L’approche multi-physique pour l’ingénierie de l’hélicoptère
Problématiques générales soulevées par le développement d’un hélicoptère
La société Airbus Helicopters développe et industrialise des hélicoptères depuis le début du XXème siècle. Elle a su acquérir l’expertise scientifique, technique, et industrielle qui en fait un acteur majeur du secteur au niveau international. Avec plus de vingt modèles à son catalogue, elle continue de développer sa gamme avec le nouvel H160 (ou X4). Elle cherche aussi à étendre le champ d’application de ses produits, ce qui passe par des prototypes innovants comme le X3, premier aéronef de type gyrodyne à atteindre une vitesse d’avance de près de 500 km/h. Cependant, les freins à ces développements restent nombreux. En effet, les comportements qui régissent un hélicoptère sont complexes, très souvent non linéaires. De plus, sa structure se compose de nombreux organes, conférant à ce système une grande dimension. Les liens d’interaction entre ces organes sont nombreux, difficiles à identifier, qualifier, quantifier et représenter. Enfin, notons que nombre des organes présents sur un hélicoptère ont pour finalité de maîtriser, souvent localement, un comportement spécifique. Alors, s’ajoute à la difficulté d’explicitation des phénomènes physiques, un obstacle de représentation et d’analyse des solutions technologiques utilisées pour maîtriser ces comportements dans un système de grande dimension. La spécificité d’un aéronef à voilure tournante réside dans la présence d’un (ou plusieurs) rotor(s) de forte inertie et tournant à grande vitesse. Ses pales, fixées au mât par liaison élastique, transmettent la puissance nécessaire à la portance, mais aussi interagissent avec la structure porteuse. Ces interactions engendrent de nombreux phénomènes vibratoires conduisant à des instabilités. Les plus connus d’entre eux sont la « Résonance Air » et la « Résonance Sol » [4]. Le pilote non plus n’est pas isolé de certains couplages mécaniques. Ces couplages sont regroupés sous l’appelation « Rotorcraft Pilot Couplings » [5], [6]. On comprend alors la criticité de la nécessaire qualité de l’interaction pilote-machine, à travers les manches de pilotage comme via les effets dynamiques du vol. Afin de cibler les freins à la modélisation et à la maîtrise de ces comportements, la fondation d’entreprises Airbus Group a mis en place, en partenariat avec l’équipe INSM du laboratoire LSIS et les écoles d’ingénieurs Arts et Métiers ParisTech et Centrale-Marseille, la chaire industrielle intitulée « Dynamique des systèmes mécaniques complexes », qui vise à la modélisation et l’amélioration des comportements de ce type de système. Dans ce cadre, deux thèses ont été soutenues [7] et [8], une troisième prévue pour fin 2015. Ces travaux s’articulent selon l’axe de recherche Maîtrise des phénomènes multi-physiques couplés de l’équipe INSM. Afin de répondre au besoin de description des interactions entre les organes constitutifs d’un hélicoptère, les premiers travaux ont visé à proposer une décomposition structurelle d’un aéronef à voilure tournante, et de la représenter à l’aide d’un outil adapté. Tout d’abord, notons que comme tout aéronef, son vol est permis grâce à l’interaction entre une voilure mécanique et des efforts aérodynamiques (voir fig. 1-1). La puissance nécessaire à générer ces efforts aérodynamiques est obtenue par combustion d’hydrocarbures. Enfin, pour maîtriser cette puissance, de nombreux organes actifs (électriques ou hydrauliques) sont présents. Force est de constater que cette grande diversité de domaines de la physique impose des expertises métiers complémentaires.
La modélisation multi-physique pour une approche modulaire
Modélisation multi-physique : le paradigme énergétique
De par la nature de ses organes et de ses interactions avec l’environnement, un hélicoptère fait appel à des équations de comportement issues de différents domaines de la physique. Il fait partie des systèmes pluri-technologiques (mécanique, électrique, hydraulique, etc.). Il existe de nombreux formalismes qui permettent de modéliser les comportements dans différents domaines de la physique. Ils ne seront pas explicités ici, car la bibliographie dédiée est riche [9], [10], [11], [12], [13]. Néanmoins ils reposent tous sur certains principes fondateurs. Après avoir posé ces principes de la modélisation des comportements à travers le paradigme énergétique (§1.2.1), nous exposerons comment ce formalisme peut être mis sous forme de représentation graphique structurée (§1.2.2). Puis, nous illustrerons la méthodologie appliquée à deux cas d’étude et à travers deux outils de représentation graphique : la dynamique du vol dans le cas de la Résonance Air (§1.2.3) et la synthèse des lois de commande des organes de la chaîne de commande de vol (§1.2.4). Une grandeur est commune aux différents domaines de la physique (fig. 1-2) : l’énergie (une même unité, le joule J). Cette notion, introduite sous une autre appellation par Lagrange permet d’obtenir les équations du comportement par une approche variationnelle. Ses travaux sont repris par Hamilton (début XIXe ) qui proposa une expression plus décomposée du comportement, mais surtout introduit la définition de l’énergie totale d’un système mécanique. Joule (1843) propose la première extension de l’énergie à un autre domaine de la physique : l’énergie calorifique. Planck (1887) généralisa le concept à tous les domaines de la physique, et par cela posa les bases de la mécanique quantique.Il aura donc fallu attendre le XIXème siècle pour que le principe de conservation de l’énergie soit envisagé dans tous les domaines de la physique. Ce principe dit : « tout ensemble ou système isolé a une quantité d’énergie 𝑯 qui se conserve ». Au sein du système, cette énergie n’est pas forcément figée. Elle peut évoluer d’un lieu à un autre. Mais, globalement, elle est constante. fig. 1-3 – Système isolé alternateur Energie thermique Energie chimique Energie mécanique Energie électrique Energie nucléaire Energie hydraulique Energie de rayonnement fission barrage pompage thermolyse moteur combustion turbine frottement batterie électrolyse photovoltaïque diode Système Σ 𝐻 = 𝑐𝑠𝑡. 13/120 Si l’on considère deux sous-ensembles (Σ1 et Σ2), une énergie peut être transmise de l’un à l’autre (en un point, à travers une surface, etc.). Le transfert (ou flux) d’énergie par unité de temps est défini par la puissance 𝑃 : (unité : le watt W).