L’articulation des systèmes de protection par les Cours européennes
Le droit européen est parfois qualifié de droit « venu d’ailleurs, venu de nulle part, sans histoire ni territoire … »340. Le mandat d’arrêt européen va également poser des questions touchant aux rapports entre l’ordre juridique de l’Union et celui du Conseil de l’Europe et plus particulièrement celle des rapports entre la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’Homme. Historiquement la Cour de justice a rapidement reconnu que l’ordre juridique communautaire constituait « un nouvel ordre international »341 puis un « ordre juridique propre »342, conférant, de fait, une dimension internationale à la Communauté favorisant son intégration sur la scène européenne vis-à- vis du Conseil de l’Europe. Sur cette base, la Cour développera un arsenal juridique pour intervenir en matière de droits fondamentaux. Avant que l’Union ne se dote d’un véritable ensemble normatif permettant d’asseoir sa compétence dans ce domaine, c’est sa jurisprudence qui répondra aux enjeux de la préservation de ces droits dans la mise en œuvre. Dans le cadre de ce développement jurisprudentiel, la Cour devra réaffirmer sans cesse l’importance du principe de primauté du droit de l’Union pour assurer l’application du droit de l’Union, car pour les États ces échanges sont relativement récents et ils doivent s’adapter aux évolutions contemporaines en matière de coopération judiciaire. Les rapports ne sont plus seulement verticaux, mais également horizontaux. Ainsi dans la jurisprudence International Handelsgesellschaft elle déclare que « le droit né du traité, issu d’une source autonome, ne pourrait, en raison de sa nature, se voir judiciairement opposer des règles de droit national quelles qu’elles soient, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle- même ; que, dès lors, l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la constitution d’un État membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d’un acte de la adoptant la Charte des droits fondamentaux346 perçue comme le pendant de la CESDH au sein de l’Union.
La dualité de protection des droits fondamentaux dans le champ d’application du mandat d’arrêt européen
Dans un contexte d’ouverture des frontières et plus généralement de globalisation du droit, il faut penser l’ouverture et les échanges entre systèmes de protection des droits fondamentaux, mais également leur cohérence. La reconnaissance des droits entre chaque système devient alors nécessaire pour éviter les conflits de normes et permettre aux États de respecter leurs engagements internationaux (A). Restera alors la question des relations entre Cour de justice et Cour européenne des droits de l’Homme, relation qui renvoie davantage à des influences réciproques plus qu’à un véritable « dialogue des juges » (B).transports Schmidberger demandait à la Cour de se prononcer sur le fait que l’État autrichien n’avait pas empêché une manifestation en faveur de la protection de l’environnement qui, selon elle, entravait à la libre circulation des marchandises. L’Autriche justifiait cette inaction par le respect de la liberté d’expression et donc de manifestation. La Cour s’inspirera des traditions constitutionnelles communes aux États membres pour reconnaître que la préservation des droits fondamentaux est un « intérêt légitime » qui peut justifier une restriction d’une « liberté fondamentale » en l’occurence celle de la libre circulation des marchandises. CJCE, 12 juin 2003, Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge contre Republik Österreich., op. cit.
Internationalisation des systèmes de protection des droits fondamentaux et Cours européennes
Si l’Union n’est pas tenue de se soumettre aux obligations de la CESDH, il n’empêche que la frontière entre les deux entités est ambigüe. En 1974, elle la mentionnera pour la première fois comme étant une source des droits fondamentaux « les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire »366. Plus qu’une simple « source d’inspiration », la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme est clairement citée par la Cour de justice afin d’appuyer ses décisions. Pour autant lorsque la Cour fait référence aux travaux de la CEDH, elle n’oublie pas la « prééminence de la logique communautaire » et utilise les règles et principes interprétés et dégagés par les juges de la CEDH pour traduire la volonté du législateur de l’Union. Cette méthode de travail et d’interprétation n’est pas un aveu de soumission ou une preuve de hiérarchisation entre les Cours européennes. La citation aux travaux de la CEDH n’est 177. Les Cours ont eu l’occasion de se prononcer sur ce rapport entre les ordres juridiques de l’Union et de Conseil de l’Europe s’agissant notamment de la préservation des droits fondamentaux. Cette confrontation a permis de dégager les enjeux du principe de protection équivalente. Ainsi dans l’affaire Matthews contre Royaume-Uni, la Cour rappelait au Royaume-Uni que son adhésion à l’Union et l’obligation de conformité au droit primaire ne devaient pas avoir d’incidence sur le respect des dispositions de la Convention de 1950. Elle déclinait également sa compétence pour opérer un contrôle de conformité des normes issues de l’ordre juridique communautaire à la CESDH, « la Cour note que les actes de la Communauté européenne ne peuvent être attaqués en tant que tels devant la Cour, car la Communauté en tant que telle n’est pas Partie contractante. La Convention n’exclut pas le transfert de compétences à des organisations internationales.