L’ARCHITECTURE SCOLAIRE PARTICIPATIVE EN MILIEU RURAL
Problématique, questionnements, hypothèse de recherche
Comme nous avons tenté de le démontrer dans la première partie de ce travail, la nécessité de mobiliser la participation des usagers à la programmation architecturale scolaire émane de plusieurs facteurs contextuels. L’intérêt d’avoir recours à un modus operandi participatif pour la construction d’une école, se mesure à l’aune des bénéfices qu’il peut procurer en termes d’adéquation aux besoins de plus en plus différenciés, de confort, de partage ou de mutualisation, d’appropriation et de respect des espaces L’évolution des connaissances pédagogiques, la reconnaissance de l’influence de l’espace dans les apprentissages et la diffusion d’une nouvelle conception de l’espace promulguée par la psychologie environnementale, permettant d’envisager l’espace, non plus, comme un cadre contraignant mais comme le produit des interactions sociales, reflétant l’expression d’un système social dynamique et en perpétuel mouvement, ont forgé la remise en cause de l’architecture scolaire traditionnelle et mis en évidence la nécessité d’introduire les usagers dans le processus programmatique. De même la remise en question de la magistralité de l’enseignement par les pédagogues, qui a été ranimée par le déferlement numérique dans l’éducation, a, quelque peu, remis sur le devant de la scène les débats sur l’architecture scolaire avec en arrière-plan la révolution tant attendue des pratiques pédagogiques. Enfin le processus de déconcentration et de décentralisation engagé par l’État a eu pour effet d’instituer la territorialisation des politiques publiques et de formaliser la problématisation de la question éducative à l’échelle du territoire ou pour être plus précis à l’échelle locale du quartier ou du village. Celle-ci jumelée à la métamorphose de la question scolaire qui extravertie l’école à de nouveaux rôles, a théoriquement suscité l’ouverture de l’école sur son environnement local. En effet les nouveaux principes qui régissent l’école du XXIème siècle considèrent que l’espace scolaire ne se limite plus à être uniquement un lieu d’apprentissage scolaire mais il doit aussi se prêter à des pratiques périscolaires et sociales formelles et informelles, qui en font un espace de vie et de socialisation, voire parfois un espace public à part entière. Ainsi, outre les évolutions pédagogiques, l’ouverture de l’école sur son environnement, le partage et la mutualisation des espaces scolaires avec des acteurs étrangers à l’institution, affectent la nature de l’établissement scolaire et sa définition ; ce qui impose de chercher de nouvelles réponses architecturales : « Celui-ci doit en effet désormais accueillir une grande variété de types d’apprentissage, sous la double impulsion du recentrement de la pédagogie sur l’apprenant et de la diversité des publics. Du point de vue architectural, cela signifie que l’on s’éloigne progressivement de l’école comme empilement de salles de classe closes pour aller vers des établissements à espaces décloisonnés et évolutifs (open plan schools) « afin de répondre à des besoins différents ». L’établissement scolaire s’étend au-delà du bâtiment et de l’enceinte de l’école pour investir les infrastructures appartenant à la collectivité. Ainsi, d’un côté la distinction entre environnements d’apprentissage et espaces scolaires témoigne de l’évolution qui place l’éducation au cœur de la communauté et de l’autre, le partage entre espaces scolaires et espaces publics n’est plus aussi net – Blyth montre l’interpénétration toujours plus grande des deux instances. »
Cadre théorique et définitions des concepts
Rompant avec les approches traditionnelles qui abordent le changement social en termes de modernisation ou de révolution technologique dont l’efficacité explicative se heurte aujourd’hui à des perspectives macrosociales qui ne peuvent rendre compte que de transformations désastreuses aussi bien à l’échelle nationale que mondiale, l’analyse du changement social sous l’angle micro et méso de l’innovation sociale peut révéler de nouvelles pratiques portées par des acteurs qui tentent d’apporter des solutions à des problèmes sociaux de manière pragmatique et localisée. En effet, en dépit de la prospérité des richesses 210 produites, la succession des crises sociales économiques et financières, ont donné un coup d’arrêt à l’amélioration du bien-être des populations et ont, au contraire, provoqué le recul des acquis sociaux et l’accroissement fulgurant des inégalités sociales. Et pour faire face à ces dysfonctionnements, des acteurs souvent issus de la société civile, ont fait preuve d « ’imagination sociale » et contribuer à l’essor des expérimentations sociales qui ont parfois abouti à des innovations sociales. « Ce sont ces expérimentations qui constituent la source des innovations sociales, qui peuvent transformer la société et servir de base à un modèle de développement plus démocratique et participatif (Klein et Harrisson, 2007 ; Laville, 2008 ; Moulaert et al.2013), mais qui peuvent tout autant conforter le capitalisme dans son modèle inégalitaire (Fine, 2003 ; Amin, 2007 ; Peck, 2013). L’effet de l’innovation sociale sur la transformation sociale est imprévisible (Servet, 2010) et n’est donc pas déterministe. Il s’inscrit dans des processus qui comprennent plusieurs facettes, depuis l’« invention sociale » jusqu’à l’institutionnalisation, mais qui se manifestent sous des formes « tourbillonnaires » ou les différents jalons interagissent et s’inter influencent (Callon, 2004). » Pour certains auteurs comme Howaldt et Schwarz (2010), poser l’innovation sociale au cœur de l’analyse de la transformation sociale relève même d’un « changement de paradigme » , c’est-à-dire que l’intérêt grandissant pour les innovations sociales témoignerait d’une volonté de transformer les sociétés par la base. À cet égard, la mobilisation du concept d’innovation sociale pour identifier et analyser les transformations sociales opérées dans les projets d’architecture scolaire participative qui s’inscrivent dans le champ des expérimentations sociales, nous paraît judicieuse. Dans ce sens, la définition institutionnaliste de l’innovation sociale offre un cadre d’analyse pluridimensionnelle qui fait écho à celui de l’architecture participative : il fait notamment référence à la conception environnementaliste de l’espace. Cette définition comporte l’avantage de mettre l’accent sur la nouveauté du résultat, sur la finalité de l’innovation sociale en termes d’amélioration des conditions individuelles et collectives de la population ciblée. Elle souligne d’autre part la dimension sociale et politique.