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Le cyberféminisme de l’ère post #MeToo : après la dénonciation des violences, place à la libération de la parole
Dans cette première partie, nous tenterons de vérifier l’hypothèse selon laquelle le cyberféminisme sur Instagram dans l’ère post #MeToo se caractérise par une volonté de libération de la parole à travers un discours contre-hégémonique, centré sur le plaisir sexuel, et au contenu éducatif.
Nous avons préalablement défini l’ère post #MeToo comme une période faisant suite au mouvement #MeToo, celui-ci constituant une rupture temporelle dans l’histoire des revendications féministes, par son caractère de libérateur de la parole féminine. Il s’agira ici d’analyser en quoi le mouvement #MeToo a pu, et peut aujourd’hui, impacter les expressions féministes, ainsi que les formes que celles-ci prennent aujourd’hui sur Instagram. Pour les comprendre, il nous sera donc nécessaire de replacer ces expressions dans leur contexte médiatique : celui de l’utilisation des réseaux sociaux numériques, et plus largement, celui de l’utilisation des médias, par le mouvement féministe. Nous analyserons donc l’apparition de ces nouveaux comptes Instagram au prisme de leur contexte temporel : celui d’une libération de la parole généralisée. Dans un deuxième temps, nous tenterons d’analyser le discours de ces nouvelles expressions féministes, celles-ci s’exprimant avec une parole affirmée, désinhibée, faisant fi des tabous, et reflétant une volonté d’empowerment féminin. Il s’agira ici d’analyser ce discours à travers son objectif éducatif, et centré sur la sexualité féminine. Enfin, nous vérifierons si le discours utilisé permet ou non une politisation de l’expérience individuelle féminine, dans la mesure où nous le considérons comme un discours contre-hégémonique, ayant vocation à s’affranchir du discours habituellement transmis par les canaux d’information institutionnels.
Cette partie sera donc consacrée à l’analyse de l’ambition de libération de la parole au travers du discours véhiculé par les comptes Instagram de notre corpus.
Les réseaux sociaux numériques, acteurs majeurs du féminisme de la troisième vague
Bien que notre travail de recherche se concentre sur des expressions féministes considérées comme nouvelles, par leurs revendications ainsi que par leur support, et bien que nous considérions les nouveaux comptes Instagram féministes comme l’apanage d’un féminisme plus jeune et plus dynamique, la question de la médiation des féminismes, celle du lien entre féminisme et médias, n’est pas neuve. Cette première sous-partie vise à replacer les nouvelles mobilisations féministes dans un contexte qui favorise leur expression médiatique : celui des réseaux sociaux numériques, et donc, de leur impact sur les mobilisations féminines.
Le web 2.0 : un nouvel espace de lutte pour le militantisme féministe
En 2007, Danah Boyd et Nicole Ellison18 établissent une première définition des sites de réseaux sociaux (social network sites). Cependant, depuis 2007, le paysage des réseaux sociaux a changé : ceux-ci ont donc retravaillé, en 2011, leur définition afin qu’elle puisse rendre compte de ces changements. Leur définition la plus récente est la suivante : « Un site de réseau social est une plate-forme de communication en réseau dans laquelle les participants 1) disposent de profils associés à une identification unique qui sont créés par une combinaison de contenus fournis par l’utilisateur, de contenus fournis par des « amis », et de données système ; 2) peuvent exposer publiquement des relations susceptibles d’être visualisées et consultées par d’autres ; 3) peuvent accéder à des flux de contenus incluant des contenus générés par l’utilisateur.trice – notamment des combinaisons de textes, photos, vidéos, mises à jour de lieux et/ou liens – fournis par leurs contacts sur le site »19. Les réseaux sociaux numériques sont donc ce plateformes digitales centrées sur les User Generated Content (contenu généré par l’utilisateur.trice), permettant aux individus de se créer leur propre espace, et de s’exprimer en leur nom, ou de façon anonyme. Aujourd’hui, le rôle de celles-ci dans la diffusion d’informations peut être analysé comme celui de véritables médias avec leurs moyens et infrastructures techniques qui permettent à leurs membres de participer non seulement à la diffusion mais également à la création et à la mise en forme d’une information parfois tirée de leur expérience vécue. Les échanges numériques se caractérisent donc par une ambivalence entre public et privé. C’est en ce sens que ces plateformes digitales nous intéressent dans le cadre de notre objet de recherche.
En effet, le web et les réseaux sociaux semblent avoir eu un impact décisif sur la structuration de « l’espace de la cause des femmes »20. Si l’on définit parfois le féminisme comme une « succession de coups médiatiques »21, c’est que les féministes ont, tout au long de leur histoire, utilisé et produit des médias. La presse, la radio, la télévision, et aujourd’hui Internet et les réseaux sociaux ont permis aux féministes d’innover dans leurs actions et de porter leurs revendications, en se faisant l’écho des transformations des rapports de genre. La troisième vague féministe a notamment pu émerger grâce à une appropriation progressive d’Internet par les féministes. Selon Franck Rebillard, « l’arrivée du web a contribué à modifier en profondeur l’environnement informationnel, en tant que dispositif de communication total se déployant dans les sphères du social »22. À la fois moyen de communication et média, il permet de réunir des fonctions sociotechniques autrefois distinctes, et permet donc, une fois démocratisé, un nouvel espace d’expression favorisant les échanges entre individus, et l’autonomie dans la publication. Ces nouveaux outils ont donc été investis par différents groupes sociaux ayant des objectifs divers, et notamment, par les féministes. Au début des années 1990, et donc avant l’avènement des réseaux sociaux, la technologie ouvre d’ores et déjà aux femmes de nouvelles opportunités de lutter contre les inégalités de genre, se traduisant par une appropriation croissante des formats offerts par le web. À partir des années 2000, l’émergence des blogs et tumblers rendent possible et généralisent les publications individuelles : le monde virtuel représente donc un espace de libre expression pour les femmes, et les féministes s’emparent des dimensions de journalisme citoyen ou d’édition participative permise par ces supports, ceux-ci leur permettant de pallier un manque d’informations de la part des médias traditionnels. Mais l’émergence des réseaux sociaux apporte encore de nouvelles dimensions à ces pratiques. Inventée par Darcy di Nucci en 1999, puis diffusée en 2004 par Tim O’Reilly, l’expression « web 2.0 », désigne un web devenu participatif, et exprime le passage d’une communication verticale, propre aux médias traditionnels, à un communication horizontale, permise par les réseaux sociaux23. Par son aspect interactif, le « web 2.0 », déplace les frontières du militantisme en offrant de nouveaux outils pour faire entendre sa voix, et pallie à l’aspect unilatéral que pouvaient avoir les sites ou blogs, en permettant aux individus d’interagir ensemble. Ceux-ci facilitent de nouvelles formes de socialisation, et surtout, de nouvelles formes d’engagement individuel et collectif, notamment grâce au like, au hashtag, et au partage.
Les réseaux sociaux numériques représentent donc pour les féministes, un nouveau « répertoire d’actions collectives »24. Ils autorisent, au-delà d’un effacement des frontières géographiques, ainsi que des frontières entre public et privé, un renouvellement des débats d’idées et des formes de participation, une diversité des formes de productions, de nouveaux mécanismes d’échange entre les individus, et donc, une possibilité de faire porter ses revendications plus haut et plus fort. En 2006, Tarana Burke, une travailleuse sociale et militante féministe américaine, lance une campagne de soutien aux victimes d’agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés. Ayant elle-même subi des violences sexuelles, et pour appuyer sur l’empathie et la solidarité, elle choisit un nom très court à cette initiative : « Me too » (« moi aussi »). Le 5 octobre 2017, l’affaire Harvey Weinstein éclate à Hollywood : une série d’accusations d’agressions, de viols, et de violences commises par le producteur de cinéma américain sont révélées par une enquête du New York Times et du New Yorker, puis sont relayées sur Twitter, réseau social privilégié par les personnalités publiques. C’est sur cette même plateforme, et sous l’impulsion de l’actrice américaine Alyssa Milano, que renaît le hashtag #MeToo. Le 15 octobre 2017, cette dernière publie un tweet25 composé du message suivant : « Si vous avez déjà été victime de harcèlement ou d’agression sexuelle, écrivez “moi aussi” en réponse à ce tweet. », invitant donc les victimes de violences sexuelles à s’exprimer sur le réseau social. Celle-ci obtient en cinq jours, plus de 60 000 réponses à son tweet26, de la part d’actrices américaines du même milieu, mais également de la part d’anonymes, qui témoignent de situations allant au-delà de leur lieu de travail : université, famille, etc. L’ampleur du mouvement #MeToo ne se cantonne pas au réseau social Twitter : des dizaines de milliers d’internautes – femmes et hommes -, s’expriment sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram, ou encore sur des forums comme Reddit. Les discussions en ligne s’étendent au-delà des frontières géographiques, et le hashtag #MeToo se voit traduire dans plusieurs langues (par exemple : #YoTambien en Espagne ou #AnaKamen au Moyen-Orient). Certains des hashtags qui apparaissent circulaient avant l’affaire Harvey Weinstein, mais plusieurs naissent en réaction à celle-ci.
C’est notamment le cas du hashtag francophone #BalanceTonPorc, lancé sur Twitter par la journaliste française Sandra Muller27. Émerge alors en quelques semaines ce que l’anthropologue française Véronique Nahoum-Grappe appelle un « mouvement social féminin du XXIe siècle, qui sait user des outils technologiques de l’époque pour faire apparaître un point de vue non pris en compte à la mesure de sa réalité massive et tragique »28. Toutes ces dénonciations qui étaient restées tues jusqu’à ce jour, éclatent au grand jour au mois d’octobre 2017 sur les réseaux sociaux, dans un mouvement de sororité : les femmes décident de parler, dans un mouvement à l’ampleur internationale et à la viralité sans précédent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : chaque semaine, d’octobre à janvier, plus de 38 000 tweets font référence au harcèlement sexuel29. En un an, on compte 930 000 tweets avec le hashtag #BalanceTonPorc, et 17,2 millions avec le hashtag #MeToo.
Le moment #MeToo a aujourd’hui dépassé le phénomène viral pour devenir un mouvement social à part entière. Bien qu’il ait été porté par des femmes célèbres, puissantes et influentes, celui-ci est resté sans porte-voix : il est un mouvement collectif, qui illustre l’ampleur du potentiel de l’activisme féministe numérique sur les réseaux sociaux. Il montre que les réseaux sociaux apportent au militantisme féministe des moyens et un écho sans précédent. En effet, selon un article du European Journal of Women’s studies30, paru en avril 2018, un grand nombre de femmes « estiment, en dépit des risques et de l’hostilité sur ces sites, que Twitter et les plateformes en ligne constituaient des espaces plus sûrs et plus faciles pour s’engager dans le militantisme féministe que des lieux hors ligne tels que la rue, les lieux de travail, les écoles, la famille et les amis ». C’est d’ailleurs ce que prouve l’enquête #MeToo réalisée par la Fondation des Femmes31, dans laquelle 71% des femmes victimes disent avoir trouvé le courage de témoigner grâce à #MeToo. Pour 95,7% d’entre elles, témoigner dans le sillage de ce mouvement a été une expérience positive : « #MeToo a donc été une révolution et a permis quelques avancées »32.
Par ailleurs, au-delà d’avoir éveillé les consciences et d’avoir trouvé une résonance sur les réseaux sociaux, le mouvement a donné naissance à de nombreux rassemblements physiques, et a porté la question des violences sexuelles envers les femmes dans la sphère publique et politique. Il a par ailleurs autorisé l’émergence des mouvements de la Ligue du LOL et du #MeToo de la pub, évoqués dans notre introduction.
C’est en cela que nous parlons de l’« ère post #MeToo » – expression que nous avons définie précédemment -, dans la mesure où ce mouvement, devenu un mouvement social à part entière, a largement influencé les combats féministes en ligne d’aujourd’hui.
La floraison de comptes Instagram à vocation féministe
Le mouvement #MeToo a donc connu une ampleur sans précédent sur les réseaux sociaux, et au-delà de son rôle de libérateur de la parole féminine, on note depuis, une hausse quantitative de l’engagement féministe en ligne qui s’inscrit dans la continuité d’un intérêt déjà croissant pour celui-ci depuis quelques années.
Selon David Bertrand33, le développement du féminisme en ligne et la transformation des pratiques militantes par la configuration particulière des espaces du web 2.0 sont des phénomènes concomitants à une hausse croissante de l’intérêt pour les questions féministes dans l’espace public. Grâce à l’outil mis à disposition par le site Google Trends34, celui-ci a tenté de démontrer l’intérêt croissant pour le féminisme en France ces dernières années, par une mesure du nombre de recherches des mots-clés « féminisme » et « sexisme » sur Google, sur une période allant de 2004 à 201835. Globalement, le graphique obtenu semble confirmer un regain d’intérêt des internautes français pour les questions liées au féminisme et au sexisme, en révélant notamment des pics de recherches au moment de l’affaire DSK en 2011, et au moment de l’affaire Harvey Weinstein en 2017. Bien que l’état des recherches Google nous intéressent quant à notre objet de recherche, l’auteur précise que le féminisme se diffuse aujourd’hui « essentiellement sur les réseaux sociaux, et les régimes de visibilité qui les caractérisent ont une influence non négligeable sur la forme prise par le militantisme ». Le réseau social Instagram et son utilisation par les militantes féministes semblent témoigner de cette diffusion croissante du militantisme féministe sur les réseaux sociaux.
Depuis son lancement en 2010, puis son rachat par le groupe Facebook en 2012, le développement de la plateforme Instagram connaît une croissance soutenue. Le rythme des nouveautés s’est notamment accéléré avec l’arrivée de la concurrence de Snapchat. Il s’agit aujourd’hui d’un des réseaux sociaux les plus importants et les plus influents. Selon le blog Digimind36, Instagram comptabilise en 2019 plus d’un milliard d’utilisateur.trice.s actif.ve.s mensuels, et on compte chaque jour plus de 500 millions d’utilisateur.trice.s dans le monde. En ce qui concerne la France, 17 millions de Français sont chaque mois sur Instagram, soit 31% des internautes et 25% de la population totale, avec 7,3 millions de visites uniques par jour. Par ailleurs, Instagram est un réseau social qui est très utilisé par les tranches de population les plus jeunes. En ce qui concerne la tranche de 15-24 ans, 28% d’entre eux se rendent quotidiennement sur Instagram, et 66,7% des moins de 13 ans déclarent utiliser ce réseau social. C’est d’ailleurs le troisième réseau social le plus utilisé par la tranche de population des 15-24 ans, après Snapchat et Facebook37. Il est par ailleurs intéressant de noter quant à notre objet de recherche, que les femmes françaises sont plus présentes sur Instagram que les hommes, 54% des utilisateur.trice.s français étant des utilisatrices. Ces chiffres nous confirment donc l’importance qu’a pris le réseau social Instagram dans la vie des internautes, en France et dans le monde, et nous donnent donc un premier indice pour comprendre pourquoi celui-ci abrite aujourd’hui de nouvelles formes de militantisme féministe.
Bien avant l’apparition de comptes féministes français sur Instagram, la plateforme abritait déjà des comptes provenant en majeure partie des Etats-Unis ou de Grande Bretagne. Un grand nombre de comptes anglophones, se déclarant explicitement comme féministes, dans leur nom d’utilisateur.trice ou dans leur biographie (sur Instagram, paragraphe présentant et décrivant le compte, ou la personne à l’origine du compte, apparaissant sous la photo de profil, sous le nombre d’abonné.e.s, et au-dessus des publications), commençaient déjà à se faire une place sur la plateforme, bien que ça ne soit pas encore le cas en France. Les comptes les plus connus et ayant le plus de succès aujourd’hui sont les suivants :
● @feminist, 2,8 millions d’abonné.e.s, créé en janvier 2017 ;
● @itsfeminism, 453k abonné.e.s, créé en août 2015 ;
● @march, 349k abonné.e.s, créé en août 2015 ;
● @fem.inist, 171k abonné.e.s, créé en mars 2015 ;
● @gurlstalk, 256k abonnés, créé en octobre 2012.
Cette sélection de comptes38 n’a pas vocation à être représentative de la multiplicité de comptes féministes anglophones sur Instagram, mais il s’agit ici des comptes les plus actifs et ayant le plus d’abonné.e.s. L’objectif de ces comptes est explicitement féministe, comme en témoignent leurs noms d’utilisateur.trice.s, ou pour certains, leur photo de profil. Leur biographie affiche également les mots suivants : « empowering women » ; « spreading empowerment » ; « pro-woman » ; « we are all equal » ; « against sexism », inscrivant leurs comptes dès le départ dans la lutte féministe, avant même d’en voir les publications. Celles-ci sont composées de partages de verbatims, de photos et relais de paroles de role models, d’une grande quantité de memes, et donc d’une certaine tonalité ironique, ainsi que d’illustrations. L’étude de ces comptes dépasse ici notre objet de recherche, c’est pourquoi nous ne nous attarderons pas dessus, mais il nous semble important de souligner que les mêmes dynamiques qui composent les comptes Instagram français étudiés dans notre corpus, composent ces comptes anglophones, étant apparus avant les comptes français. C’est d’ailleurs ce qu’évoque Dora Moutot, créatrice du compte français @tasjoui, dans l’entretien téléphonique que nous avons réalisé avec elle39, quand nous lui avons demandé les raisons pour lesquelles elle a choisi Instagram comme plateforme d’expression : « Et puis aussi, ça faisait longtemps que je suivais des comptes Instagram activistes qui viennent des US et des UK, et nous en France on n’avait pas encore ça ».
Les comptes activistes français de notre corpus sont donc apparus quelques années après les comptes anglophones, faisant suite à la déferlante #MeToo. En effet, selon les informations disponibles sur Instagram concernant les dates de création des différents comptes, la majorité des comptes activistes féministes français sur la plateforme sont nés après #MeToo, et l’intégralité des comptes de notre corpus ont vu le jour au cours de l’année 2018. Il existe en 2019 un très grand nombre de comptes Instagram féministes, et l’on peut en dénombrer aujourd’hui une centaine. À nouveau, notre corpus de comptes n’a pas vocation à être représentatif de tous les comptes existants aujourd’hui, mais il contient les comptes les plus suivis dans cette mouvance et ayant l’activité la plus régulière. La majorité des comptes féministes sur la plateforme abordent le féminisme au prisme de sujets comme les règles, ou la sexualité féminine, par exemple. Les comptes étudiés ici sont les suivants :
● @jemenbatsleclito : créé en octobre 2018 par Camille Aumont Carnel, auparavant cuisinière mais ayant quitté ses fonctions pour se consacrer à la gestion de son compte Instagram. Via des verbatims, des citations, ou des phrases courtes respectant une certaine ligne éditoriale, l’auteure du compte aborde différents sujets concernant la vie sexuelle des femmes : orgasmes, masturbation, consentement, gynécologie, etc. Son objectif semble être celui de vulgariser au maximum ces sujets, et de les faire sortir du tabou, via une tonalité décomplexée et humoristique.
● @tasjoui : créé en août 2018 par Dora Moutot, journaliste. Ce compte est principalement centré sur la jouissance féminine, ayant été créé suite au constat d’une inégalité sexuelle entre hommes et femmes face à l’orgasme, et dans le but de faire prendre conscience de celle-ci. A l’origine, le compte relayait principalement des captures d’écran de témoignages reçus par l’auteure du compte. Plus d’un an après sa création, celui-ci relaie aujourd’hui de façon assez brute, et donc sans charte graphique particulière, des memes, des illustrations, des verbatims et de nouveaux témoignages. Son objectif semble être celui d’aborder tous les sujets, d’actualité ou non, qui ont un lien avec le thème du compte.
● @gangduclito : créé en août 2018 par Julia Pietri. Ce compte est centré sur le clitoris, comme son nom l’indique, et aborde donc de nombreux sujets qui sont relatifs à l’orgasme et à la masturbation féminine, via une ligne éditoriale identifiable. Outre la publication d’infographies, d’illustrations, ou de verbatims, il se fait notamment le relai des actions hors-ligne menées par la créatrice du compte, notamment la campagne d’affichage « It’s not a bretzel », sur laquelle nous reviendrons ultérieurement.
● @mercibeaucul_ : créé en mars 2013 par Delphine & Léa, mais la première publication de ce dernier date de mars 2018. Ce compte est lui aussi centré sur la sexualité féminine, et relaie en majorité des illustrations bien que des phrases ou citations soient aussi publiés de temps en temps. Les créatrices de ce compte ont elle aussi vocation à parler de sexualité, à donner des conseils et à briser les tabous sur le plaisir, via des publications à l’aspect artistique.
● @jouissance.club : créé en juin 2018, par « Jüne ». Ce compte est centré sur le plaisir sexuel et se donne pour objectif de donner des « sex tips », des conseils sur les pratiques sexuelles, aux hommes et aux femmes. Il respecte une ligne éditoriale précise, alternant entre phrases et illustrations, et se veut prescripteur d’une sexualité nouvelle, centrée sur le plaisir, et la connaissance de son corps.
Ces comptes ont donc tous leurs spécificités qui leur sont propres, et leur façon unique d’aborder le féminisme, via un angle à chaque fois différent. Cependant, ils gardent tous un objectif commun, directement impacté par les dynamiques du mouvement #MeToo : celui de produire un discours féministe, celui de briser les tabous, dans les thèmes qu’ils abordent et dans l’énonciation de ceux-ci, via le prisme de la sexualité féminine, et avec un objectif éducatif.
Table des matières
INTRODUCTION
I. Le cyberféminisme de l’ère post #MeToo : après la dénonciation des violences, place à la libération de la parole
A. Les réseaux sociaux numériques, acteurs majeurs du féminisme de la troisième vague
1. Le web 2.0 : un nouvel espace de lutte pour le militantisme féministe
2. #MeToo, « mouvement social féminin du XXIe siècle »
3. La floraison de comptes Instagram à vocation féministe
B . Un discours féministe, produit d’une co-construction entre son sens et sa forme
1. Un féminisme exprimé au travers de l’expérience sexuelle féminine
2. Une parole inclusive, caractéristique d’un féminisme intersectionnel
3. Un discours empreint d’une posture énonciative affirmée et d’une parole désinhibée
C. Un discours aux multiples revendications politiques « Le personnel est politique » : politiser l’intime Pallier les erreurs de communication des canaux d’informations traditionnels Un processus contre-hégémonique
Conclusion partielle
II. L’appropriation de la plateforme Instagram par le mouvement féministe permet la prolifération de ces idées et l’apparition d’une véritable communauté en ligne
A. Instagram, un support initialement non dédié à un projet militant
1. Instagram, miroir des vanités : le réseau de la superficialité
2. Instagram et la censure du téton féminin : le réseau puritain
3. Instagram, réseau social antiféministe ?
B. Une véritable appropriation de la plateforme Instagram par les féministes
1. Autonomisation et émancipation de la parole profane
2. La communication par l’image : s’adapter pour émerger
3. La maîtrise des formats propres à la plateforme : une mise en valeur du message
C. L’apparition d’une communauté en ligne à part entière
1. Une communauté virtuelle
2. Une « communauté virtuelle de mouvement social »
Conclusion partielle
III. Un renouveau du cyberféminisme qui donne lieu à l’apparition d’une forme de « féminisme ordinaire »
A. Un féminisme qui mobilise un réseau plus large que les féminismes institutionnels
1. Un féminisme rajeuni : l’affaire d’une nouvelle génération
2. Un plus grand dynamisme dans la production et la réception des messages
3. Un féminisme plus visible et plus accessible
B. Un nouveau « répertoire d’actions collectives »
1. Le mouvement s’empare du média : la communication comme mode d’action
2. Un « espace de la cause des femmes » potentiellement mobilisable hors-ligne
C. L’apparition d’un « féminisme ordinaire » : le risque d’un féminisme hors-sol et d’un militantisme distancié
1. Un engagement controversé : le like et le partage, signes d’un militantisme passif ?
2. Instagram, zone grise entre féminisme militant et féminisme « silencieux » ?
Conclusion partielle
CONCLUSION
Conclusion générale
Méthodologie : facilités et difficultés
Enseignements et recommandations
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES