L’ARCHITECTURE SCOLAIRE AU PRISME DES SCIENCES HUMAINES
L’architecture scolaire constitue, depuis plusieurs décennies, une thématique récurrente à laquelle de plus en plus d‘acteurs se réfèrent pour repenser différentes problématiques qui interrogent l’école du XXIème siècle, qu’il s’agisse des conditions assurant la réussite scolaire, de la lutte contre les inégalités scolaires et la ségrégation sociale, de l’adaptation à de nouvelles formes pédagogiques introduites par la révolution numérique, ou encore de la capacité de chacun des acteurs et des usagers à se saisir de l’espace comme une ressource mobilisable. Néanmoins l’architecture scolaire est aussi un objet de controverses : convoqué le plus souvent pour expliquer les dysfonctionnements d’un système scolaire ayant traditionnellement vocation à éduquer et à socialiser mais devant tenir compte des contraintes économiques de plus en plus drastiques au détriment des besoins réels des usagers dont la consultation demeure encore trop souvent absente de la programmation des constructions. L’architecture scolaire comme objet de recherche se situe à l’intersection de plusieurs disciplines, telles l’architecture et l’ingénierie du bâtiment, l’histoire du patrimoine, l’urbanisme, la sociologie, les sciences de l’éducation, la psychologie, la géographie sociale. De l’histoire du patrimoine à l’histoire des institutions qui coordonnent et gèrent les constructions scolaires, de l’histoire de la pédagogie aux sciences de l’éducation et à la psychologie en passant par la sociologie, qui a d’entrée appréhendé la conception des bâtiments scolaires d’un point de vue critique , tant au niveau de l’hygiène et du bien-être que de la pédagogie, l’architecture scolaire se présente comme un objet scientifique polymorphe et complexe dont il est difficile de saisir les contours car ainsi que le signale Edgar Morin :La pluralité des points d’ancrage est, certes, source de richesse mais aussi empreinte de freins à la compréhension, ce qui signifie que penser l’imbroglio de l’architecture scolaire à la lumière des sciences humaines, implique d’interroger ses relations de transversalité. De ce fait, l’architecture scolaire comporte une certaine pluralité sémantique suivant l’angle d’approche utilisé. Elle peut être aussi bien définie comme l’art ou la technique de concevoir les espaces et de bâtir des établissements scolaires par les architectes et les techniciens du bâtiment, que comme l’histoire du patrimoine des édifices scolaires ou bien encore comme l’étude des espaces scolaires et des bâtiments scolaires qui sont les réalisations physiques de « L’ensemble des lieux dédiés aux différentes formes d’apprentissage des savoirs et de socialisation de celles et ceux qui les fréquentent. Il s’agit ainsi de mettre fin à l’identification, aussi intuitive que répandue, de l’espace scolaire à la salle de classe, et de prendre en considération également les couloirs, la cour de récréation, le hall, la médiathèque, le restaurant ou encore les espaces extérieurs, végétalisés ou non, qui entourent le bâtiment de l’école. » . C’est à cette dernière déclinaison que nous adhérerons pour éviter toute confusion. Outre la plurivocité sémantique que l’interdisciplinarité des champs de recherche entraîne, l’architecture scolaire comporte des enjeux multidimensionnels qui varient en fonction des époques et notamment des choix sociaux et politiques. Et de ce fait l’école de demain et son architecture sont encore en construction.
L’architecture scolaire comme objet historique : un inventaire du patrimoine scolaire
Les premières études sur l’architecture scolaire relèvent principalement du champ de l’architecture et de l’histoire de l’art et du patrimoine tant au niveau national qu’international. C’est ce que montre le travail de l’architecte et historienne Anne- Marie Châtelet et de son collègue Marc Le Cœur, dans « Essai historiographique international »173 , qui font un recensement minutieux de la part d’international. En s’appuyant notamment sur un grand nombre de ressources documentaires ainsi que sur d’autres historiographies, ils mettent en évidence la place hégémonique de l’histoire de l’art et du patrimoine, dans l’étude de l’architecture des bâtiments scolaires dans les débuts. Les recherches liminaires qu’ils relatent, sont essentiellement basées sur l’inventaire et la description du patrimoine scolaire à partir des archives mises à disposition, pour un temps et un lieu donnés, sans qu’il n’y ait un réel travail d’analyse et croisement de la conception architecturale avec l’histoire de l’institution et l’histoire de la pédagogie. Cet essai, qui situe l’essor de l’histoire architecturale scolaire à partir des années 50, a d’ailleurs l’avantage de proposer un récapitulatif des tendances internationales de la recherche au XXème siècle et d’analyser la particularité des approches de chaque pays qui se résument ainsi : « À l’antériorité de l’Angleterre en matière d’architecture universitaire répond la précoce domination allemande dans l’historiographie de l’architecture des écoles primaires. (…), la « déférence » des Britanniques pour leur patrimoine scolaire, le « pragmatisme » des Américains confrontés au même objet… et la durable « indifférence » des Français en la matière, pour reprendre les expressions de Marc Le Cœur. »En France, les études de l’architecture scolaire ont commencé plus tardivement même si elles étaient déjà plus ou moins évoquées dans les histoires de l’institution scolaire et représentées par certaines illustrations175 . C’est à la suite du réquisitoire de Michel Foucault qui, dans « Surveiller et punir »176, arbore une critique sans appel, de la proximité architecturale et conceptuelle du lycée à la française avec celle de la caserne et de la prison et grâce à l’organisation de la recherche en architecture conjuguée à l’intérêt grandissant pour l’histoire du patrimoine scolaire français, que les études académiques vont connaître un certain dynamisme, en particulier chez les historiens. Dans les années 70, la création d’un Service d’histoire de l’éducation, du Musée national d’éducation en 1975 et de la revue Histoire de l’éducation en 1978, ainsi que la commémoration du centenaire des lois Jules Ferry dans les années 80, vont stimuler ce nouvel essor et essayer de pallier un déficit criant. « Une enquête menée en 1978 révélait qu’il n’y avait quasiment rien sur « les objets, le mobilier et les bâtiments scolaires ». »177 La première thèse sur l’architecture scolaire émane, d’une recherche socio anthropologique et historique, soutenue en 1984, par, Hélène Benrekassa178 , elle s’applique à décrire les conditions matérielles des maisons d’école en Seine et Marne de 1833 à 1889. Plus tard en 1991, l’architecte et historienne Anne-Marie Châtelet 179 présentera également une thèse d’histoire de l’art consacrée aux écoles primaires parisiennes entre 1870 et 1914, sous la direction de François Loyer.