites » ou « les effets » de l’infraction, et que les pénalistes du XIXe siècle appelaient « le mal du délit ». La consommation d’une infraction matérielle n’est effective que si elle a produit le résultat spécifié parmi les éléments constitutifs légaux du fait incriminé. Le résultat apparaît comme une atteinte qui est la conséquence du comportement délictueux. Reste à savoir quel est le contenu du résultat pénal.

Si la définition juridique de l’infraction a soulevé des difficultés, il en est de même de la notion de résultat. D’abord, dans une conception objective de l’infraction, l’acte criminel est une force qui tend à une modification du monde extérieur. La doctrine française s’est inspirée des réflexions des auteurs étrangers. Le pénaliste allemand VON LISZT a décrit l’infraction comme un « acte » qui se définit lui-même comme « le fait volontaire de causer ou ne pas empêcher un changement dans le monde extérieur » . Ce changement dans le monde extérieur est le résultat. Il s’agit d’une conception du résultat particulièrement extensive. C’est pourquoi l’auteur distingue le résultat immédiat du résultat éloigné, seul le résultat immédiat devant être pris en considération par le législateur. Parmi la doctrine classique française, R. GARRAUD a repris l’analyse faite par VON LISZT. « L’infraction, considérée dans sa matérialité, suppose un acte, c’est-à-dire le fait volontaire, de la part d’un individu, de causer ou de ne pas empêcher un changement dans le monde extérieur » . Le résultat est « dans le monde extérieur, un changement subi par les hommes ou par les choses » . Dans la doctrine contemporaine également, certains auteurs se sont inspirés de cette notion de modification du monde extérieur. On peut citer R. MERLE qui, s’interrogeant sur le sens à donner au terme de résultat, a affirmé qu’« il peut résulter d’un fait deux séries de conséquences : des conséquences primaires et constantes qui se résument dans une modification du monde extérieur ; et des conséquences secondaires et accidentelles qui consistent dans la production d’un dommage ou d’un préjudice » . Quant à P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, ils définissent ce qu’ils appellent le « résultat matériel de l’incrimination » comme « la modification du monde extérieur qui résulte de l’acte matériel prohibé » . Ensuite, dans une conception subjective de l’infraction, l’infraction est une activité criminelle qui porte atteinte à certaines valeurs sociales. Toute incrimination est en effet conçue en fonction d’une valeur sociale jugée digne d’être protégée. La mise en cause d’une valeur sociale occasionne un trouble social qui justifie l’intervention du droit pénal. Autrement dit, le résultat pénal est le trouble social occasionné par une action imputable qui porte atteinte à une valeur sociale protégée.

Toutefois, selon une théorie moderne du résultat, le résultat en matière pénale n’est pas une notion unique mais une entité revêtant des formes diverses. C’est pourquoi il ne faudrait plus parler « du » résultat mais « des » résultats . Ce qui est certain, c’est que le résultat pénal est, en principe, une condition de la consommation de l’infraction, c’est-à-dire que l’atteinte est un élément constitutif de l’infraction .

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Les résultats de la théorie moderne

Il s’agit, dans ce premier chapitre, d’observer que l’atteinte est le résultat pénal de l’infraction. Selon une théorie moderne, le résultat revêt des formes diverses qu’il est nécessaire d’étudier , mais en réalité, l’intérêt de la distinction peut paraître discutable .

Il ne s’agit pas ici de faire la synthèse de toutes les positions doctrinales des tenants de la théorie moderne « des » résultats, mais simplement de constater qu’il existe différentes formes de résultat, celles-ci pouvant varier d’un auteur à l’autre.

Il existe un résultat sur lequel les auteurs semblent être d’accord, c’est le résultat fondement de l’infraction, appelé résultat « redouté ». A toute infraction correspond un résultat « redouté » qui est à l’origine de l’incrimination : il est indissociable du processus de l’incrimination . Il est vrai qu’un comportement est rarement puni pour luimême. C’est la gravité du résultat qu’il est susceptible de provoquer qui justifie la répression de ce comportement , que la preuve d’un dommage effectif soit ou non exigée. « L’acte n’est pas anormal en soi : il ne l’est que par référence au résultat lui même anormal, car perturbateur de l’ordre social, qu’il entraîne » . Ainsi, Y. MAYAUD définit le résultat « redouté » comme « la projection d’un dommage à éviter sur la qualification pénale. C’est donc une « fin » qu’il appartient de prévenir par l’incrimination de « moyens » en rapport de causalité avec elle » . Autrement dit, le résultat « redouté » est un dommage dont le législateur entend éviter les conséquences désastreuses sur le plan social et pour se faire, il va dresser la liste des comportements à même de permettre la réalisation du dommage redouté et les ériger en infractions.

De la même manière, A. DECOCQ nous dit que « La loi érige certaines conduites en vue de prévenir le préjudice social qui peut en résulter. Tout texte de qualification est rédigé en considération d’un semblable dommage », mais pour décrire le résultat, cet auteur emploie expressément le terme d’« atteinte ». Ainsi, dans l’homicide et les blessures par imprudence par exemple, « il [le résultat] consiste en certaines atteintes à la vie ou à l’intégrité corporelle des personnes ».  Le résultat redouté par le législateur est donc l’atteinte que le comportement de l’agent est susceptible de causer. Ainsi, sont réprimées les atteintes à la vie de la personne , les atteintes à son intégrité physique ou psychique , ou encore les atteintes à ses biens . Certains auteurs regroupent ces résultats sous le nom d’ « atteintes à des valeurs sociales essentielles ou à des biens juridiques collectifs »  . En définitive, le résultat « redouté» par le législateur est une atteinte causée à la personne ou à l’Etat, pour certains une atteinte à une valeur sociale essentielle, que la loi pénale prend en compte en incriminant des agissements qui peuvent le provoquer.

Outre son utilité dans la phase d’incrimination, le résultat « redouté », appelé aussi par certains résultat « réel » , servirait de critère de distinction des infractions matérielles et formelles. En effet, certains auteurs définissent l’infraction formelle comme celle par laquelle le résultat « légal » ne coïncide pas avec le résultat « réel». Le résultat « légal », autre forme de résultat, correspond au seuil de l’illicite fixé par le législateur. Par sa réalisation, il déclenche la répression car il consomme juridiquement l’infraction. Ainsi, « par infractions formelles, il faut donc entendre toutes les infractions dont la matérialité objective est « indifférente au résultat réel » » . Autrement dit, l’infraction formelle serait consommée indépendamment de la preuve de l’obtention du résultat « réel ».

Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre I : L’atteinte procédant d’un résultat
Section I : Les résultats de la théorie moderne
Paragraphe I : Une notion polymorphe
Paragraphe II : Une distinction à l’intérêt discutable
Section II : L’atteinte comme élément constitutif de l’infraction
Paragraphe I : L’effectivité de l’atteinte
Paragraphe II : La preuve de l’atteinte
Chapitre II : L’atteinte indépendante du résultat
Section I : La répression préventive d’une atteinte
Paragraphe I : L’incrimination de l’atteinte potentielle
Paragraphe II : La répression de l’« atteinte tentée »
Section II : L’apologie mesurée de la répression préventive
Paragraphe I : La protection de l’ordre public
Paragraphe II : Le risque pour les libertés individuelles
CONCLUSION

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