L’aspect récréatif et ornemental du cours d’eau
La rivière comme lieu de détente et de distraction
L’eau n’est pas seulement une question de survie pour l’Homme, elle entre également dans son bien être, dans son plaisir. A partir de la fin du XVIIIe siècle commence à se développer dans les milieux éclairés, et par le biais des hygiénistes, un intérêt certain pour les vertus du bain froid censé renforcer le corps. « Le bain de rivière et la natation […] entretiennent santé et énergie » 315 . L’Orge traverse de nombreux parcs aménagés pour le plaisir de leurs propriétaires, lesquels peuvent à loisir se baigner dans ses eaux peu profondes. Elle offre une largeur moyenne confortable de huit mètres entre berges316. En 1865, une certaine Mme Love Plaine écrit une lettre à Monsieur de Monttessuy concernant sa terre de Juvisy317. Ladite lettre renferme un poème (Annexe 27) pour prier le propriétaire de bien vouloir lui accorder la permission de se baigner dans la rivière. Mme Plaine met en avant l’état de l’Orge au passage du parc de M. de Monttessuy. Selon ses dires, la rivière en un point un peu plus lointain est embarrassée de joncs, elle ressemble à un bourbeux ruisseau, un marécage qui laisse la jambe crottée si on ose l’enfoncer. En revanche, chez M. de Monttessuy, grâce aux soins qu’il lui apporte, elle coule lentement sur un lit de sable, à l’abri de beaux arbres d’Asie. Bien évidemment, les propos de Mme Plaine ont pour but de flatter le propriétaire des lieux afin d’obtenir la permission de prendre un bain dans la rivière. Toutefois, c’est sans nul doute parce que l’Orge est bien aménagée et bien entretenue à cet endroit qu’elle donne envie à Mme Plaine de s’y abandonner. Les propriétaires riverains, et principalement les grands propriétaires de parcs ou domaines, ne sont pas les seuls à profiter des eaux de l’Orge pour s’y baigner. N’importe qui peut s’adonner à ce plaisir simple à condition de trouver un accès libre à la rivière. Certains viennent même de communes éloignées. En 1865, dans son procès-verbal de temps et de tournée du mois de juillet, le sieur Angiboust, garde-pêche résidant à Savigny, relate quelques-unes de ses rencontres318. Il explique avoir surpris lors de différentes tournées plusieurs individus qui pêchaient en se baignant avec une petite truble319. Ce genre de pêche étant interdit, les baigneurs ont assuré habiter des communes éloignées de l’Orge et ne pas être au courant de la prohibition de ce type d’engin qu’ils ont dû déchirer devant le garde-rivière. Cependant, rien ne prouve la bonne foi des contrevenants qui ont très bien pu mentir pour obtenir l’indulgence de M. Angiboust et ainsi éviter de de voir écoper d’une amende. Toutefois, cette anecdote met en avant deux loisirs liés à la rivière : la baignade et la pêche. En effet, la pêche n’a pas toujours pour but principal la consommation du poisson capturé, mais certaines fois plutôt l’acte de pêcher en lui-même. La rivière d’Orge permet une autre activité : la promenade en bateau. En effet, en plus de servir au faucardement et au curage de la rivière, les bateaux permettent de pêcher, de se déplacer sur de courtes distances, mais également de musarder sur le cours de l’Orge. En 1859, une affaire oppose MM. Manceau et Delahaye à Arpajon au sujet de la navigation sur la Rémarde, affluent de l’Orge. M. Manceau porte plainte contre son voisin qu’il accuse d’avoir mis une chaîne (indiquée par la lettre A sur le plan ci-dessous) au dessus du fil de l’eau pour empêcher le passage des bateaux utiles ou d’agrément320. Selon les dires du pétitionnaire, la boële Morand étant impraticable par son faible niveau d’eau, il se retrouve coincé et ne peut plus continuer de se promener sur la Rémarde et ensuite sur l’Orge. De même, les autres propriétaires riverains possédant un bateau ne peuvent venir le voir ou se promener de ce côté de la rivière.Une seconde plainte est envoyée au préfet de Seine-et-Oise par M. Manceau le 12 septembre 1859321, pour signaler des traverses de bois installées entre-temps par M. Delahaye sur un pont qu’il a fait faire il y a quatre ou cinq ans, et sans lesquelles le passage de bateaux utiles ou d’agrément ne se trouvait pas gêné avant. Finalement, un rapport d’ingénieur vient donner suite aux deux plaintes le 18 octobre 1859322. On y apprend que M. Delahaye a demandé à maintenir ses installations et à poser des chaînes sur la boële Miteau pour clore sa propriété. Cependant, les installations gênent la circulation des bateaux de promenade dont les propriétaires se sont toujours servis sans contestation, ainsi que des bateaux utiles. Le sieur Delahaye n’a aucun titre légal lui donnant l’autorisation de poser ces chaînes, et s’il veut clore sa propriété il peut ériger des murs le long des berges. C’est pourquoi l’ingénieur est d’avis de faire retirer sous huitaine les chaînes de fer et les pièces de bois placées en travers de la rivière. La présence de ce genre de bateaux est avérée en d’autres endroits sur la rivière d’Orge. Nous la notons surtout lors des demandes ou des arrêtés d’autorisation concernant la construction de ponts ou autres franchissements. En effet, la hauteur des ouvrages est primordiale pour laisser passer d’éventuelles embarcations. Des bateaux passent sur le cours d’eau à Athis323, et notamment sur les bords de la propriété de M. Chodron qui en possède deux, le premier d’un mètre de large sur quatre mètres de long et le second de deux mètres de large sur huit mètres de long324. Il en passe aussi à Juvisy puisqu’il en est fait mention d’un, en 1860, appartenant à M. de Monttessuy et coulé au travers de la rivière 325 . D’autres parcourent Arpajon, comme nous l’avons vu avec l’affaire de M. Manceau contre M. Delahaye, mais également St-Germain. C’est d’ailleurs dans ces deux commune que sont pris deux mêmes arrêtés municipaux concernant la possession de bateaux. En effet, considérant que les nombreuses embarcations qui stationnent sur la rivière servent souvent aux malfaiteurs pour s’introduire la nuit dans les propriétés, il est demandé à ce que chacune d’entre-elles porte le nom de son propriétaire en grosses lettres sur ses deux cotés, et soit tenue sous cadenas fermé à clef pendant la nuit. Cet arrêté concernant la police de la rivière est d’abord promulgué le 21 octobre 1864 à Arpajon. St-Germain étant sa continuité, et baignée elle aussi par l’Orge, son maire est d’avis que la commune se munisse d’un tel arrêté pour que celui d’Arpajon ait une quelconque efficacité 328. Il en promulgue donc un identique le 26 novembre de la même année329 . Pareillement, à Morsang, des bateaux se promènent sur le cours de la rivière d’Orge. Il est même question de deux gares à batelets. L’une appartient à M. Maurel, elle se présente comme selon le croquis ci-dessous. Il s’agit en réalité d’un lavoir couvert de dix mètres de large. C’est sa profondeur, de dix mètres également, sur la prairie, qui en fait un garage à bateau..
L’eau et le « beau »
L’aspect récréatif et l’aspect ornemental sont très proches l’un de l’autre puisque, comme nous l’avons évoqué, la promenade est favorisée par la beauté du paysage. On contemple le beau avant toute chose. L’eau, symbole de pureté, entre dans la mise en valeur de nombreux jardins. La proximité de l’Orge est donc un atout pour de nombreux propriétaires désireux d’agrémenter leurs possessions. S’il est facile d’embellir un paysage autour d’un élément à première vue naturel qu’est une rivière, il est également possible de se servir de celle-ci pour approvisionner un jardin et ses bassins ou canaux en eau. Le long de l’Orge se dressent plusieurs châteaux desquels dépendent souvent des parcs bordés, voire parfois même traversés, par le cours d’eau. L’un d’entre eux est recensé à Arpajon le 19 thermidor an V3 dans un extrait du registre des délibérations de l’administration municipale du canton d’Arpajon4. Il est dit que la rivière d’Orge, les boëles adjacentes à cette dernière, et les canaux dudit château doivent être curés au plus vite. La nécessité d’opérer le curage des canaux au même moment que celui de l’Orge semble indiquer leur connexion. Non loin de là se trouve le château de Chanteloup offrant une balade agréable agrémentée de pièces d’eau en communication avec la rivière. Plus en aval, à Longpont, se trouve le château de Lormoy5. Sa position, sur une éminence, lui donne des points de vue pittoresques et variés selon Dulaure6. Son parc délimité par l’Orge est d’une grande étendue et du genre paysager. La fraîcheur des gazons ainsi que de belles plantations et des groupes d’arbres, rendent le paysage tout à fait plaisant. L’irrigation se fait à partir d’un grand canal (Annexe 29) qui alimente des sentiers tortueux, lesquels participent au charme des jardins. Par ailleurs, ledit canal est lui-même alimenté .En effet, un accord passé en 1642 autorise au propriétaire d’alors « la pose d’un tuyau dans la rivière […] pour faire tomber de l’eau de ladite rivière et verser dans son carré » 7, c’està-dire dans le canal. Au milieu du XIXe siècle, avant que le château de Vaucluse ne soit racheté par le département de la Seine pour en faire un asile d’aliénés, celui-ci est aux mains de M. Dabrin. Comme nous pouvons le voir sur le plan ci-dessous, la propriété de ce dernier comporte un bassin (à gauche) et une rivière aménagée (à droite) qui reçoivent leurs eaux de l’Orge.