L’armement en métal au Proche et Moyen-Orient

L’histoire des hommes, des peuples et des civilisations se reflète dans celle de leurs productions. Les vestiges écrits ou iconographiques, aussi divers, précis et nombreux soient-ils, ne constituent qu’une part mineure et toujours subjective des faits, des idées et des symboles. Malgré les limites inhérentes à l’état de la documentation archéologique, les vestiges matériels constituent la base documentaire la plus équilibrée et la plus fiable si elle est étudiée de façon raisonnée et en prenant en compte ses différents niveaux de signification. Les évolutions conceptuelles et techniques ne peuvent être perçues que de façon partielle puisque les vestiges ne permettent pas de connaître ou de reconstituer l’ensemble des connaissances acquises et transmises par l’homme. C’est en particulier le cas pour les périodes les plus reculées de la préhistoire. Pour les périodes plus récentes, où les données deviennent plus variées et plus nombreuses, il est possible d’accéder aux savoirs anciens par des approches multiples, qui parfois se conjuguent et parfois se contredisent.

Au Proche et au Moyen-Orient, ainsi que dans les régions avoisinantes, les fouilles de plus en plus systématiques entreprises depuis la seconde moitié du XIXe siècle ont livré – et livrent encore – une  documentation matérielle souvent très riche quoique inégalement exploitée. Parmi les artéfacts découverts, les objets métalliques ont toujours eu une place à part, en particulier les armes. En effet, le caractère relativement rare du métal et la portée symbolique de l’armement dans les conceptions historiques et l’imaginaire des archéologues ont contribué à encourager la collection puis l’étude des armes en métal dès la fin du XIXe siècle en Europe et le début du XXe siècle en Orient. Comme nous le verrons, les approches de telles études sont multiples mais restent généralement axées sur des points de vues très généraux ou au contraire spécifiquement sur un site, une région, une période et/ou une catégorie d’armes. Depuis l’ouvrage Tools and Weapons, publié par Flinders Petrie en 1917, neuf décennies de recherches, de découvertes, de publications, de monographies et de synthèses se sont accumulées dans le domaine de l’armement métallique. Il nous a donc semblé opportun de traiter cette question de façon complète et synthétique, avec les outils documentaires et analytiques d’aujourd’hui, en réunissant et en harmonisant une documentation assez disparate, afin de connaître et de comprendre l’histoire des armes sur la longue durée (des origines à 1750 av. J.-C.) et sur une aire géographique vaste (le Proche et Moyen-Orient et ses voisins). Au-delà de l’étude des vestiges matériels, l’enjeu de cette recherche consiste aussi en la connaissance des sociétés et des cultures, des dynamiques évolutives générales, puisque l’artéfact révèle celui qui le produit : l’homme.

Toute recherche entreprise est avant tout le fruit de travaux antérieurs. La diversité des approches fut grande et a souvent accompagné l’évolution des recherches et des paradigmes de la pensée archéologique. Nous évoquons donc à présent un bref historique des démarches entreprises dans le domaine qui concerne cette thèse. Certaines sont complètes, d’autres lacunaires ; on peut y percevoir une bonne objectivité ou au contraire noter une certaine subjectivité issue de l’appartenance de l’auteur à une école de pensée ou son rattachement à une idéologie. Plusieurs approches sont novatrices du point de vue méthodologique, et d’autres se caractérisent par un classicisme notable. Néanmoins, toutes ont contribué à construire, pierre après pierre, l’édifice d’un savoir.

Les ambitions typologiques et typo-chronologiques des recherches ne sont pas nées dans l’archéologie orientaliste. A la fin du XIXe siècle, dans une démarche influencée par les théories évolutionnistes, Oscar Montelius enrichit et complexifie la typologie pré- et protohistorique de l’Europe du nord, tout en effectuant des comparaisons avec les données extra-régionales . L’idée de base est désormais lancée.

En Orient, il faut attendre la célèbre publication de Flinders Petrie en 1917 , Tools and Weapons, pour que le mobilier métallique soit présenté de façon classificatoire et synthétique. En se basant sur le mobilier égyptien ainsi que sur des objets très divers provenant de tous les continents et datant de toutes les périodes, il établit un ensemble de comparaisons morphologiques et fonctionnelles. La richesse documentaire de l’ouvrage est complétée par la présentation des divers manches et modes d’emmanchements. Malgré l’ampleur et la diversité du corpus, et sa présentation parfois confuse – l’auteur ayant désiré inclure toutes les catégories d’outils et d’armes antiques – cet ouvrage fut longtemps une référence, et, par divers aspects, le reste encore actuellement.

Hans Bonnet publie en 1926 le premier ouvrage de référence concernant l’armement oriental. Les principales formes sont évoquées, qu’il s’agisse d’objets en métal ou en pierre. Les données iconographiques sont également mises en avant. Les différentes formes d’armes sont abordées en particulier sous les aspects fonctionnels et historiques. L’objectif est de traiter l’armement et son utilisation d’une manière générale, et, de ce point de vue, il est grandement atteint. Les interprétations techniques sont remarquables, et l’ouvrage a mis longtemps à se démoder. Il est encore très régulièrement cité, même si de nombreux aspects ont été réexaminés et réinterprétés depuis. La terminologie développée par Bonnet n’a guère évolué outre-Rhin.

Les premières armes qui attirèrent suffisamment l’attention des chercheurs par leur qualité et l’amplitude géographique de leur diffusion furent les haches à douille. Le mobilier provenant des pillages au Luristan commençait en effet à inonder les collections occidentales. Certains sites fouillés plus académiquement livraient également ces haches. C’est pourquoi René Dussaud entreprit la première étude à grande échelle sur une forme précise d’arme. Publiée en 1930 , elle a pour objectif principal de cerner l’évolution des armes de la région de Nivahend et du Luristan grâce à des séries de comparaisons morphologiques intuitives. Malgré la justesse de certaines observations, les résultats ne clarifient pas la question, et les attributions chronologiques erronées restent encore nombreuses. L’intérêt majeur est donc constitué de la présentation du mobilier et du caractère pionnier d’une telle entreprise sur une forme d’arme orientale.

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Dans la continuité s’inscrit l’ouvrage d’André Godard sur les Bronzes du Luristan, publié en 1931 . Adoptant le point de vue ethnique de la culture matérielle (« antiquités kassites » ), il tente de replacer les innombrables objets excavés par les Lurs dans les contextes – funéraires – de leur découverte. Il propose également un catalogue en partie évolutif des armes et autres objets. Une séparation typologique succincte est évoquée mais ne permet pas d’affiner réellement la chronologie, qui reste donc problématique.

La publication attendue des tombes royales d’Ur en 1934 fut pour Leonard Woolley l’occasion de mettre en place une typologie du très riche mobilier. Bien qu’une minorité des armes soient illustrées, elles sont mentionnées dans le catalogue des tombes. Le corpus est classé selon chaque catégorie .

Stefan Przeworski est le précurseur des études sur le métal et la métallurgie en Anatolie. En 1939, il publie une étude axée essentiellement sur la technologie d’après les données sur les matières premières, les techniques de fabrication et les productions. L’aspect typologique est pratiquement ignoré, mais le corpus livré, en partie inédit à ce moment, ne fut pas réétudié avant 1957.

Bien qu’ils ne soient pas axés sur l’Orient ancien, les chapitres consacrés aux armes dans les ouvrages d’André Leroi-Gourhan L’homme et la matière et Milieu et technique  apportent un point de vue innovant. Dans son approche ethnologique, avec l’appui de nombreux et divers exemples, l’auteur propose un système de classification original semi-fonctionnel des outils et des armes, indépendant de leur morphologie, basé sur les rapports de poids et de longueur qui correspondent en partie au mode de maniement. Il définit aussi les principales catégories et types d’armes à travers les lieux et les temps. Cette approche générale permet d’envisager l’armement dans le sens le plus profond et à l’échelle de l’homme, mais elle n’est pas adaptée précisément au cadre et à la documentation précisément orientale.

Table des matières

PREMIÈRE PARTIE : MÉTHODOLOGIE
I CADRE GÉOGRAPHIQUE
I.1 – les deux zones (zone principale, Zone secondaire)
I.2 – Problématique et choix
I.3 – Présentation de l’espace d’étude
Peut-on parler de centre(s) et de périphérie(s) ?
Description des régions
I.4 – Les sites. : Répartition, position, lacunes et problèmes
Localisation des sites
Répartition : caractéristiques et lacunes
II CADRE CHRONOLOGIQUE
II.1 – Chronologie générale
Constitution de la chronologie générale
Définition des phases
Chronologie générale : sites, stratigraphies et cultures
II.2 – Datation de quelques ensembles problématiques
La nécropole de Varna et le Chalcolithique des Balkans
La culture de Maïkop : datation et durée
La culture Kuro-Araxe
Les chronologies du Caucase : contradictions et perspectives
Les tombes de l’Euphrate
III CADRE MATÉRIEL ET DOCUMENTAIRE
III.1 – Limites matérielles
III.2 – Cadre documentaire
Le paradoxe documentaire
IV ACQUISITION DES DONNÉES
IV.1 – L’état des sources bibliographiques
La diversité des langues
Une inégale qualité de la précision contextuelle
IV.2 – Harmonisation du corpus : problèmes, méthodes et objectifs
Problèmes rencontrés
IV.3 – Traitement des données : méthodes
Objectifs
IV.4 – Base de données : description des champs
Association de la base de données au SIG : cartes de répartition
IV.5 – Introduction à l’étude du corpus des armes de Byblos
Protocole
V REPRÉSENTATIVITÉ
Représentativité et quantité
Représentativité des armes rares
Les régions, les sites
VI TYPOLOGIE
VI.1 – Possibilités et limites d’une classification typologique
VI.2 – Mise en place de la typologie : choix, pertinence, flexibilité des critères
Catégorie
Type
Sous-type
Variante
Cas particuliers
Remarques
VI.3 – Critères hiérarchiques : degré d’arbitraire, subjectivité et paradoxe
Présentation des principales armes offensives
DEUXIÈME PARTIE : LES ARMES EN MÉTAL ÉTUDE TYPOLOGIQUE
LES ARMES DÉFENSIVES
Armures et cuirasses
Boucliers
Casques
Type Csq 1 : Casques en calotte à bouton sommital
Type Csq 2 : Casque en calotte à crête sommitale
Type Csq 3 : Casque figuratif
Ceintures
Synthèse sur les armes défensives
LES HACHES
Type H 1 : Haches plates
H 1.A : Haches plates trapézoïdales ou rectangulaires
H 1.B : Haches plates à « moignons » (lugged / trunnion axes, Aermchen Äxt)
H 1.C : Haches plates à lame trapézoïdale ou semi-circulaire et talon élargi (tenons)
Caractéristiques techniques
H 1.D : Haches plates à lame en arc de cercle et talon perforé élargi (tenons)
Origine, chronologie et répartition des haches H 1.C et H 1.D
Type H 2 : Haches à collet
H 2.A : Haches à collet, lame rectangulaire et manchon cylindrique
H 2.B : Haches à collet, lame trapézoïdale et manchon cylindrique
H 2.C : Haches à collet et lame plano-convexe
H 2.D : Haches à collet et crête, à pointes et à digitations
Chronologie et répartition du sous-type H 2.D
H 2.E.a : Haches à collet et lame étroite encochée
Origine, développement et répartition
Forme et fonction
H 2.F : Haches à collet symétrique et lame à bords parallèles ou divergents
Origine, développement et répartition
H 2.G : Haches à collet court bordé de moulures, lame inclinée et appendice en crochet
H 2.H : Haches à collet et manchon court bordé de moulures, lame en éventail et bossette arrière
Caractéristiques, origine et répartition
H 2.I : Haches à collet et aileron
H 2.J : Haches à collet, talon élargi et lame trapézoïdale
Origine, répartition et datation
H 2.K : Haches à collet, sans manchon et lame large rectangulaire ou trapézoïdale non inclinée
Origine, répartition et datation (H 2.K.a-b)
Origine, répartition et datation (H 2.K.c)
H 2.L : Haches à collet, manchon court et lame courbée
H 2.M : Haches à collet, sans manchon et lame inclinée
Répartition et chronologie
H 2.N : Haches à collet légèrement décalé, manchon cylindrique et lame simple
H 2.O : Haches à collet décalé
H 2.P : Haches à collet, manchon cylindrique et lame semi-circulaire
H 2.Q : Haches à collet, lame semi-circulaire et crête/contrepoids asymétrique
H 2.R : Haches à collet, lame rectangulaire ou trapézoïdale, et crête/contrepoids symétrique
Répartition et chronologie
H 2.S : Haches à collet, lame rectangulaire ou trapézoïdale, et crête/contrepoids incliné
Les haches à collet : essai de synthèse
CONCLUSION

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